Fyctia
Clara (3/6)
— Je ne sais pas si je dois être reconnaissant de ton calme sur mon éventuel licenciement ou si je dois être vexé que tu penses que j’ai pu faire quelque chose qui m’aurait amené à perdre mon emploi.
— Tu veux dire « encore » perdre ton emploi !?
Pour toute réponse, je lui balance une boulette de papier dans le visage en lui tirant la langue. Je ne peux pas lui en vouloir sur ce coup, car il n’a pas vraiment tort. J’ai bien du mal à garder un emploi fixe. En huit années sur le marché du travail, j’ai dû perdre tous mes boulots sans jamais dépasser trois mois de services à cause de ma langue trop libre de ses paroles. C’est bien à cause de cette raison que je suis obligé de vivre avec lui. N’ayant jusque-là pas de revenu fixe, il m’était impossible d’honorer un loyer complet.
J’ai inventé un nouveau statut à moi toute seule : le sans-emploi fixe !
— Je vais ignorer ce dernier point que tu viens de relever pour te répondre que je travaille toujours au Café et que ça va très bien avec Marc.
— Alors c’est quoi cette histoire ?
Sans que mon frère ne m’interrompe, je me lance dans le grand récit qui m’a amené vers ce nouveau travail. Lorsque je lui relate également l’épisode de ce matin où j’ai bien cru avoir perdu mon nouveau boulot à peine commencé. Mon frère se mord la langue pour ne pas éclater de rire face à ma réplique.
— C’est bon, vas-y qu’on en finisse ! Je l’autorise pour qu’il laisse libre cours à son hilarité.
— Si tu n’existais pas, sœurette, il faudrait qu’on t’invente quand même ! réplique-t-il une fois son fou rire contrôlé. Je voudrais te faire remarquer qu’il n’y a qu’à toi que ce genre d’histoire peut arriver. Je ne sais pas comment tu fais pour arriver à te mettre dans de telles situations.
— Eh bien, moi non plus. À croire que l’univers ne sait pas quoi foutre pour se marrer !
— Donc, tu dois tenir six semaines pour cela ?
— Oui, c’est ça. Je me suis dit que pour une fille comme moi, six semaines ça devrait le faire.
— Pas faux.
Nous discutons encore un peu de ce nouveau boulot puis nous dévions à son week-end à la capitale avec ses amis d’enfance avant de passer à table.
Le lendemain est rythmé de la même manière. Mon second patron appelle avant que je ne parte au travail afin d’éclaicir les tâches attendues dans l’après-midi. Sa promesse de me laisser travailler au Café sans être interrompu une seule fois est de nouveau reconduite. Le relais se produit naturellement à l’heure convenue.
Quelques échanges de mail ou sms nous mettent en relation afin d’obtenir certaines précisions durant l’après-midi. Un dernier appel vers 19 h nous permet d’organiser la journée suivante. Je ne sais pas si c’est un de ces traits de caractère, mais je sens qu’il aime que tout soit sous contrôle, ou plus précisément sous son contrôle.
Le mercredi, ne travaillant pas au Café, je la passe entièrement connectée sur mon ordinateur et suspendue au téléphone. Les avocats ne doivent pas connaître le mot : repos. Il ne m’est pas venu à l’esprit qu’autant de personnes ont recours à ses hommes de loi et encore moins le nombre impressionnant de couples en séparation.
Quelques recherches sur le cabinet m’ont permis de constater qu’il fait partie des plus réputé dans son domaine. Leur trio semble s’être réparti les rôles, balayant ainsi tous les aspects de la justice. La presse les décrit comme étant les plus impitoyables. Il faut vraiment que je me tienne à carreau si je ne veux pas avoir de problème cette fois.
Le jeudi se déroule sans grand accroc jusqu’à ce que mon téléphone sonne en affichant « boss ». Il est 15 h 30 de l’après-midi, ce n’est pas bon signe du tout.
Aurais-je fait une connerie ? C’est bien ma veine !
Je souffle un beau coup avant de décrocher en essayant d’avoir l’air décontracté. Automatiquement, mon dos se redresse et mes jambes se décroissent pour mettre à plat mes pieds. Comme s’il pouvait m’observer, mes mains partent remettre de l’ordre dans ma tignasse et un sourire crispé se fixe sur mes lèvres.
— Bonjour monsieur, que se passe-t-il ? J’ai oublié de faire quelque chose ?
Faute à moitié avouée, faute à moitié pardonnée, non ? Ça a toujours fonctionné avec mes parents.
— Je suis désolé, mais j’ai besoin que vous me rendiez service.
— Euh, oui, bien sûr. De toute façon, c’est pour cela que vous me payez ! je réplique perplexe.
— Disons que celui-là dépasse le cadre d’assistante, mais au point où j’en suis, je n’ai pas trop le choix. Je suis coincé au tribunal, mais ma baby-sitter vient de me prévenir qu’elle était malade et ne pourra pas aller chercher les enfants à l’école.
— Et votre femme ? je questionne rapidement d’une voix aiguë.
— Pas disponible. répond-il sèchement. Bien sûr, vous serez payé en heures supplémentaires comme compensation.
— Euh. Ok pas de soucis.
S’il me prend par les sentiments comme on dit ! Après tout ce n’est pas négligeable : un petit extra.
— Merci, je vous envoie l’adresse de l’école. Elle fait les trois niveaux, je vais prévenir la directrice. Et je vous envoie aussi mon adresse de domicile. Vous avez une voiture ?
— Mon frère en a une, je vais lui emprunter.
— Ok, je dois y aller.
Sans plus de cérémonie, il raccroche, me laissant perplexe face à la situation. Je reçois les deux adresses et l’heure de sortie de chaque niveau de classe. Avisant les positions des aiguilles sur l’horloge, je me décide à partir dès maintenant afin de ne pas être en retard. Ne connais pas du tout ce coin de Bordeaux, trop huppé à mon goût, je préfère prendre mes précautions en cas où je ne trouve pas la route.
Finalement, le trajet était très simple à parcourir. Je patiente alors dans ma voiture, attendant la sonnerie de la cloche ou que j’aperçois du mouvement. Je finis par rejoindre plusieurs parents au niveau de la grille. Devant faire tache parmi eux, tous les regards sont dirigés vers moi me scrutant sous toutes les coutures. Pourtant, je suis habillée de façon très simple : bottine noire classique, jean clair, et doudoune. Il est vrai qu’en comparaison avec leur robe et petite veste pour les femmes ou costard-cravate sans manteau pour les hommes, je dois représenter le vilain petit canard. Cette différence vestimentaire confirme à leur yeux mon appartenance à un autre sociale.
À cet instant, mon cerveau élabore plusieurs scénario entraînant une multitude de questions. Est-ce que du côté de ce monde, le monde riche, j’entends par là, on a moins froid ? Je ne pense pas que notre richesse nous réchauffe le corps. Ma sensation de froid reste biologique tout de même. J’ai souvent entendu ma grand-mère affirmer que plus on est riche et plus on est froid à l’intérieur. Peut-être que le froid intérieur additionné au froid extérieur crée du chaud !? Allez savoir ! Leur univers est tellement dans l’apparence et la prestance qu’ils ne peuvent pas faire autrement. Moi, je préfère être de mon niveau social pour avoir bien chaud quand il fait bien glacial.
(à suivre...)
4 commentaires
Sarael
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Il y a 12 jours
Mapetiteplume
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Il y a 12 jours
amashford
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Il y a 15 jours
Mapetiteplume
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Il y a 15 jours