Fyctia
Chapitre 2
Je n'avais pas remarqué qu'il était si proche. Milan Montmarcy. Quand le coup de feu avait détonné, il m'avait prise dans ses bras. Comme pour me protéger. Il sentait le feu de bois. Une discrète odeur d'eau de Cologne était aussi venue chatouiller mes narines. Rapidement, une milicienne nous avait séparés pour exfiltrer le premier Commissaire de Paris, j'avais senti les menottes enfermer mes poignets. Notre regard s’était rencontré une dernière fois, mon cœur avait fait une embardée et il avait disparu.
On m’avait forcée à enjamber le cadavre de Romain. Son regard à lui était vide.
« Ne pleure pas », m'avait chuchoté Margaux.
Elle aussi avait été emmenée à la préfecture de police pour être interrogée. La veille, nous nous étions mis d'accord sur une version alternative des faits au cas où notre plan tournerait mal. Ils n'avaient aucun moyen de savoir que nous partagions un appartement tous les trois. Nous n'avions plus d'existence civile depuis la vague de froid et la révolution.
Nous restions silencieuses, tremblant l'une contre l'autre. La cellule de garde-à-vue était pleine à craquer. Autrefois, la présence des autres m'irritait, dans les transports ou dans la rue. Aujourd'hui, j'avais besoin de me sentir entourée. Entendre les autres renifler ou inventer des jeux stupides pour patienter me rassurait.
De temps en temps, le cliquetis des clés nous indiquait que l'un d'entre nous allait être pris à part pour un interrogatoire. On se rasseyait droit et on ouvrait grand les yeux.
Romain était mort. Son corps avait probablement déjà été nettoyé de l'avenue. Demain, à l'aube, il serait emmené dans une charrette avec les autres cadavres au delà de la porte Molitor pour être enterré dans une des fosses communes aménagées en dehors de Paris. Je ne saurais jamais où me recueillir. Le froid faisait oublier, de toute façon. Il me faudrait l'oublier.
« Tu as vécu pire, tu es forte », me répétait Margaux quand elle me sentait faiblir.
Les vagues de froid avaient commencé en décembre 2023, venues de Sibérie. Personne n'y avait été préparé, on n’avait pas pensé que le réchauffement climatique engendrerait des anticyclones de cette ampleur.
Le prix du carburant avait déjà trop augmenté, celui de l'électricité s'était envolé. Il était devenu impossible de se chauffer, on avait commencé à ne plus allumer la lumière à la tombée de la nuit. Toute la France avait fini par se soulever contre la précarité énergétique. Finalement, le froid avait rendu impossible toute production d'électricité, les pays étrangers avaient cessé de nous exporter du pétrole.
La situation avait dégénéré à Paris. Ceux qui avaient pu fuir à temps avaient fui. Le gouvernement s'était replié à Bruxelles et à Strasbourg. Incapable de neutraliser les séditions sans menacer de détruire la ville, l'exécutif avait trouvé judicieux de fermer Paris sur lui-même. Plutôt que de mener une guérilla épuisante et dépensière, il valait mieux laisser les parisiens s'entretuer.
Les révoltés avaient rapidement revendiqué l'héritage de la commune, tous menés par le charismatique MMM. Le programme était simple : expropriations et pillages, au moyen du crime s'il le fallait. Le camp était divisé en deux, les communards et les lésés. Mes parents avaient été assassinés le soir-même où les communards étaient entrés chez nous par effraction.
La situation ne s'était régularisée qu'il y a un an. Montmarcy avait organisé ses alliés en micro-gouvernement de transition, installés dans ce qu'il restait du Sénat. Au nom de la démocratie, il était censé représenter le peuple de Paris, parlementer avec l'exécutif et aider à un retour à la normale. Le défilé d'aujourd'hui avait été symbolique. On commençait par rallumer la flamme du soldat inconnu, emblème national, avant de renouer avec les institutions européennes.
Tout le monde savait que les ambitions de Milan Montmarcy n'étaient pas là. Il voulait plus. Il fallait l'arrêter, et Romain avait échoué.
« Je vous dis qu'elle n'a rien fait. Je l'ai vue de mes propres yeux... » entendis-je grogner dans le couloir.
Quelqu'un ouvrit la serrure de la cellule.
« Vous oseriez me contredire, M. Collet ? » continua la voix.
La figure entra dans la pièce, suivi du préfet de police et de deux miliciens en combinaison de kevlar. Milan Montmarcy scanna la pièce du regard et s'arrêta sur moi. Mon estomac fit un bond. Il esquissa un sourire si doux et communicatif que je ne pus m'empêcher de le lui rendre. Ses traits s'étaient apaisés à ma vue.
Il tendit une main dans ma direction, puis se ravisa.
« C'est elle. Faites-moi le plaisir de la sortir d'ici, M. Collet, avant que je ne décide de remettre en question vos compétences », déclara-t-il d'une voix plus tendre.
Il disparut. Un des miliciens m'attrapa par le col de mon manteau pour me mener hors de la cellule. Margaux me lança un regard serein, signe qu'elle s'en sortirait très bien sans moi, que je devais obéir. On me retira mes menottes et on me fit asseoir sur un fauteuil. Une femme enregistra une série d'informations à mon sujet :
Prénom : Judith
Nom : Morozova
Date de naissance : 29 janvier 2005
Sexe : F Taille : 1,65m Couleur des yeux : gris
Sans domicile.
Sans me prévenir elle me photographia et fit imprimer deux cartes. Elle m'en confia un exemplaire. Puis, un milicien armé d'un fusil d'assaut me guida à l'extérieur du bâtiment où il m'ordonna de le suivre. Je glissai sur une plaque de verglas, le milicien me rattrapa de justesse.
« Où est-ce qu'on va ?
— Au Sénat. »
On faisait artificiellement fondre la neige autour du Palais du Luxembourg, si bien que mes chaussures faisaient crisser les graviers. Un bruit que je n'avais pas entendu depuis des années. Mon père avait aimé m'emmener jouer dans le parc quand j'étais petite. Il me parlait de Marie de Médicis et de Richelieu et je l'écoutais, admirative, sans retenir ses histoires.
Nous contournâmes le palais et quelques bosquets pour atteindre le petit Luxembourg. Après avoir brossé mes bottes, pleines de neige et de crasse, je pus grimper les marches d'un escalier couvert d'un tapis rouge en velours. Je laissai ma main glisser sur la rampe faite d'entrelacs de pierre. Au-dessus de moi, une peinture aux personnages dénudés s'étendait dans une calotte ovale.
Je fus abandonnée dans un salon aux lambris blancs, ornés de corniches dorées. Un feu crépitait dans l'âtre, je me précipitai vers la source de chaleur. Mon regard fut attrapé par l'immense tableau accroché au-dessus de la cheminée.
Je n'avais pas assisté à cette scène, place de la République, mais c'était comme si je l'avais vécue moi-même. Milan Montmarcy, hissé sur la statue de la République, brandissant une torche qui allumerait le brasier géant, fait des meubles et du parquet arrachés aux appartements pillés dans tout Paris.
Ce bûcher avait signé son ascension politique. Dans un grondement, j'entendis des voix se rapprocher. Une porte fut ouverte derrière moi.
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StarryHand
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Il y a 3 ans
Maxandre Chamarré
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chaa
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Maxandre Chamarré
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Emeline_Ka
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Nina Terbe
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Sue_Auteure
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Maxandre Chamarré
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Nina Terbe
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