Fyctia
Chapitre 3
Je me retournai, honteuse de m’être réchauffée près du feu avec autant d’appétit. Deux hommes étaient entrés dans la pièce. Montmarcy s’était arrêté à quelques mètres de moi, ébahi, frottant quelque chose d’invisible entre son pouce et son index. Il n’était vêtu que d’une chemise blanche et d’un gilet marron en pied de puce, assorti à son pantalon.
J’aurais voulu ôter mon manteau avec autant d’aisance. J’aurais dû. Pour anticiper le moment où je regagnerais les rues glaciales. Ces dernières années m’avaient appris à prendre froid pour retrouver la sensation d’avoir chaud. Mais je voulais tellement profiter de cette température, être enveloppée jusqu’au bout, aller jusqu’à la fièvre.
Une goutte de sueur coula sur ma tempe, je m’agenouillai pour supporter les vertiges. Montmarcy déglutit et regarda l’autre homme avec réprobation.
« Vous voyez bien qu’elle n’est pas bien, allez chercher un médecin ! » commanda-t-il.
L’homme s’éclipsa et le premier Commissaire prit ma main pour me relever. Sa main était encore plus chaude que la mienne. Et je bouillais. Il m’aida à m’asseoir sur un des fauteuils et prit place en face du mien.
« Je suis désolée, murmurai-je, clignant des yeux pour récupérer mes sens.
— C’est moi qui suis désolé. Je suis sincèrement désolé et c’est pour vous dire ça que je vous ai fait venir ici. Les miliciens n’auraient pas dû vous arrêter. »
Je ne savais pas quoi répondre. Si tout s’était passé comme prévu, MMM ne serait pas ici devant moi. Il posa ses coudes sur ses genoux, ne me quittant pas du regard. Je sentais mes paupières tomber, les dorures du plafond se confondaient.
« Je sais que vous êtes innocente parce que je vous regardais, vous. À tel point que je n’ai pas vu mon assaillant, qui était juste derrière », compléta-t-il.
Voulait-il croire à ce point à mon innocence ? N’avait-il pas vu Romain extraire le revolver de la poche de ma robe ? Je refusais de croire à ses mots.
« Comment vous appelez-vous ?
— Judith.
Je tournai la tête en direction du miroir accroché au mur. La chaleur de la pièce avait fait affluer le sang dans mes joues, devenues cramoisies.
— Milan », répondit-il en me tendant sa main.
Je m’en emparai faiblement. Le docteur entra. Il parvint vite à la conclusion la plus évidente : j’avais trop chaud. Je luttais pour ne pas perdre connaissance.
« Avec un visage pareil, on convertirait n’importe quel parisien en communard, entendis-je prononcer.
— C’est exactement ce que je me suis dit en la voyant pour la première fois, répondit Montmarcy.
L’homme s’esclaffa.
— Montmarcy veut en faire le visage de la campagne de printemps !
— Avec le retour des beaux jours, tout le monde sera ravi de contempler un visage pareil. En grand, place de la Concorde, rêva Montmarcy.
— Si elle survit aux beaux jours ! Ça fait deux ans que son corps n’a pas ressenti plus de vingt degrés, blagua l’autre homme.
Le premier Commissaire se pencha au-dessus de moi et inclina la tête. Ses boucles, encore humides de sa promenade en extérieur, retombaient autour de son front. Ses pupilles étaient dilatées, enfermées dans leurs orbes vertes.
— Qu’en pensez-vous Judith ?
— Je ne sais pas, je ne sais pas… » murmurai-je.
Un courrier d’Olaf Scholz arriva et l’attention fut détournée du spectacle que j’offrais. Je profitai de la chaleur, échouée sur mon siège, pendant quelques minutes, ou peut-être quelques heures. J’insistai ensuite auprès du médecin pour quitter le petit Luxembourg.
- ***
« C’est clair, il veut te baiser, conclut Margaux en me tendant un morceau de pain.
— Comment est-ce que j’ai fini là ? C’est irréaliste, me lamentai-je.
— Cette journée est irréaliste.
Je relevai le regard sur ses yeux rougis. Nous nous étions promises de ne plus pleurer pour aujourd’hui, nous n’avions plus de quoi nous moucher. Je mordis dans mon morceau de pain et décidai de laver nos mouchoirs en tissu dans une bassine pleine d’eau de neige. Je m’emparai d’un de nos savons.
Pour survivre, Margaux, Romain et moi nous étions lancés ces derniers mois dans la saponification à froid. Nous avions récupéré des parfums, des huiles et de la soude dans des appartements abandonnés. Cette activité nous avait permis de subvenir à nos besoins, jusque-là.
Je profitai de l’eau savonneuse pour me laver. Dans un studio, les uns sur les autres, les barrières intimes étaient vites tombées. Je n’avais plus aucun scrupule à me déshabiller devant Margaux. Seulement, elle ne s'était pas doutée à quel point les barrières intimes avaient pu se dissoudre dans cette pièce.
Elle poussa un cri.
« Judith ! »
Elle se précipita contre moi et ses mains se posèrent de part et d’autre de mon nombril. J’avais perdu la notion du temps et de mes cycles. Peut-être aussi avais-je redouté le fait de l’annoncer à Romain, puis à Margaux. Plus probablement encore, je craignais d’accoucher d’un enfant dans un monde pareil.
Mon regard s’échoua sur ce ventre légèrement enflé que j’avais senti sans oser le regarder depuis longtemps. Je regardai Margaux à nouveau : elle avait compris que cet enfant était aussi celui de Romain.
« Tu dois retourner au Luxembourg, et dire que tu acceptes leur proposition, aussi tordu soit-elle. Pas pour toi, mais pour cet enfant, débita-t-elle immédiatement.
— Je ne veux plus jamais le revoir, me lamentai-je.
— Oh, mais si tu joues bien ton jeu, peut-être que tu réussiras à ne plus jamais le revoir. Si tu es forte, tu termineras le travail que Romain a commencé. »
20 commentaires
Sue_Auteure
-
Il y a 3 ans
Maxandre Chamarré
-
Il y a 3 ans
LauraSwan
-
Il y a 3 ans
Maxandre Chamarré
-
Il y a 3 ans
LauraSwan
-
Il y a 3 ans
Maxandre Chamarré
-
Il y a 3 ans
Horliana
-
Il y a 3 ans
Maxandre Chamarré
-
Il y a 3 ans
Lyla Mars
-
Il y a 3 ans
Maxandre Chamarré
-
Il y a 3 ans