Fyctia

Charlie s’éloigne presque en sautillant pour rejoindre la tablette reliée au système de son de la maison. Les premières notes démarrent, je reconnais le groupe phare de maman, mais pas la chanson. En revanche, les paroles ne me plaisent pas des masses… Surtout lorsque ma très chère grande sœur revient en chantant à pleins poumons :

— Please just forget about me, Cancel out my name, Please never write to me ...

L’assemblée entière se tourne vers moi. Le regard de ma mère, réprobateur, est lui dirigé vers mon adorable sœur. Celle-ci croit bon de se justifier.

— Quoi ? Je pensais te faire plaisir en mettant la dernière chanson de tes chouchous !

— Cette fois c’en est trop Charlie ! gronde froidement notre père.

Ce qui a le mérite de faire cesser les pitreries de notre artiste en herbe.

Les voilà les fameuses larmes qui me faisaient défaut jusque-là.

J’écarte autant que possible les paupières puis les papillonne, afin de contenir le plus possible, le torrent en approche. Une fois les vannes ouvertes, elles ont du mal à se refermer. Une traitresse se fraie tout de même un chemin sur ma joue.

Entre Charlie et moi, c’est l’amour vache. Une sorte de guérilla permanente se joue lorsque nous nous trouvons dans la même pièce. J’ai toujours eu l’impression qu’elle m’en voulait, mais de quoi ? Enfant, elle était mon modèle. Elle m’a bien fait comprendre que ma proximité et mes sollicitations l’indisposaient. Nous nous sommes vite mis à nous parler à coups de sarcasmes et autres piques, c’est à celle qui aura le dernier mot. Cette fois, elle va un peu loin à mon goût. C’est méchant. Même si elle a toujours cherché à me titiller, je ne me suis jamais dit qu’elle tentait de me blesser. Je devais me tromper.

Je retrouve enfin l’usage de la parole, sans que j’aie vraiment le contrôle du contenu. Je veux juste éviter à la situation de s’envenimer plus par mon silence. Et ne pas laisser à ces regards compatissants l’occasion de s’installer. Ça ne m’est d’aucune aide.

— Tu sais quoi, tu as raison Charlie. Quelle perspicacité ! Tu aurais presque pu écrire le discours de Stan. Figure-toi qu’avant que vous n’arriviez, monsieur me disait qu’il pensait ne plus m’aimer. Juste après m’avoir demandé de lui passer la tarte. Apparemment, ma remplaçante, une certaine Coralie, s’est faite fort de le travailler au corps pour qu’il le réalise.

Sans réduire mon débit de parole, je m’échine à ramasser le reste du plat un peu partout éparpillé. Pour réparer mes bêtises, tout autant que pour éviter leur regard.

— En tout cas, je suis ravie de constater à quel point il t'est plaisant de me voir souffrir. Comme tu le dis si bien, j’adore que ma déchéance soit le centre de l’attention. Sur ce, vous m’excuserez… Maman, le repas était vraiment très bon, mais je suis crevée. Ça te gêne si je vais me reposer un moment dans mon ancienne chambre, avant de reprendre la route ?

Après un regard décontenancé à mon père, elle me répond :

— Bien sûr que non ma chérie, c’est toujours la tienne.

Elle me serre dans ses bras, je me tends et reste figée. Le menton sur son épaule, je l’écoute me promettre d’une voix douce :

— Ne te laisse pas abattre. On est là et on t’aime tous. N’en doute jamais. Y compris ton imbécile de sœur avec qui ton père et moi allons avoir une petite conversation…

— Laisse tomber m’man, c’est pas grave. Merci.

Après un baiser sur sa joue, je me retourne afin de rejoindre l’étage. Charlie m’interpelle.

— Angie, attends. Pardonne moi, j’ignorais… enfin plutôt, je pensais…

Je ne m’arrête pas et préfère retrouver aussi vite que possible la chaleur de mon cocon d’enfance.