Fyctia
Au cœur des âmes - Chapitre 11
Étendue sur ma paillasse, je ne cesse de cogiter à la phrase émise par Waban. Ou plutôt pensée par lui. J’ai eu l’étrange sensation qu’il avait prononcé ces mots, mais lorsque je lui ai demandé ce qu’il avait dit, il a paru étonné et m’a affirmé ne pas avoir parlé. C’était pourtant sa voix qui a résonné !
« Je ne veux pas te perdre. »
C’est pourtant ce qui va arriver.
Qu’est-ce que cela signifie ?
Cela fait seulement trois jours que je suis partie de Solis, mais le sentiment de sécurité liée à la cité me manque. Ici, j’ai l’impression d’être hors de mon corps, mais de le sentir sous toutes ses coutures. Le voyage est éprouvant, et je me demande combien de temps je vais tenir avec ce rythme.
Mon regard se porte sur Aponi. Elle dort à poings fermés. Je l’envie. Elle a juste posé sa tête sur son sac, qu’elle s’assoupissait déjà. Il semblerait que mon esprit en ait décidé autrement.
Mais alors que je cogite, un bruit étrange me parvient du dehors. Sur le qui-vive, tous mes muscles courbaturés se crispent. Je tends l’oreille, prête à réveiller mon amie au moindre danger.
En me concentrant, je devine qu’il s’agit d’une complainte, comme si une personne gémissait de souffrance. Et si c’était Waban ?
Je prends mon courage à deux mains, et me lève. Lorsque je sors de la tente, la lumière douce et diffuse des deux astres lunaires éclaire mes pas. Je n’y vois pas comme en plein jour, mais cela est suffisant pour que je ne trébuche pas.
Une légère brise souffle et amène à moi des senteurs nouvelles. Parmi elles, je détecte néanmoins une odeur familière. Du paprika fumé, mélangé au sucré de la vanille et à quelques notes d’écorce de chêne.
Avec prudence, je la laisse me guider vers Nashoba. Je le découvre recroquevillé sur le sol. Mon cœur se met alors à battre dans mes tempes. Je regarde partout autour de nous, à la recherche d'un danger. Mon souffle s’étiole comme si le moindre bruit pouvait attirer à nous la menace.
— Est-ce que ça va ? murmuré-je.
— Dégage ! gémit-il.
Sans tenir compte de sa demande, je m’agenouille près de lui et découvre son visage crispé de douleur.
— Où est-ce que tu as mal ? Qui t’a blessé ?
— Personne. J’ai des crampes à force d’avoir porté ce fichu sac toute la journée, grogne-t-il.
Un soulagement détend mes muscles et j’inspire une grande bouffée d’oxygène pour remplir mes poumons.
— Tu m’as fait peur. J’ai cru qu’une bête rôdait autour du camp.
— C’est ça, moque-toi de moi. Si je n’avais pas si mal, je…
— Garde tes forces au lieu de lancer des menaces en l’air ! le coupé-je sur un ton désinvolte. Demain, je soumettrai à Waban que nous nous répartissions la charge.
— C’est complètement idiot !
Son agressivité fait ressortir cette partie de moi que je n’arrive pas à maîtriser en sa présence.
— Ah oui ? Pourquoi ? m’énervé-je.
— Si on le porte à plusieurs, nous serons tous épuisés. En ne laissant que l’un d’entre nous s’en occuper, les autres sont alertes en cas de danger. La preuve, tu ne me briserais pas les noix si tu étais fatiguée d’avoir trimballé une charge lourde toute la journée !
— Très bien, dans ce cas, débrouille-toi ! Mais souffre en silence, j’aimerais dormir.
Je ne lui permets pas de réagir, je retourne aussi sec sous ma tente.
Sauf qu’une fois allongée, le temps défile sans que je sois capable de fermer un œil. L’agacement m’empêche de trouver le sommeil. Pourquoi faut-il qu’il soit aussi désagréable avec moi ?
Tandis que mon esprit vagabonde, mes pensées se tournent vers mes parents. Ils me manquent terriblement. Ils ont toujours les mots justes pour me remonter le moral lorsque j’ai l’impression d’avoir échoué ou d’être impuissante.
Comme la fois où ils ont été malades à cause d’un champignon trompeur. Leurs crampes d’estomac les faisaient se tordre de douleur et j’avais le sentiment d’être inutile, ne sachant pas quoi faire pour les aider. J’ai cru les perdre. Mon père, entre deux spasmes, m’a expliqué que cela prendrait du temps et il m’a chargée de leur fournir…
— De l’eau, soufflé-je tout en bondissant sur mes pieds.
J’attrape ma gourde à côté de mon couchage, puis je sors de la tente. Je retrouve Nashoba à son poste, toujours recroquevillé.
— Tiens, bois ça, ça va te faire du bien, déclaré-je en lui tendant mon outre.
— Garde ta charité pour les incapables, me repousse-t-il d’une main ferme.
Je manque de tomber, mais parviens à conserver mon équilibre. Nous ne nous connaissons pas suffisamment pour qu’il sache que je suis un tantinet bornée.
— Je ne te considère pas comme faible parce que tu as produit un effort physique conséquent, au contraire. Je n’aurais pas été en mesure de porter notre matériel toute la journée. Et, nous avons tous besoin que tu sois en pleine forme pour recommencer, alors boit de l’eau. Demain, je veillerai à ce que tu t’hydrates comme il faut.
— Leïka, je ne veux pas de ton aide.
— Je ne fais pas ça pour toi, mais pour le groupe. À cinq, nous sommes plus forts qu’à quatre. Et puis nous devons retrouver ton frère.
Cette fois, Nashoba ne réplique pas, il me fixe durant plusieurs secondes, comme s’il cherchait à connaître le véritable fond de ma pensée.
— Pourquoi ?
Je m’installe à côté de lui, tout en lui tendant ma gourde dont il finit par se saisir.
— Son bannissement va à l’encontre des valeurs avec lesquelles j’ai grandi. Je ne trouve pas ça juste.
— Parce que tu as été bercée d’illusions.
Je fronce les sourcils, incertaine de là où il veut en venir. Voyant que je ne réagis pas, il développe son explication.
— Mon père désire notre retour pour nous promouvoir au rang de conseiller. Ce que mon frère et moi souhaitons, il s’en moque. Toi, tu as la chance d’être avec des parents aimants.
Un pincement au cœur me surprend tout autant que ma main qui recouvre celle de Nashoba.
— Peut-être pouvons-nous agir entre nous comme dans une vraie famille dans ce cas ?
Je pense sincèrement ce que je dis. Mon enfance n’a pas été évidente, mais il a raison sur un point : je n’ai pas manqué de tendresse, même si cette dernière a été donnée de façon plus que maladroite.
Il semblerait que Nashoba ne soit pas d’accord avec mes propos. Il retire vivement sa main comme si mon contact le brûlait.
— Lâche-moi avec tes grands discours. Tu ne connais rien de ma vie et tu ne pourras pas contrer mon père lorsque nous reviendrons des contrées astrales. Maintenant, retourne te coucher.
Je déglutis face à son animosité, ne comprenant pas pourquoi après s’être confié à moi, il me repousse aussi violemment. Incapable de soutenir son regard plus longtemps, je me relève, décidée à suivre son idée.
En silence, je m’éloigne de lui afin de regagner ma tente.
Le cœur lourd, je m’arrête puis porte mon attention vers lui. Nashoba vide ma gourde de toute son eau, comme s’il n’avait pas bu de la journée et ce détail m’interpelle. A-t-il seulement de quoi étancher sa soif ? Je parlerai de ça à Machk dès demain pour qu’il soit vigilant. Nashoba l’écoutera sûrement plus que si cela vient de moi.
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