Fyctia
Chapitre 1.2
Un nouveau torrent de larmes se déverse.
De retour à la case départ, une fois de plus. J’y ai cru pourtant. J’étais persuadée que Sam était le bon. Il avait l’air si parfait : à l’écoute, attentionné… il adorait me préparer les plats que j’affectionne. Cela dit, depuis le temps, je devrais le savoir : trop de gentillesse, c’est louche. Caro me le répète bien assez !
On venait tout juste de fêter nos un an. Ma plus longue relation. Je pensais qu’on allait passer à la vitesse supérieure et finalement emménager ensemble !
Car non, je ne me suis jamais posé de questions quant au fait qu’il préférait attendre ou qu’il se dévoilait très peu. Un excès de pudeur l’expliquait. Pas plus que ses absences à répétition ne m’ont fait douter. Après tout, c’est monnaie courante chez les militaires.
Enfin, je le croyais ! Comment aurais-je pu deviner que l’uniforme qu’il revêtait n’était que de la poudre aux yeux ? Comment même imaginer que ses fameux déplacements lui permettaient en fait de retrouver son épouse et ses enfants, m’affichant ainsi comme « l’autre femme » ?
Le bruit d’un verre qu’on claque sur la table interrompt mes larmoiements. Je me redresse sous l’effet de la surprise.
— Bois ça, m’ordonne Matt. Ça ira mieux après. Enfin, il te faudra tout de même manger quelque chose d’un peu consistant.
— J’peux plus rien ingru… ingu… avaler. Je vais gerber.
— « Gerber » ? Effectivement on a du souci à se faire si Angie se met à utiliser de tels mots, s’inquiète une Audrey à peine dans l’exagération.
— Ça ne te fera pas de mal. Bois ! poursuit Matt, comme si de rien n’était.
Mon corps réagit par réflexe. Je prends le verre et le descends d’une traite. Dans quel monde obéit-on à quelqu’un qui nous parle de cette façon ? Mais après tout, je ne suis plus à une humiliation près. Et puis, Matt n’a eu de cesse de m’aider, au fil des années, donc il ne cherche pas à me tuer.
Quoi que…
Des haut-le-cœur me secouent avec violence, tandis que des remontées me brûlent l’œsophage. Je dois aller vomir…
— Les filles, amenez-la aux toilettes le temps que je lui prépare un verre d’eau.
Je me redresse comme un diable hors de sa boîte et manque de m’effondrer sous l’effet du vertige qui accompagne ce regain d’énergie. Par chance, je peux compter sur mes deux amies pour me soutenir chacune un bras. Ce qu’elles risquent de regretter d’ici peu. Je doute de parvenir à me retenir assez longtemps pour éviter un accident !
Matt nous place toujours dans un coin en retrait de la salle principale, au-dessous de l’espace mezzanine, derrière une séparation faite du même bois foncé que la majeure partie de l’établissement et, à ma grande chance, proche des commodités. Avec le recul, je me demande s’il n’essaierait pas de nous cacher…
Je ne sais par quel miracle je parviens à tenir jusqu’à destination… enfin, plutôt jusqu’au premier lavabo croisant mon champ de vision. Audrey me maintient les cheveux tout en me caressant le dos, tandis que Caroline tente de contenir des haut-le-cœur par des sons fort peu gracieux.
— Vous m’excuserez les filles, mais là, c’est trop pour moi. Je vais filtrer les entrées, lance-t-elle avant de nous abandonner.
— Dois-je te rappeler qui est responsable de son état ? lui rétorque au passage une Audrey pas vraiment courroucée.
Quelques minutes me sont nécessaires pour soulager mon estomac du trop-plein. Une fois chose faite, j’ai la sensation qu’un voile se lève devant mes yeux. J’arriverais presque à repenser normalement. C’est agréable… beaucoup moins le marteau piqueur qui a volé la place au brouillard dans mon crâne.
Je me rince la bouche et m’asperge le visage avant de remercier mon soutien qui ne m’a pas lâchée. Je parviens même à rejoindre notre table sans trop d’assistance.
— C’était quoi ce truc dégueu ? vitupéré-je Matt, qui s’évertue à me servir un verre d’eau.
Sa tâche accomplie, il se penche un peu trop près à mon goût, et souffle à mon oreille :
— Un remède de mon invention pour les soulardes dans ton genre.
C’est un sourire que je vois ? Je rêve ou il se moque de mon état ? Un frisson me traverse.
— S’il pouvait aussi empêcher la gueule de bois… ironisé-je.
Celle qui se prépare promet d’être carabinée.
J’empoigne le torchon sur son épaule et le lui balance en pleine figure, avant de me masser les tempes en serrant les paupières. Il s’éloigne enfin.
— Vous êtes vraiment mimis tous les deux. C’est à gerber ! C’est lui que tu devrais sauter plutôt que des abrutis du genre de ce militaire de mes deux !
— Caroline ! Que t’ai-je répété au moins cent fois à propos de la délicatesse ? la houspille Audrey.
— Une connerie du style « le tact, c’est la petite poudre que tu mets sur les fesses de tes phrases pour qu’elles soient douces ». J’y peux rien, moi je travaille à sec.
Mon ange lève les yeux au ciel. Ce qui amuse un peu plus ma diablesse. Elle n’en perd pas le Nord pour autant.
— Sonnez l’hallali ! Je dépose les armes, c’en est fini de l’amour pour moi ! lancé-je de manière théâtrale, afin de couper court à la discussion en prévision.
Caroline hausse un sourcil, là où Audrey étouffe un rire. Je sursaute quand la voix de Matt s’élève. Mon cœur s’accélère sous l’effet de la peur. Que fait-il derrière moi ?
— C’est quoi encore ça ? Un de tes fameux mots du jour ?
Mes yeux pétillent dans l’instant et ma bouche s’incurve. Décidément, Matt me connaît trop bien.
Non pas que j’aie réellement de « mots du jour », mais j’ai toujours été fascinée par notre langue et ses subtilités. J’aime les beaux termes ou ceux qui sortent de l’ordinaire, car anciens ou peu usités. Et je ne parle pas des expressions… Bien souvent, on m’a reproché d’être hautaine à cause de ça. Je suis pourtant capable d'user d'un langage plus familier.
Mais par moments, l’un d’entre eux fait irruption dans mon esprit et ne s’en déloge que lorsque je suis parvenue à l'utiliser. Du coup, c’est presque devenu un jeu.
— Bingo ! J’ai assuré, avoue ? Il fallait le placer celui-là !
Il ne répond rien, se contentant de me fixer d’une mine pseudo attendrie.
— Quoi ? Pourquoi tu me regardes comme ça ? Vas-y, sors-la ta bêtise !
— Tout de suite les grands mots. Je me disais juste que cela faisait du bien de te voir sourire.
Mes joues s’échauffent, je détourne les yeux. Caroline et Audrey ont un air de conspiratrices qui me met mal à l’aise. Ma petite démone aux cheveux écarlates profite de la diversion pour plonger de nouveau dans le sujet qui fâche.
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LauAl
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Lély Morgan
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Guyanelle
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