Fyctia
Benjamin (3/4)
Tel un poisson qu’on sortirait de l’eau, la blonde reste muette, les yeux en soucoupe, ouvrant et fermant la bouche rapidement. À ses côtés, Claudine devient blanche comme un linge. Comme dans un élan de lucidité, la candidate cramponne son sac posé sur le bureau de notre secrétaire avant de partir vers les ascenseurs d’un air outré.
— Qu’est-ce que j’ai dit ? s’étonne Marie, ne comprenant pas ce qui vient de se passer. Ne vous inquiétez pas mes collègues sont tenus au secret professionnel ! s’écrit-elle vers la femme avant que la cage métallique ne referme ses portes.
Sans se retourner, ni relever les paroles de mon amie, la femme appuie frénétiquement sur le bouton pour actionner l’ascenseur. Prête à exploser, Claudine lance des éclairs à Marie avec ses yeux.
Reculant légèrement dans mon bureau, je tente d’effacer ma présence. Mieux vaut rester en retrait dans cette histoire, je ne vais surtout pas me manifester si personne ne me prend à partie. Dans l’espoir donc de me faire oublier, je ne bouge pas d’une oreille, mais les tends bien pour ne pas louper une miette.
— Mais tu le fais exprès ma parole !? grogne Claudine. Il t’a demandé de l’aider pour tout faire capoter ? Moi, qui pensais que tu étais de mon côté et que toi aussi, tu pensais qu’il lui fallait une assistante pour l’aider dans cette période difficile de sa vie !
— Mais oui, je suis d’accord avec toi. C’est quoi ce reproche ? rétorque mon amie pendue face à cette attaque.
— Ah ! Eh bien, peut-être parce que tu as fait fuir la deuxième candidate en la traitant de traînée !
— Comment ça la deuxième candidate ?
— Il y avait bien une femme blonde tout à l’heure à mes côtés ? s’exaspère Claudine.
— Oui, Madame James enfin Carlos.
— Non, ce n’était pas Madame Carlos.
— Parce que c’était elle, la candidate ? Ah ! Ben oui, mais si tu ne me dis rien aussi, comment veux-tu que je le sache ! Et puis pour ma défense, je n’ai jamais vu ma cliente. Et il faut bien l’avouer qu’il pouvait avoir confusion. Cette dame porte une tenue assez légère en ce mois de décembre !
— Non, mais c’est pas vrai ! s’exclame Claudine, en partant s’enfermer dans la salle de pause derrière son bureau.
— Quoi ? Qu’est-ce que j’ai encore dit ? me demande Marie.
Et une de moins encore !
Comme réponse, je lui offre mon plus beau sourire. N’ayant pas d’autres explications de ma part, elle tourne les talons en haussant les épaules. Cet aspect de sa personnalité m’a toujours plu chez elle.
Lorsque nous nous sommes connus, son manque de tact l’a amené dans des situations rocambolesques. La première fois que je l’ai vu à l’université, elle avait confondu le doyen avec le bibliothécaire. N’arrivant pas à trouver un livre bien précis, elle l’avait alors embarqué sans lui laisser le choix, dans une enquête minutieuse dans les rayons, lui montrant par A + B que tout était mal rangé. Le pauvre ne savait plus où se mettre. Elle ne nous croit toujours pas quand on lui affirme que c’était bien le doyen.
Me voilà donc débarrassé de mes deux premiers prétendants assistants. Je me doute que Claudine bouillonne en constatant la tournure des événements, toutefois, je n’en démordrai pas ! Je n’ai aucunement besoin d’une personne, même avec ma vie privée qui part en vrille.
Tout d’un coup, la porte de mon bureau s’ouvre laissant apparaître ma secrétaire accompagnée de sa mauvaise humeur. Je stoppe mon écriture pour m’installer confortablement dans mon fauteuil, attendant qu’elle déverse son venin.
— Je ne vais pas tourner autour du pot, commence-t-elle. Comme je constate que tu as levé le drapeau de la rébellion contre l’embauche d’un assistant, je vais être obligé de faire de même. Tu ne le vois pas, mais je fais cela que pour ton bien et pour te faciliter la vie, qui est sur le point d’être bouleversée. Je ne voulais pas en arriver là, mais tu ne me laisses pas le choix. Tu te comportes comme un enfant, alors je vais agir en fonction. Tu as deux choix : soit tu acceptes cet assistant et tu te comportes gentiment avec elle ou lui, soit je démissionne dès ce soir, menace-t-elle à bout de souffle.
Et bien celle-là, je ne l’avais pas vu venir. Bien jouer !
Je suis tellement estomaqué par ce qu’elle vient de m’annoncer qu’il m’est impossible de rebondir. Tel un enfant qui se retrouve pris à son propre piège, je reste à la dévisager totalement médusé. Je n’imaginais pas un seul instant que toute cette histoire nous mènerait à cette conclusion. Je ne peux pas concevoir mon cabinet, voire ma vie, sans Claudine. Elle est mon pilier depuis maintenant plusieurs années, qu’elle parte est tout simplement inenvisageable et elle en est consciente la bourrique !
Ne me voyant rien rétorquer, elle relève le menton d’un air satisfait, le sourire du vainqueur visé sur le visage. Puis elle tourne les talons se dirigeant vers son bureau après avoir refermé la porte derrière elle.
Bon et bien sur ce coup, elle a été plus maligne la chipie !
Vers 16 h, une troisième candidate fait son arrivée, une certaine Lara d'après le CV devant mes yeux. Aussi gros que le décolleté de la précédente, l’étiquette « ne collera pas » est affichée sur son front.
Lors de nos études, nous rencontrons tous ce genre d’individu : l’intello. Pour faire court, elle a ses cheveux nappés de chaque côté de sa tête avec des lunettes sur le bout du nez. Le col de son chemisier sort de son pull en cachemire vert émeraude et sa jupe écossaise lui arrive en dessous du genou. Des petites ballerines noires classiques finissent sa tenue très catholique.
Je ne doute pas de ses compétences et de son sérieux à toute épreuve, pourtant sa timidité non dissimulée risque de me taper sur le système très vite. Elle n’ose déjà pas regarder Claudine dans les yeux, alors moi, je ne pense pas connaître la couleur de ses iris un jour.
S’il y a bien une chose que je ne supporte pas, c’est bien ce comportement. Je peux comprendre qu’une timidité extrême ne soit pas contrôlable. Toutefois, pour moi, beaucoup de chose passe à travers le regard. Le cacher revient à voiler ses sentiments ou son être aux autres.
Mon problème réside au fait que j’ai fait peur aux deux précédents candidats. Je me vois donc contraint à accepter cette dernière si je ne veux pas que Claudine plie bagage. Je vais devoir prendre sur moi et la supporter en espérant que sa timidité ne soit pas trop handicapante.
Comme pour les autres, ma secrétaire fait découvrir l’ensemble des pièces constituant le cabinet puis se dirige vers l’ascenseur pour poursuivre aux archives. J’y vois surtout le signe qu’elle souhaite retarder le moment de la confrontation. Ce constat a tout de même le don de me faire sourire.
(à suivre...)
5 commentaires
Natia Kowalski
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Il y a 8 jours
Mapetiteplume
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Il y a 8 jours
MarwanS
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Il y a 15 jours
Mapetiteplume
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Il y a 15 jours