Fyctia

Mon père reconduit mon ex vers la sortie, tel un videur raccompagne un perturbateur de fin de soirée. Je réalise alors le pourquoi de cette dernière tirade. La famille au grand complet nous a rejoints. Et avec deux frères, une sœur, leur moitié et deux neveux, autant dire que je me sens acculée. Pourtant la maison est loin d’être petite !

Étant la benjamine, tout le monde a toujours cru opportun de mettre son grain de sel dans ma vie. Les précieux conseils sont légion et les remontrances vont bon train si j’ai le malheur de « n’en faire qu’à ma tête », comme ils disent. Chacun à sa manière bien entendu. Les joies d’une fratrie…

Pour Mick, l’aîné, le factuel prédomine :

— Au moins, cette crise s’est vite conclue et en douceur, voyons le bon côté des choses. Pas de casse, très peu de cri et un abruti prétentieux en moins. Maintenant, peut-on connaître la raison de cette agitation ?

À Charlie, la troisième, de nous servir l’une de ses réflexions blasées, dont elle a le secret :

— Laissez tomber, elle nous fait encore sa Angie. Madame a toujours aimé être le centre de l’attention.

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle excelle dans l’art du réconfort…

— Intéressant. C’est une antonomase que je ne connaissais pas. crois-je bon de la provoquer.

En même temps, elle m’énerve. Mais grâce à elle, j’ai pu au moins placer mon mot du jour. Je n’aurais pas parié dessus.

— Qu’est-ce que je vous disais ?...

— Charlie, tu n’aides pas là ! s’immisce maman. Dois-je te rappeler jeune fille, que Thanksgiving est jour de gratitude. Si tu n’es pas capable de gentillesse pour ta sœur, à défaut de compassion, je préfère ne pas t’entendre. Va plutôt voir ce que font tes garçons, ça marche ?

Charlie baisse la tête. Je suis toujours trop sonnée pour m’en réjouir.

— Non, ça ne marche pas, ça n’a pas de jambe le silence…

Ah oui, il y a aussi Jagger qui fait… ben son Jagger en fait.

Moi aussi je sais jouer des antonomases. Prends ça dans les dents, Charlie !

J’ai souvent entendu dire que les deuxièmes nés ont des difficultés à trouver leur place au sein d’une famille. Lui nous fait bien part de sa présence avec son humour douteux et ses blagues compris de lui seul.

Au cas où ce ne soit pas encore assez clair, ma mère est une fan inconditionnelle des Stones. Donc Jagger est bien son nom de baptême et non un surnom. Sur ce coup, je ne m’en suis pas trop mal sortie, j’avoue… lui un peu moins. Ceci dit, il n’en a jamais réellement souffert. Son poste d’ailier défensif a dû aider, je suppose. En même temps avec son mètre quatre-vingt quinze et ses cent vingt kilos de muscles, je défie quiconque de tenter une moquerie. Les plaquages, c’est son truc. Et il maîtrise si bien la chose, qu’il a été rapidement repéré par les Eagles de Philadelphie pour qui il a joué près de quatre ans. Pour intégrer par la suite les Giants de New York qu’il n’a plus quitté depuis, lui permettant de réaliser un rêve et de se rapprocher de la famille.

— C’est quoi cette merde ?

Charlie, le retour… qui pourrait penser que l'un de ses points forts dans son métier est son éloquence ? Quoique, je ne lui donne pas tout à fait tort sur ce coup. J’ai beau aimer les fêtes de fin d’année, quelle idée de commencer les chants de Noël en novembre ?

— Ton langage ! la rabroue notre mère. Tu n’as qu’à changer de morceau si celui-ci te révulse tant. Pas besoin de tant de grossièreté.

Un joyeux « Vive le vent » résonne dans la pièce. Bien loin de mon humeur actuelle. Une habitude, pour ne pas dire une coutume, dans la famille : la présence permanente de musique à chacune de nos réunions. Je parle volontairement de présence, parce qu'à ce niveau elle prend autant de place qu’une personne à part entière.

Les fêtes nous octroient un avantage : chacun a son droit de veto en cas de gros désaccord. Il a alors pour mission de fournir le prochain morceau. Le jeu est parfois à celui qui en passera le plus de ses goûts sans qu’un autre n’en change. Un privilège et pas des moindres, car j’ai beau aimé de tout mon cœur ma mère et n’avoir rien contre Mike Jagger and Co., ni même mon prénom, leurs chansons commencent par me sortir par les oreilles. « Angie » en tête !

— Je vais lancer un morceau que tu ne pourras que valider ! En plus, il est de circonstance.

Pourquoi je ne le sens pas ?