Caro Handon Au cœur des âmes Au cœur des âmes - Chapitre 10

Au cœur des âmes - Chapitre 10

Nashoba lance un regard suspicieux à mon meilleur ami, comme incertain de ce que cette réponse sous-entend.


— On s’en fiche, puisque ce n’est pas la raison pour laquelle je coupe du bois, n’est-ce pas ? D’ailleurs pourquoi est-ce que je m’échine à faire ça pendant que les deux princesses réchauffent leur cul près du feu ?

— Je ne te permets…

— Leï, m’interrompt Waban avec tranchant. Nous allons bien construire une cabane !


Je serre les dents, contrariée d’être de nouveau réprimandée. Une discussion va être nécessaire, car je ne supporterai pas qu’il se montre aussi cassant à mon égard.


Mais mon agacement s’évapore lorsque la dispute surplombe mes pensées.


— Tu me fais couper du bois avec cet outil merdique pour une construction durable ? s’énerve Nashoba. C’est une blague ? Pourquoi ferions-nous ça ? C’est complètement idiot, puisque nous avons nos tentes !

— Premièrement, « cet outil » comme tu dis, est une hache qui a été fabriquée par nos prédécesseurs. Ils méritent le respect le plus total pour ce qu’ils ont bâti en dehors des murs de Solis, car ils ont eu la bravoure de s’acclimater dans ces terres hostiles.


Waban marque une pause durant laquelle il fixe son adversaire, comme s’il le mettait au défi de le contrer. Ce dernier n’en fait rien.


— Deuxièmement, cela fait partie de nos missions, reprend Waban. Nous préparons le terrain pour les futurs arrivants, afin de leur faciliter la vie. Et comme certains abris s’écroulent lors des tempêtes, nous en bâtissons de nouveaux régulièrement.

— Peu importe, je refuse de continuer  !

— Et pourtant, tu vas le faire ! Tu seras bienheureux de te mettre au chaud dans les jours à venir parce que les autres auront travaillé pour toi. Alors pendant que tu te sers de la hache, Machk et moi allons t’aider en utilisant les scies. Les filles, elles, vont tresser des liens avec les bobines de corde prises au camp principal.

— Je veux scier du bois, intervient Aponi avec détermination.


Je m’apprête à la questionner sur sa motivation, mais elle reprend la parole avant moi en fixant mon ennemi.


— Peut-être préfères-tu travailler avec Leïka ?


Si un sourire victorieux apparaît sur le visage de mon amie, j’aperçois une grimace sur celui de Nashoba.


— Même pas dans mes pires cauchemars, baragouine-t-il.


***


Après avoir terminé notre devoir, Machk et moi préparons le repas à base de champignons, de tubéreuses et de baies, accompagnées par quelques herbes aromatiques dont je ne connais pas le nom.


— Le mélange ne sera pas le meilleur en termes de goût, mais il aura le mérite de nous tenir au corps, m’explique mon compagnon de voyage.

— Qui t'as appris à cuisiner ?

— Ma sœur. Elle est passionnée par ça et espère devenir grande cheffe de la brigade à Flumen.

— Tu veux dire : monarque ?


Seuls ceux de Solis dirigent les autres clans. Il en existe cinq au total : Solis, la principale, dont le symbole est le soleil. Puis il y a : Ignis, la cité du désert ardent, Flumen, celle des rivières vives. S’ajoutent à elles : Quercus, ville du chêne millénaire, et Saxum, un village dans les confins des terres rocailleuses.


Un petit rire moqueur me tire de mon énumération. Machk me sourit, puis m’observe comme si je sortais d’une légende.


— Être grand chef chez nous revient à préparer la nourriture pour les banquets, lorsque les monarques de Solis viennent en visite, m’explique-t-il.

— Ah ! Je comprends mieux. Nous n’avons pas ce genre de réception. Askook, Hausis, Koi et Iktómi vivent dans le castel en haut de la colline des âmes. Des métamorphes s'occupent de tout pour eux.

— J’ai beaucoup entendu parler de cette bâtisse. J’ai eu ouï dire que les sols étaient faits d’une pierre si lisse qu’on pouvait y voir son reflet.

— Du marbre. L’entrée de la bibliothèque possède également ce type de revêtement. Le reste est un plancher de bois ancien aussi poussiéreux que de la terre battue.

— Ça a l’air merveilleux. J’aurais beaucoup aimé passer plus de temps à Solis. Mais ma famille n’y connaît personne, alors j’ai fait le voyage pour arriver le jour de notre grand départ.


Nous continuons à discuter et je découvre en Machk un garçon fort sympathique. Il m’explique avec entrain toutes les coutumes de sa cité. Je bois littéralement ce qu’il me conte.


— Le repas est prêt, finit-il par annoncer aux autres.


Tous posent leurs outils et viennent nous rejoindre. La fatigue se lit sur leurs traits. Machk commence par les servir en premier. Ils méritent de se requinquer et ce ragoût devrait les y aider.


— Vos mains sont dans un sale état, constaté-je.


Je farfouille dans mon sac à la recherche d’une bourse particulière.


— J’ai confectionné une pommade cicatrisante avant de partir. Je vais vous en passer sur vos ampoules. Les miennes vont déjà mieux.


Je lève l’une de mes paumes comme preuve de ce que j’avance.


— Est-ce qu’on pourra faire ça après ? me demande Aponi. Je vais faire une syncope si je ne mange pas.

— Ou jamais, rebondit Nashoba sans me laisser le temps de répondre à mon amie. Je ne veux pas que tu me touches.

— Tu m’as prise pour ta mère ? Tu l’appliqueras seul !

— Alors, toi, je vais te…

— Personne ne fera rien du tout, gronde Waban. Vous n’en avez pas marre d’agir comme deux gamins ? Les paroles de l’un sont toujours prétextes pour défier ou piquer l’autre. Grandissez un peu !


Mon meilleur ami se lève, l’air furieux. Il s’enfuit vers l’orée du taillis et, sans réfléchir, je m'élance à sa poursuite.


— Waban, attends !


Il marche à grandes enjambées, si bien que je peine à le rattraper.


— Pourquoi es-tu aussi en colère ?


Il s’arrête puis fait volte-face. Je manque de le heurter. Les poings serrés, les traits tordus par le courroux, je crains notre futur échange. Tous les signes sont là pour une remontée de bretelle en bonne et due forme.


— Vos querelles n’ont pas lieu d’être dans les contrées astrales, Leï ! éructe-t-il. J’ai votre vie entre mes mains, en as-tu seulement conscience ? Nous ne sommes pas à Solis, ici, protégés par le poste d’avant-garde et ses métamorphes. Nous devons faire face à la nature dans son aspect le plus primitif. En nous chamaillant comme des enfants, nous ne récolterons que la mort !


Jamais avant je ne l’avais vu dans une telle colère. La honte pèse sur mes épaules, et je finis par baisser les yeux, consciente de la vérité derrière ses mots.


— Pardon. Je vais faire des efforts, promis, déclaré-je d’une voix tremblante.

— Leï, souffle-t-il.


Ses doigts passent sous mon menton et il me fait relever la tête vers lui. Dès l’instant où je capte son regard, des larmes me viennent sans que je sois capable d’en comprendre l’origine.


Waban m’attire à lui et me serre dans ses bras. Je m’y laisse aller. La chaleur de son corps est tout aussi réconfortante que le feu allumé un peu plus tôt. La principale différence, c’est que je me sens à ma place à ses côtés.


— C’est moi qui suis désolé. J’aimerais pouvoir te protéger, mais notre quête est semée de danger. Je ne veux pas te perdre.


C’est pourtant ce qui va arriver.

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21 commentaires

Sébastien77

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Il y a 3 ans

Je fais une petite pause dans la lecture fort agréable de tes chapitres. J’aime bien ton univers chamanique, inspiré de celui amérindien ( le grand esprit, les animaux totémiques). Et puis il y a cette aura de mystère qui plane autour de la quête de l’animai. Enfin la psychologie des personnages est bien détaillée. Tout concourt à faire passer un bon moment !

Caro Handon

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Il y a 3 ans

Merci pour ton commentaire, je suis ravie que cela te plaise 😁

La Plume d'Ellen

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Il y a 3 ans

Au contraire du chef de groupe moi j'aime bien les querelles entre Lei et Nashoba 😀. Par contre c'est étrange mais je perçois quelque chose de douloureux dans l'attitude de waban. Comme si durant sa 1ere année il avait subi qq chose d'atroce.

Camille Jobert

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Il y a 3 ans

Roh t'arrête de chauffer le chaud ou froid avec lei, waban. Il y a un autre moyen de lui faire comprendre que ces terres sont dangereuses autrement que l'agresser er après de rendre compte que t'es comporté comme un imbécile. La pauvre elle te comprend plus !

Caro Handon

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Il y a 3 ans

Waban ne se fait pas d'amis parmi les lecteurs xD

Camille Jobert

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Il y a 3 ans

Pour l'instant je suis team grand couillon

clecle

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Il y a 3 ans

Ton écriture est de qualité et la lecture est facile du coup. J'ai apprécié, je suivrai les prochains chapitres.

Caro Handon

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Il y a 3 ans

Merci beaucoup pour ce compliment, ça me fait super plaisir :)

Gottesmann Pascal

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Il y a 3 ans

Waban est un vrai chef dont l'autorité ne peut pas être contestée.

Caro Handon

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Il y a 3 ans

Du moins, il essaye xd
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