Fyctia
Benjamin (2/4)
Leurs yeux expriment un mélange de tristesse et de crainte. Ont-ils peur que tout parte en vrille ? Certainement. Mais les connaissant suffisamment, je sais qu’il ne sauteront pas du train en marche. Pas comme une certaine personne !
— C’est bon, ce n’est pas la peine de me regarder comme ça, je m’agace.
— Et les enfants ? ose interroger Marie.
— Je crois qu’ils n’ont rien vu. Ils sont tous dans notre chambre. Ou devrais-je dire ma chambre puisqu’elle ne dort plus à la maison depuis le début de la semaine. Elle veut me faire payer le fait que je veuille attendre pour le dire aux enfants.
Philippe porte de nouveau son attention sur Marie puis sans que je comprenne pourquoi se met à sourire de toutes ses dents. Se levant d’un bond du fauteuil, il se met à frapper dans ses mains avant de les frotter l’une contre l’autre d’un air conspirateur.
— Ok, bon, amusons-nous un peu, histoire de se changer les idées ! murmure-t-il d’une voix d’un enfant prêt à faire un tas de bêtises, faisant ainsi lever les yeux de notre amie qui sourit à ses enfantillages.
Au même instant, Claudine frappe avant de rentrer, le fameux assistant sur ses talons. Philippe fait semblant de ne pas avoir entendu leur arrivée, feignant d’être absorbé par son récit qui nous raconte. Je connais suffisamment mon pote pour être sûr que l’issue de cet interlude aura l’effet redouté par ma secrétaire.
— Bon, tu connais Benoît, à partir de ce moment-là ça a vraiment dégénéré. Il est parti avec Guillaume et Samuel dans un pari totalement loufoque. Et comme j’étais plus que bourré moi aussi et bien, j’ai suivi, nous raconte-t-il.
— Et donc c’est quoi, je cite « la merde noire » dans laquelle tu t’es mis ? je le relance pour donner le change.
— J’allais y venir. Et bien, c’est ce putain de pari !
— Qu’est-ce que vous avez parié encore ? demande Marie d’un air méfiant.
— Et bien demain soir nous devons chacun ramener une femme et un gay pour participer à cette soirée qu’a entendu parler Benoît.
— Tu parles de la soirée de la Lanterne Rouge ? je renchérie sérieusement pour le soutenir.
Avoir des amis de longue date à cet avantage, vous vous connaissez suffisamment bien pour pouvoir broder tout et n’importe quoi. Ajoutons à cela notre métier d’avocat et nous avons le ticket gagnant pour réaliser les meilleurs sketchs d’improvisation !
Les yeux brillants de malice, Philippe se retient de rire à l’évocation du fameux club échangiste. Il ne lui faut que quelques secondes pour replonger dans son personnage et continuer son histoire. Loin d’être stupide, Claudine devient rouge de colère.
C’est bien connu : “on apprend pas à un vieux singe à faire des grimaces”. Tu imaginais l’avoir sans qu’elle le remarque !
Elle comprend très bien ce que nous essayons de faire. L’assistant, loin d’être dupe dans l’insinuation non dissimulée de mon ami, se raidit légèrement. Toutefois, espérant y échapper, il attende de voir la tournure que cette histoire va prendre avec méfiance.
— Oui, c’est bien ça. Bon du coup Marie, tu peux venir ? lui demande-t-il en se retournant vers elle.
— Euh, oui, je n’ai rien de prévu demain soir. Mais rappelle à Benoît et Samuel, qu’ils m’ont promis qu’on irait jouer dans la salle bleue quand on y retournerait, précise-t-elle un sourire coquin aux lèvres pour coller à son personnage.
— Cool, pas de problème. Et toi, tu viens ? me fit-il.
— Je ne suis pas gay, je te rappelle ! Et non, je ne me déguiserai pas ! je me marre en voyant où il veut en venir.
— Et toi, le nouveau, ça te branche une soirée coquine tous ensemble ? propose-t-il à l’assistant en se retournant vers lui avec un grand sourire.
Sans un mot de plus, ce dernier tourne les talons en direction de la sortie aussi rouge de notre pauvre secrétaire. Lorsque le bruit de l’ascenseur nous parvient, nous éclatons tous les trois de rire sous le regard désapprobateur de Claudine. D’un pas rageur, elle sort également de la pièce en claquant la porte derrière elle.
Et un de moins ! C’était trop facile !
La matinée passe très vite entre ma relecture des dossiers et un rendez-vous avec un client. Je n’ai pas revu notre secrétaire qui, je pense, doit me maudire intérieurement pour avoir fait fuir son candidat. Si elle n’a pas confectionné une poupée vaudoue, je serai heureux. Je lui offrirai un petit quelque chose pour me faire pardonner.
Sous les coups de 14 h, la deuxième candidate fait une entrée des plus remarquables. Cheveux blonds et longs en cascade sur le dos, chemisier moulant qui peine à contenir une poitrine généreuse, une jupe en jean moulante arrivant à mi-cuisse pour être gentil, le tout sur des talons vertigineux. Je ne crois pas encore avoir vu une femme réussir à marcher avec une telle hauteur.
Devant mes yeux, se dresse la parfaite caricature de la petite pimbêche n’ayant rien dans la cervelle et misant sur le physique à défaut d’avoir autre chose à mettre en valeur. Je suis conscient que les apparences peuvent être trompeuses, et je l’espère pour elle, toutefois son style va me permettre de jouer encore avec les préjugés.
Surtout que je devine déjà les pensées de tout le monde lorsque nous arriverons ensemble au tribunal : promotion canapé ! Cela reviendrait à tout remettre en question sur mon professionnalisme vis-à-vis de ma clientèle. Je ne peux pas laisser faire cela. J’ai mis du temps et beaucoup d’énergie à obtenir une telle réputation, ce n’est pas pour la voir partir en fumée juste à cause d’une assistance n’ayant pas de grandes pudeurs. Sans plus attendre, je décide d’aller en toucher deux mots à Claudine pour ne pas lui faire perdre son temps.
Lorsque j’ouvre la porte de mon bureau, je vois Marie, un dossier à la main, se diriger d’un pas décidé vers les deux femmes.
— Bonjour Madame James, c’est très bien que vous soyez venu un peu plus tôt, car je dois partir au plus vite au tribunal.
— Je ne suis pas Madame James, réplique la blonde.
Claudine tente d’ouvrir la bouche pour essayer d’intervenir, mais avant qu’elle ne puisse prononcer un seul mot, mon amie la coupe dans son élan pour continuer son monologue. Je décide de rester sagement dans l’encadré de ma porte à regarder la scène se dérouler comme au cinéma.
Connaissant le chef d’accusation contre madame James, je vous affirme que tout ceci fera mon affaire. Alors que j’attends avec tranquillité les retombées de cette discussion, un sourire illumine mon visage.
— Oui, c’est vrai, Madame Carlos, pardon. Je suis à toi dans deux minutes Claudine, mais je dois vraiment partir. Bref, donc comme je vous le disais par message l’autre jour, j’ai tout tenté. Malheureusement, votre ex-mari ne veut rien entendre et ne retire pas sa plainte. Je précise même que l’affaire se corse un peu puisque ses collègues ont fait de même. Nous nous retrouvons donc maintenant avec quatorze plaintes pour exhibition sexuelle en plein commissariat. Donc ce n’est pas gagné ! Ce que je vous propose est de faire profil bas et de se revoir en début d’année.
(à suivre...)
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