Fyctia
Au cœur des âmes - Chapitre 1
Je ne devrais pas être ici. Mon cœur gronde dans ma poitrine et me le rappelle à chaque battement, tout comme ma respiration anarchique.
Mais, animée par ce perturbant rêve de la nuit dernière, je laisse mon index parcourir le dos en cuir usé des vieux grimoires devant moi. Sur ces étagères en bois foncé, je suis à la recherche d’un ouvrage particulier. Je n’ai pas pu en comprendre le titre, cependant la disposition des lettres en or, abîmées par le temps, reste gravée dans ma mémoire.
Le bruit de mes semelles en cuir s’étouffe sur le sol en granit de la bibliothèque de Solis. De la poussière se soulève à mesure où j’avance dans cette section peu visitée. Elle me prend à la gorge, manquant de me faire tousser à plusieurs reprises. Pourtant, c’est comme si j’étais dans un autre monde. J’avance, guidée par une énergie étrange.
— Te voilà ! soufflé-je en tombant nez à nez avec le livre ancien de mes songes.
Sans attendre, je l’extirpe de sa place, en ouvre la première page et… comment est-ce possible ?
Sur le papier altéré par les âges, des lignes et des lignes sont écrites dans un langage dont je ne comprends pas le sens. Ces mots avaient pourtant une signification dans mon rêve. Cela expliquait l’épopée d’un homme dans les contrées astrales.
Pourquoi ne suis-je pas en mesure de les déchiffrer aujourd’hui ?
— La section sur les remèdes plus puissants se trouve au fond de la salle, indique au loin le bibliothécaire.
Des pas résonnent dans ma direction. Qui que cela soit, personne ne doit me voir ici !
Sans attendre, je range un ouvrage trouvé dans le département des Animalia à la place du vide laissé par le mystérieux grimoire. Je coince ce dernier dans mon pantalon, puis arrange mon étole en coton afin de le cacher.
Une fois prête, je m’éloigne de la section aussi silencieusement que possible. La bibliothèque n’est pas l’endroit où les jeunes de mon âge se rassemblent le plus. Ils préfèrent s’amuser près de la rivière en contrebas de Solis ou apprendre à combattre.
Moi, je passe mon temps à étudier les techniques de tannage du cuir ou le mode de fabrication d’armes dans les livres, puis à les mettre en pratique avec mon père.
Concentrée dans mes pensées, je tourne à l’angle de la rangée et…
— Leïka, m’accueille une voix nasillarde.
Mon souffle s’en coupe aussitôt, mais je me reprends vite.
— Monarque Iktómi, le salué-je d’un mouvement de buste.
Le livre caché s’enfonce dans mon ventre, cependant je parviens à garder mon calme devant l’un de nos chefs de clan.
Le chaman m’adresse un sourire bienveillant, pourtant toute l’essence de son patronyme me fait frissonner. L’araignée est son animal totem, et j’ai la sensation qu’il m’observe sous toutes les coutures, de la même manière qu’il le ferait s’il était métamorphosé, avec huit paires d’yeux d’un noir aussi sombre que la nuit.
— Ne devrais-tu pas profiter de tes proches avant le départ pour les contrées astrales ?
— Je venais trouver un ouvrage à emprunter pour le voyage, mens-je sans sourciller.
— Si tant est que tu reviennes pour le rendre. Ce que je te souhaite. Cela signifierai que tu as trouvé ton animai. Penses à demander si une copie existe. Nous n'aimons pas que des exemplaires uniques disparaissent.
Son regard perçant me met mal à l’aise, comme s’il pouvait me sonder malgré moi.
— Je l’espère aussi, et je n'y manquerai pas, Monarque Iktómi.
Je le salue de nouveau puis détale aussi sec. Sa peau blanche, presque translucide, me glace le sang, comme si la chaleur de la vie l’avait quitté et que je pouvais ressentir le froid de son âme.
Lorsque je regagne l’extérieur, un soleil voilé de brume m’accueille.
Il est encore tôt, mais la cité s’active depuis l’aurore. Sur le sentier pavé, qui mène du cœur du village jusqu’aux maisons en bordures extérieures, j’observe les constructions.
Faites de colombages en bois et de torchis, les nuances de la terre se mélangent pour former un ensemble harmonieux. Chaque habitation possède une avancée sous porche, ce qui permet aux artisans de travailler à l’abri du soleil, la journée. Seuls ceux qui opèrent dans les champs en bordure de la cité subissent sa chaleur brûlante.
Sur mon chemin, plusieurs métamorphes me saluent chaleureusement. Nous cohabitons tous sans encombre même si différentes espèces prospèrent à Solis. En dehors de la cité, nous nous entretuerions, mais, ici, la cohésion instaurée par les quatre monarques est de mise.
Cela permet aux plus fragiles de ne pas se faire tuer. Car nous possédons une âme animale, appelée animai seulement, les jeunes âmes ne supportent que très rarement la cérémonie de l’union. Vivre en harmonie nous permet donc de nous protéger et de nous préparer avant le grand départ vers les contrées astrales. Ce lieu regorge de magie et d’animaux sauvages parmi lesquels nous devrons trouver notre âme animale.
Chaque année, à l’aube du printemps, les adolescents ayant atteint leur dix-huitième hiver s’y rendent. Tous ceux des cités alentour viennent à Solis, puis nous sommes escortés jusqu’au poste d’avant-garde.
Pendant trois années, nous parcourrons des plaines étendues, des montagnes escarpées, des mers hostiles ou la forêt légendaire, en quête de notre double.
Car l’animai est bien plus qu’une simple loutre, ou un banal aigle royal. Son cœur bat à l’unisson du nôtre.
Une fois nos âmes liées, nous possédons la capacité de nous transformer. Les villageois se servent de la métamorphose pour effectuer les tâches du quotidien, les gardes pour protéger Solis.
Quant à ceux qui ne parviennent pas à trouver leur Animai…
— Tu comptes encore aller chez le voisin ? raille ma mère, me ramenant ainsi au présent.
Je tourne la tête vers elle. Un sourire barre mes lèvres lorsque je réalise avoir dépassé notre maison pour atterrir devant celle de mon meilleur ami et voisin. Il s’étire encore un peu plus quand mon cœur accélère dans ma poitrine. D’ici quelques jours, je vais le retrouver, une année après son départ pour les contrées astrales.
Waban, prépare-toi, nous allons enfin nous retrouver pour la plus grande de toutes nos aventures !
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Leona
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