Fyctia

La porte du chalet s’ouvre brusquement. Une grande bourrasque de vent glacée s’infiltre jusqu’à nous, emportant avec elle un nuage blanc remplis de flocon. Benjamin s’immobilise, arrêtant alors son mime. En entendant des rires provenant de l’entrée, nous nous retournons tous d’un même mouvement vers cette direction.

Soudain, le bruit de vêtements qu’on retire à la hâte nous parvient, suivis de gémissements et de grognements. Par réflexe, je me retourne vers Benjamin.

Tel un tableau figeant ses protagonistes en pleine action, nous ne bougeons plus, retenant même notre respiration, dans l’espoir que tout ceci ne soit qu’un mirage.

— Bonjour vous deux ! Vous m’avez beaucoup manqué, fait la voix d’un homme.

— Tu n’exagères pas un peu ? On l’a fait avant de partir de la maison, il y a six heures, répond une femme.

Face à ce dialogue des plus explicite, mes yeux s’ouvrent comme des soucoupes. Je ne suis pas la seule à être paniquée par la scène qui se profiler. Mon patron est devenu blanc en un quart de seconde. Voyant qu’il ne fait aucun geste, je porte mon attention sur les enfants afin de les préserver de ce genre de chose. Joshua a été plus rapide que moi et a déjà placé ses mains sur les oreilles de sa sœur Rose. Sur son pouf, emmitouflée dans sa couverture, Lucie, la petite dernière, continue de dormir paisiblement.

Soudain, s’embrassant avec énergie, deux corps imbriqués font leur entrée dans la salle. La femme a ses jambes enroulées autour des hanches de l’homme. Si lui possède encore tous ses vêtements, elle se trouve en soutien-gorge. Sous nos regards estomaqués, il la place sur la table et commence à remonter sa jupe pendant qu’elle s'active sur la boucle de ceinture. Ils n’ont clairement pas notion de notre présence à quelques mètres d’eux.

Faisant volte-face, je vois Benjamin se décomposer. Si son père est dépourvu de couleur, Joshua, lui, devient rouge comme une tomate. Je commence suffisamment à connaître l'adolescent pour apercevoir une colère émaner de ses yeux avec une pointe de tristesse. Des larmes naissent même aux bords de ses yeux.

Voyant personne réagir, je décide de tenter de limiter les dégâts.

— C’est de ta faute ! Tu sais que cela m’excite quand tu ne mets pas de petite culotte. En fait, c’est toi, la coquine ! Tu mériterais une fessée, reprend l’homme entre deux baisers avant que j’ai pu prononcer un son.

— J’aime tes fessées ! gémit la femme.

— Raison de plus pour devenir ma femme, mon amour.

OK ! Bon, je crois qu’il faut que tu agisses, ma belle !

— Bonjour ! je m’exclame après un raclement de gorge.

Ils se figent et tournent leur tête à l’unisson dans notre direction. En découvrant notre présence, leurs yeux s’ouvrent sous l’effet de la stupeur. L’homme se décale pour laisser la femme descendre de la table. Tout deux se pressent de se réajuster.

L’échange entre les deux mâles de la pièce ne présage rien de bon pour la suite. Benjamin contracte si fort la mâchoire qu’il pourrait facilement se casser une dent. Je constate également qu’il serre et desserre les poings. Nous serions dans un dessin animé, la fumée sortirait de ses narines. À cet instant, je l’imagine comme Joe Daltons se jetant sur Averell qui aurait encore fait des siennes.

— Salut ! Désolé, je ne savais pas que vous étiez là. Je pensais que tu bosserais comme d’habitude à cette époque, explique-t-elle en regardant de façon gênée Benjamin.

Voyant que personne ne réagit à ses paroles, elle reporte son attention sur l’homme à ses côtés. Avec une pointe d’espoir, elle cherche à capter son regard afin qu’il les sorte de ce mauvais pas. Malheureusement, il est trop occupé à défier Benjamin pour y prêter attention.

Certainement réveiller par l’absence de bruit, Lucie interrompt cette scène des plus gênantes en courant vers la femme avec un grand sourire.

— Maman ! Chouette, tu as réussi à venir ! s’exclame-t-elle dans une joie non feinte. Salut tonton !

Bon et bien comme cela tout est clair ! C’est la merde !

Tel un petit diablotin sortant de sa boîte, Joshua se lève à son tour. D’un pas rageur, il prend la direction du hall en bousculant le fameux tonton au passage. La porte d’entrée claquant bruyamment, nous confirme la direction prise.

Je reporte mon attention sur Benjamin. Les yeux clos, je le vois essayer de respirer calmement dans l’espoir de ne pas exploser. Au bout de quelques respirations, il rouvre les paupières, préférant porter son attention sur ses filles plutôt que sur le couple.

— Rose, Lucie, vous voulez bien aller jouer dans votre chambre quelques instants, s’il vous plaît, leur demande-t-il.

Sans plus discuter, les petites gravissent l’escalier pour aller jouer dans leur chambre après avoir saluer leur mère.

— Je vais m’occuper de Joshua, je m’empresse de préciser à l’intention de Benjamin.

Le regard rempli de reconnaissance, Benjamin hoche la tête pour confirmer avoir bien entendu.

L’entrée du chalet est parsemée de manteaux et de chaussures enlevés à la hâte. Comme s’il s’agissait d’un parcours, j’enjambe les obstacles les uns après les autres. Trop perturbée par les événements, je ne prête pas attention à ce que j’enfile sur mes épaules et mes pieds. Après une inspiration, je m’engouffre dehors où le froid me saisit instantanément.

Me voilà arpentant les alentours du chalet avec une simple veste cardigan de pacotille et des bottes de ski. Est-il essentiel de préciser qu'ils ne me protègent ni du froid ni de l’humidité de la neige ?

Encore de la publicité mensongère ! Putain, je me les gèle !

Depuis vingt bonnes minutes, je marche en appelant à intervalle régulier Joshua. Le froid ayant raison de moi, je décide de faire un dernier tour du chalet avant de rentrer. J’aurai ainsi la conscience tranquille et personne ne pourra rien me reprocher. De l’intérieur du chalet, il ne paraissait pas faire si froid pourtant.

Attendez, je crois que j’ai perdu mes orteils ! Sale gosse en adolescence ! Désolé, c’est la partie gelée de mon cerveau qui parle à ma place !

En temps normal, j'adore ces enfants, je ne peux pas prononcer ce genre de mot ! Décidant d’écouter mon corps qui me crie de me réfugier au chaud, j'entame un demi-tour. Lorsque je me retourne pour rebrousser chemin, je me fige instantanément. Le chalet a disparu ! Mon regard part dans toutes les directions à la recherche de ce dernier, mais la neige qui tombe en abondance m’empêche de voir à plus de cent mètres.

Je m'applique à respirer afin de garder mon calme. Tel une lumière de luciole, mon cerveau s'éclaire d'une idée. Comme le petit poucet avec ces cailloux, je décide de suivre mes traces de pas pour reprendre le même chemin. Malheureusement, lorsque je baisse les yeux, il n’y a pas l’ombre d’une empreinte. Mes pas ont été recouverts par la neige qui tombe à gros flocons.

Respire Clara, tout va bien se passer ! Fait comme Dory : nage droit devant toi et tout ira bien ! Bref, vous avez compris le principe. Enfin, si mes pieds veulent bien bouger !