Fyctia

- Qu'est-ce que tu bois Nina ?

Je relève le visage vers Elise, toute souriante et excitée. Je tente de faire bonne figure, mais la vérité me rappelle à l'ordre : je ne connais aucune de ces filles, à part elle. Et je m'ennuie. Mortellement.

- Hum... Je sais pas.

J'hésite en étant absorbée par la jeune fille sur la scène. Elle chante du Lorde, d'une façon presque aussi magique que l'originale. Pourtant les personnes autour ne lui prête pas l'attention qu'elle mérite.

- Nina ?

Je reviens sur terre, combien de temps m'ont-elles fixées, comme si j'étais une ahurie ?

- Je vais prendre un truc sans alcool, je conduis. Mais je peux aller prendre la commande, qu'est-ce que vous voulez ?

- Une deuxième bouteille ? Demande Elise aux filles en désignant la première bouteille de champagne, déjà vide.

Elles acquiescent toutes avec un large sourire et je me contente d'en offrir un, légèrement forcé. J'adore Elise, mais il aurait peut-être été préférable de lui dire au revoir au travail. Ici, je me sens comme une bête de foire. Nous nous sommes entendues à merveille durant ces deux dernières années à bosser ensemble, à nous raconter les potins, à partager notre déjeuner. Mais maintenant, je ne sais pas trop comment suivre leurs conversations. Je m'éloigne de la table pour rejoindre le bar, ignorant aux passages certains regards masculins qui me dérange. J'aurais peut-être dû mettre ma bague de fiançailles à la main gauche, histoire de laisser penser aux hommes que je suis mariée - et comme si cela suffisait à les dissuader de regarder les femmes comme des morceaux de viandes.

Le barman ne me voit pas mais j'essaie de garder patience, après tout, il y a du monde. Je regarde la jeune femme chanter de nouveau, j'adorerais pouvoir être à sa place, mais je chante comme une casserole. Je regarde la foule autour de moi, il y a de plus en plus de monde, c'en est étouffant. Je me suis déjà amusée en boite, bien que rarement, mais assez pour dire que, lorsque nous ne sommes pas dans l'ambiance, le meilleur des clubs peut nous paraître totalement nul. Une sensation sur mon bras me chatouille et je tourne le visage en même temps que ma main vient toucher la zone, comme si un insecte s'y était posé. Un homme me sourit et me montre du doigt le barman, celui-ci me fixe, impatient. J'ai été patiente, moi, ai-je envie de lui balancer. Pourtant je n'en dis rien, et c'est plutôt mes yeux qui ne savent plus où regarder. Je tourne le visage pour le revoir, une seconde de plus. Il n'est plus là. Je regarde de nouveau le barman et je lance ma commande avant de m'excuser, tout de même. Je tourne le visage vers la droite, ce visage... Et puis mon cerveau m'envoie une menace : calmes-toi Nina, c'était juste un beau mec. Je savais que cette sortie était une mauvaise idée.

- Eh, tu peux aller t'asseoir, on vous apportera la commande.

Qu'elle cruche, me murmure-je. Comme si j'étais capable de porter une bouteille de champagne et un coca sans tout foutre au sol. Je souris au barman, il en fait de même de façon poli, et je retourne m'asseoir. Je dis aux filles que la commande arrive mais je ne suis pas sure qu'elles m'aient entendu. Je joue avec mes cheveux châtains clairs, ma collègue me sourit plusieurs fois, consciente du fait que je n'ai rien à faire ici. Je devrais peut-être boire un ou deux verres pour me décoincer, mais Julien, mon fiancé, me tuerait s'il l'apprenait. " Ne te laisse pas influencer par ces dépravés" m'avait-il suggéré sur le ton d'un ordre. Ces filles n'ont pas l'air méchantes, et encore moins dépravées. Elles s'amusent, voilà tout. Et j'ai l'air d'être chiante à mourir. On ne parle pas tant que ça en boite, il va vraiment falloir que je fasse quelque chose. Alors je regarde autour de moi. Les gens ne sont pas encore dans l'ambiance. La boite fait resto jusqu'à 23h, il est encore tôt, mais je vais devoir me décider avant que tout le monde ne déserte la table. Il est hors de question que je parte, je me suis attachée à Elise, nous avons passé beaucoup de bons moments ensemble et elle va me manquer. Alors autant profiter au maximum de sa présence. Et ce serait cool de lui offrir la meilleure version de toi-même, me suggère-je intérieurement.

La jeune fille arrête de chanter alors que nos boissons arrivent. Un groupe joue de l'instrumental et je bois une gorgée avant de balayer une fois de plus la salle du regard. Il y a des couples en train de se rouler des pèles, des filles déjà beurrées, des gars également, essayant en vain d'obtenir un numéro. Et puis je le vois, une seconde fois. L'homme qui m'a touché le bras pour me faire revenir sur terre. Ses cheveux sont bruns, son teint légèrement hâlé. Il est tout sauf le style d'homme que j'aurais regardé si j'avais été célibataire, parce que je sais que c'est le genre de mec qui brise le cœur de toutes les filles sur son passage. Il tombera amoureux un jour, éventuellement. D'une fille qui aura assez de caractère pour le mener à la baguette. C'est plutôt drôle, car son expression enfantine s'oppose à sa carrure. Il semble être jeune, il a dans son regard quelque chose de joueur, mais son corps empêcherai n'importe qui de trop plaisanter avec lui. Il sourit à un type en face de lui avant de rire plus franchement. Je le reluque avant de tourner la tête, qu'est-ce qu'il me prend de regarder les gens comme ça ?