Fyctia
Au cœur des âmes - Chapitre 9
J’ai beau avoir vu la carte de notre monde à maintes reprises, je n’avais pas imaginé les plaines des contrées astrales aussi gigantesques. Ni que cette quête serait physique à ce point.
— Tu sembles au bord du gouffre, s’exclame Machk.
D’un naturel discret, ce garçon venant de Flumen, la cité de la rivière, était le dernier à ne pas avoir trouvé une troupe à laquelle se rallier.
— Je n’ai pas l’habitude de marcher autant, lui expliqué-je.
— C’est un rat de bibliothèque, ajoute Aponi.
— Qu’est-ce qu’un rat ?
Derrière nous, Nashoba émet un grognement de mécontentement.
— Vous allez avancer au lieu de jacasser ?
— Silence ! tonne Waban, quelques mètres devant nous.
Nous nous arrêtons tandis que mon ami observe l’horizon dans toutes les directions, comme si un danger imminent allait nous tomber dessus. Le souffle court, le cœur palpitant, je ne peux m’empêcher de l’imiter. Rien à signaler.
Une fois son inspection faite, Waban rebrousse chemin pour venir à nous.
— Même si cette zone est habitée par des animaux herbivores, tous ne sont pas inoffensifs. Certaines femelles gestantes peuvent se montrer agressives si elles se sentent mises en péril.
— De quelles espèces parle-t-on ? Des orignaux ?
Son regard se pose sur moi et un air agacé apparaît aussitôt sur ses traits.
— Arrête de faire ton encyclopédie, Leï. Il nous faut avancer pour rejoindre le lieu où nous allons passer la nuit.
Sa remarque me fait serrer les dents. Elle est personnelle et d’autant plus blessante. Mais plutôt que de chercher le conflit, je m’écrase. Je me remets en marche puis le dépasse, bien décider à réfléchir à notre prochaine discussion à deux. Il ne va pas s’en tirer comme ça !
***
Mes pieds me font affreusement souffrir. Cependant, nous ne pouvons pas encore nous reposer. Plus tôt dans la journée, des nuages sont venus cacher le soleil. Si cela a rafraîchi l’atmosphère, rendant notre marche plus agréable en dépit de mes ampoules, nous devons mettre en place notre campement avant que des orages n’éclatent.
Aponi et moi sommes chargés de rassembler du bois sec, tandis que Machk transporte des pierres afin de créer une protection autour de notre futur feu. Waban s’est associé à Nashoba pour monter les tentes.
— Tu le regardes comme si tu voulais le tuer, marmonne Aponi.
Depuis notre arrivée dans ce taillis, nous gardons le silence sauf lorsque « le chef » s’adresse à nous.
— Je demandais juste des précisions sur les animaux dont nous devons nous méfier. Pourquoi a-t-il fallu qu’il se montre si incisif ?
— Son rôle de mentor ne doit pas être simple. Notre vie est sous sa responsabilité. Qui sait, peut-être a-t-il des comptes à rendre à une personne plus haut placée, et qui n’était pas présente au premier camp ?
Son analyse me cloue le bec. Waban et moi avons eu peu de temps pour échanger à cause de l’effervescence de notre départ.
— Vous surveillez Nashoba, intervient mon ami, me surprenant. Il doit couper du bois. Pendant ce temps, je vais chercher de quoi nous ravitailler.
— Tu as besoin d’un coup de main ? lui demande Machk. J’ai terminé ma tâche.
— Dans ce cas, viens avec moi.
Les deux garçons s’en vont, nous laissant seules avec mon ennemi.
— Sa gestion des troupes est catastrophique, murmuré-je. Et si jamais l’autre s’en prenait à nous ?
— Je serais là pour te défendre, me rassure Aponi en parlant sur le même ton. Il baisse toujours sa garde sur son côté droit. Si je tape juste en dessous des côtes avec suffisamment de puissance, il sera à terre en deux-deux.
Je la fixe, stupéfaite par son analyse.
— Tu ne voudrais pas m’apprendre à me battre ?
— Si tu n’as pas peur de prendre quelques coups, c’est dans mes cordes.
— Des coups ?
Sans que j’aie le temps de réagir, Aponi saisit mon poignet et effectue un balayage avec une jambe. Elle heurte les miennes, me faisant perdre l’équilibre. J’atterris sur mon popotin, le bras en l’air, toujours retenu par mon amie.
— Première leçon : être constamment sur ses gardes.
Aponi m’aide à me relever. J’époussette le bas de ma tenue et réajuste son drapé. Un poids écrase ma poitrine face à mon incompétence évidente.
— Si on pouvait y aller crescendo, ça m’arrangerait, pesté-je.
— Malheureusement, la vie ne te laisse parfois pas le temps de maîtriser une technique pour en avoir besoin. Mais je suis sûre que tu en es capable.
— Tu te trompes, je ne suis bonne qu’à parcourir les livres.
— Arrête d’être dure avec toi-même, Leïka. L’art du combat, ce n’est qu’un apprentissage de plus. Et comme le travail du cuir, cela demande une mise en pratique.
Je hausse les épaules. Malgré sa bienveillance, je doute de mes aptitudes. À mes yeux, seule une chance inouïe me permettra de m’en sortir. Alors, en silence, je reprends le ramassage du petit bois et de mousse sèche.
Une fois notre stock assez conséquent, Aponi et moi essayons d’allumer notre unique source de chaleur pour la nuit à venir. Elle risque d’être difficile. Les nuages ont masqué le soleil depuis un moment déjà, et le froid s’immisce au travers de mes vêtements.
Je pourrais passer ma couverture en peau d’ours sur mes épaules, mais je préfère la conserver pour les températures le plus glaciales. J’ai lu dans un récit de voyage que les montagnes étaient l’endroit le plus désertique des contrées astrales.
— J’abandonne ! s’énerve Aponi après maints essais infructueux.
Je ramasse les outils de fortune qu’elle a jetés, pour prendre le relais. Je n’ai réussi qu’une seule fois à en faire un. À la maison, c’est mon père qui s’en charge. Même lui n’y parvient pas toujours.
Concentrée, j’applique à la lettre la méthodologie qu’il m’a enseignée. Un morceau de bois coupé dans sa longueur repose à plat sur une écorce, tandis qu’un autre, placé à la perpendiculaire de la planche, a été taillé en pointe.
Tenant ce dernier, je commence à faire des mouvements rotatifs tout en exerçant une pression verticale sur le foret vers le sol. La friction génère de la chaleur et au bout de trois tentatives, un peu de fumée apparaît.
— Tu es mon idole ! s’exclame mon amie.
Nous nous empressons d’alimenter les braises créées. Peu à peu, le feu crépite et le voir grandir me remplit de fierté. Nous pouvons enfin nous réchauffer !
Mon attention se porte aussitôt vers celui qui travaille toujours d’arrache-pied à scier des troncs plus épais.
— Si c’est pour une construction, il faudrait couper du genévrier, marmonné-je.
Cependant, il semblerait que j’ai parlé plus fort que je ne le pensais. Nashoba se retourne vers moi, le regard animé par une lueur de défi.
— Elle a dit quoi, l’intello ?
— L’arbre juste à côté conviendrait mieux pour une cabane.
— Et pourquoi ça ?
— Ce bois est imputrescible, grogne une voix derrière moi.
Waban apparaît l’instant d’après dans mon champ de vision suivi de Machk. Les ombres sur son visage déclenchent un frisson le long de mon épine dorsale. L’expression « faire froid dans le dos » prend tout son sens. Il a tant changé en un an. Je n’arrive toujours pas à m’y faire.
28 commentaires
Isaure DV
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Il y a 3 ans
La Plume d'Ellen
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Il y a 3 ans
Pierrot
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Caro Handon
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