Fyctia
Au cœur des âmes - Chapitre 3
— Leïka, attends ! hurle une voix d’enfant derrière moi.
Je me retourne et mon cœur fond sur place. La petite sœur de Waban court dans ma direction. Alors que j’amorce un pas vers elle, son pied glisse sur un caillou. Je n’ai pas le temps de la rattraper qu’elle chute de tout son long et un nuage de poussière se soulève.
Je me précipite vers elle, afin de vérifier qu’elle ne s’est pas fait mal.
— Rozene, est-ce que tout va bien ?
— J’ai l’habitude des croûtes, ça va, m’explique-t-elle tout en bondissant sur ses deux jambes.
Elle époussette rapidement sa tenue, avant d’en sortir un sachet en tissu, scellé avec du raphia.
— Est-ce que tu pourrais donner ça à Waban, s’il te plaît ? me demande-t-elle les yeux remplis d’espoir.
— Bien sûr, tu peux compter sur moi.
Elle me fourre le paquet dans les mains, puis elle retourne vers ses parents. J’agite mon bras pour les saluer et je fais demi-tour pour rattraper le groupe.
— C’est quoi ?
Je sursaute presque lorsque je découvre à côté de moi une fille aux cheveux dont la couleur se dégrade d’un bleu nuit en racine vers un turquoise au niveau des pointes. Son air curieux se répercute dans ses yeux cyan, grands ouverts.
— Un cadeau pour un ami, de la part de sa petite sœur.
— Oh ! C’est chou ! J’espère que tu le retrouveras pour le lui donner.
Sa phrase me noue tout à coup les entrailles. Je me réjouis à l’idée de revoir Waban, seulement peut-être n’est-il plus en vie ? Les contrées astrales sont réputées pour regorger d’animaux sauvages, mais d’anciens villageois y rôdent aussi. Car une fois les trois années écoulées, si l’un d’entre nous ne trouve pas son animai, il ne peut revenir à Solis. Notre âme ne pouvant pas rester stable sans être liée à lui, nous redevenons des êtres hostiles, primitifs et dangereux.
Un long frisson parcourt la surface de ma peau en songeant aux récits glaçants que j’ai pu lire dans les recueils de certains voyages. Ils sont peu nombreux, comme s’ils étaient invisibles aux yeux de tous.
Je n’ai jamais osé en parler à mes parents. Depuis mon plus jeune âge, ils m’ont fait promettre de ne pas évoquer mes rêves, moyen par lequel j’ai pu trouver ces ouvrages, comme celui qui se cache dans ma besace, et dont je n’ai toujours pas déchiffré les écritures.
— Je m’appelle Aponi, reprend celle à mes côtés en me sortant de mes pensées. Et toi ?
— Leïka.
— Tu es de Solis, n’est-ce pas ?
— Comment tu…
— L’a deviné ? complète-t-elle ma question. Ta tenue. Vos tissus sont plus sophistiqués que les nôtres à Ignis.
— Tu viens de la cité du feu ? Là où le soleil est plus brûlant qu’ici ?
— Tu connais ? s’enthousiasme Aponi. D’après mes grands-parents, les gens ne sont presque plus au courant de notre existence tant nous vivons reculés de la civilisation.
— Si tu interroges d’autres personnes, je ne suis pas certaine qu’ils le sachent, en effet. Je suis une passionnée de littérature, donc j’ai appris chacune des cités secondaires.
— Tu te montres souvent condescendante comme ça ?
Sa question, bien que formulée sur un ton non agressif, me prend de cours. Et surtout, elle me pique au vif.
— Condescendante ? Comment ça ?
— Tu viens d’étaler ta science, comme si tu étais la seule à tout savoir.
— Mais je n’ai pas dit ça ! m’offusqué-je. Simplement…
L’éclat de son rire cristallin m’arrête dans ma justification. Pourquoi est-ce qu’elle se marre ?
— Tu es « premier degré », s’esclaffe-t-elle. J’adore ça.
— Tu te… moquais de moi ?
Elle opine vivement du chef, toujours amusée par sa taquinerie.
— J’aime bien faire ce test quand je ne connais pas quelqu’un, ça me permet de mieux le cerner.
— Et jamais personne ne t’a insultée ?
— Non. La plupart du temps, soit ça égaye les gens, soit, comme toi, ils me prennent pour une folle.
Je l’observe à la dérobée, incapable de dire si elle se joue encore de moi ou pas. Mon côté pragmatique déteste ce genre de situation où je ne sais pas sur quel pied danser. Néanmoins, je me fie à ce que mon instinct me dicte : Aponi ne semble pas être une mauvaise personne.
— Et si tu me parlais de la vie à Ignis ? Parce que lire des bouquins, c’est bien, mais entendre des témoignages, c’est bien mieux.
— Tu n’as pas peur que je te raconte des salades ?
— Peu importe. Avec ton imagination débordante, je suis certaine que le voyage qui nous attend passera plus vite en discutant.
— Naïve, mais téméraire ! Du jamais vu, raille ma nouvelle amie.
Je secoue la tête, amusée par cette fille plutôt excentrique. Rapidement, Aponi me conte son enfance dans une famille de six frères et sœurs. Je ne retiens pas la moitié des prénoms et elle me confie oublier régulièrement les dates anniversaires des membres de sa tribu.
La vie à Ignis ressemble en tout point à la nôtre, hormis l’absence des monarques. Malgré leur visite saisonnière, la cité du feu est livrée à elle-même la plupart du temps, donnant lieu à des conflits quotidiens entre habitants. Aponi a déjà dû se battre contre des métamorphes pour défendre sa nourriture !
À moins qu’elle essaye encore de me tester ?
Qu’importe, je l’écoute avec plaisir me raconter ses anecdotes farfelues et le fonctionnement de leur apprentissage, très différent de Solis.
— À Ignis, seules les veillées mortuaires rappellent aux villageois nos origines.
L’absence de tristesse dans sa phrase me glace le sang. Comme si les sépultures étaient un évènement joyeux !
— Nous, l’histoire de notre création par le grand esprit nous est enseignée par Hausis, la doyenne des monarques, durant des cours théoriques.
— Ce doit être ennuyant !
— C’est toujours moins glauque que de faire ça à un enterrement.
— Mais pas du tout ! Chez nous, une importante fête est donnée à chaque envolée d’âme, pour célébrer sa libération.
Mes yeux s’écarquillent d’eux-mêmes.
— Jamais je n’avais entendu parler de cette pratique.
— Sûrement parce que les monarques ne parviennent pas à nous faire éradiquer cette coutume ancestrale !
— Tu les crois capables de nous mentir ?
— Oui. Et j’en veux la preuve que tu n’étais pas au courant des conflits qui animent notre clan.
— J’imagine qu’ils ne l’abordent pas, c’est parce que cela ne nous regarde pas. Que pourrions-nous faire en tant que simples habitants ? Absolument rien.
Aponi secoue la tête puis relâche une profonde expiration.
— Ils ne disent rien, avant tout pour ne pas donner d’idées aux villageois de Solis. Que se passerait-il si, non content de leur gouvernement, leur peuple se soulevait pour renverser leur ascendance ?
La vérité au cœur de ses mots me laisse pantoise. Jamais je n’avais vu la puissance des monarques sous cet angle. Ils nous apportent un équilibre sain en faisant régner des lois pour maintenir une équité entre chacun d’entre nous.
— La question ne se pose même pas. Ils sont en lien avec le grand esprit, fondateur de notre existence.
— Encore une fois, je te trouve bien naïve. Notre quête dans les contrées astrales t’ouvrira sûrement les yeux.
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