Fyctia
Jeu 2
Clara a peur. Elle pensait avoir passé suffisamment de temps dans cette maison, leur maison, pour être capable d'identifier chacun des bruits parasites qui l'habitent. Mais non. Ce matin, le bois qui craque, les portes qui grincent, les volets qui claquent, même le ronronnement du frigo, lui paraissent étrangers et inquiétants. Y prêtait-elle moins attention avant ? Quand elle ne passait pas ses journées coincée ici ? Quand elle avait d'autres préoccupations ? Clara essaie de se persuader que ces bruits ont toujours existé, qu'elle est simplement plus aux aguets maintenant. D'ailleurs, à bien y réfléchir, elle ne prend plus garde à ces sons dès qu' Alexis rentre à la maison. Cette seule pensée devrait la rassurer.
Pourtant, alors qu'elle est clouée au lit, un claquement sec et soudain la sort de sa torpeur. Son rythme cardiaque s'affole instantanément. Tétanisée, elle ne bouge pas un cil, l'ouïe subitement plus affutée. Elle se concentre sur ce seul de ces cinq sens. N'arrive pas à se décider sur ses attentes : espère-t-elle entendre à nouveau ce son ? Un autre ? Quelque chose qui confirmerait ses craintes ? Ou bien ne plus rien entendre du tout ? Serait-elle rassurée si aucun autre bruit suspect ne venait troubler le silence ? Au contraire, ne serait-elle pas plus apeurée encore ?
Un danger qu'on n'entend pas approcher n'est-il pas encore plus effrayant qu'un autre ?
Un autre bruit. Plus faible. Plus long. Une sorte de froissement. Terrorisée, une boule se forme dans sa gorge et les larmes lui montent aux yeux. Elle est persuadée d'avoir perçu un léger son comme un frottement de vêtement... Ou de draps ? Le linge de lit où elle est installée ? Non, Clara en est sûre, le bruit ne venait pas de la chambre. Incapable de tourner la tête, ses yeux roulent de droite à gauche. Elle se rend compte tout à coup de la précarité de sa situation.
Et si quelqu'un était entré chez eux ? Et si on lui voulait du mal ? Comment pourrait-elle se défendre ? Prise au piège, elle cherche du regard tout autour d'elle, un objet susceptible de lui porter secours. Mais ses yeux ne trouvent que son ordinateur portable, un magazine, un stylo, une lampe de chevet, le téléphone et son flacon de pilules. Elle ne songe même pas à se défendre avec sa lampe. Son agresseur aurait forcément le dessus sur elle. Elle pourrait appeler Alexis ou composer directement le 112. Mais elle serait sûrement déjà morte avant qu'ils n'arrivent.
Clara se sent faible, fragile. Et ce constat la désespère.
Elle avale une pilule sans verre d'eau.
Elle n'a jamais été du genre à se laisser abattre, à s'avouer vaincue. D'ailleurs, elle l'a démontré par le passé. C'est une battante. Et les battantes ne restent pas à attendre gentiment qu'on vienne les agresser. Au prix d'un gros effort, Clara émet un son étrange. Elle se racle la gorge et avec un peu plus d'assurance, fait un nouvel essai.
Cette fois, c'est concluant :
— Y'a quelqu'un ?
Evidemment, personne ne lui répond. Mais elle se sent déjà plus forte. En brisant le silence et en osant affronter le danger, elle redevient déjà plus maîtresse de ses émotions. Elle réitère sa question, plus fort. Silence. Un de ces silences si total qu'il en devient suspect...
Elle se redresse difficilement dans son lit. Elle a des fourmis dans les membres comme si pendant quelques temps, son sang n'y avait plus circulé. Très lentement, Clara fait passer ses deux jambes sur le côté du lit et s'aide de ses bras pour se mettre debout. Elle se tient au mur à côté d'elle, le temps que la sensation de vertige se dissipe. Elle n'enfile pas ses chaussons, décrétant qu'elle sera plus discrète pieds nus. Cependant, Clara interpelle de nouveau l'hypothétique intrus. Elle n'est pas à une contradiction près. Sa propre voix, bien qu'encore légèrement trop chevrotante à son goût, la rassure.
Elle ouvre la porte de la chambre, grimace lorsque la poignée grince dans de faibles décibels qui lui paraissent pourtant démultipliés dans ce contexte. Le palpitant à cent à l'heure, elle avance de quelques pas de loup dans le corridor. S'immobilise au milieu. Jette un œil au séjour baigné dans une semi-pénombre. Il serait si facile de se planquer derrière le canapé, les rideaux ou la bibliothèque...
A mesure qu'elle prend connaissance des lieux, Clara se détend. Tout lui semble familier et elle ne sent pas cette intuition que quelqu'un est là. Mais un bruit plus éloigné la fait sursauter dans un cri. Clara est de nouveau en alerte. On dirait que ça vient de la porte de derrière. Celle qui donne vers la cave. Rassemblant ses dernières forces, elle avance au ralenti vers la source du bruit. Elle croit reconnaître le souffle du vent. Une porte mal fermée ? Elle se rapproche, traverse l'arrière cuisine et actionne la poignée pour pénétrer dans la cave. Ses doutes se confirment. Quelqu'un a mal refermé la porte qui donne sur l'extérieur. Soulagement. Ses nerfs se relâchent instantanément.
Débarrassée de sa panique, elle pourrait commencer à réfléchir, à se demander qui a pu laisser cette porte ouverte. Mais une voix froide et accusatrice dans son dos l'en empêche :
— Qu'est-ce que tu fais là ? Tu n'as pas le droit d'être debout !
Surprise, Clara pousse un cri à la hauteur de sa peur. Son mari se tient dans l'encadrement de la porte qui sépare la cave de l'arrière-cuisine. Il a sa tête des mauvais jours, la ride du lion lui barrant le front. Bêtement, sa femme se sent prise en faute.
— T'es déjà rentré ? (Elle pose une main sur son cœur qui bat à tout rompre) Tu m'as fait une de ces peurs !
— Qu'est-ce que tu fais là ! Tu te rappelles ce qu'a dit le médecin ou tu vas encore tout foutre en l'air ?!
L'intonation de sa voix la fait à nouveau sursauter. Elle tente de se justifier :
— J'ai entendu un bruit... Je crois qu'il y avait quelqu'un...
Nerveux, il se balance d'un pied sur l'autre, secoue la tête, la prend entre ses deux mains en soufflant d'exaspération.
— Je t'assure...
Il la coupe en hurlant :
— Arrête, maintenant ! Stop ! J'en ai marre de tes conneries ! J'en peux plus !
De rage, il balance un coup de pied dans un carton abandonné sur sa droite et se dirige droit vers Clara. Déterminé, il la saisit par le bras et la tire derrière lui. Ignorant ses protestations et ses gémissements, il traverse la cuisine, le salon, le corridor et ouvre la porte du fond à la volée. De force, il pousse Clara à l'intérieur.
— Voilà ! C'est pour ça que tu n'as pas le droit de te lever, que tu dois rester couchée ! Tu te souviens !
Elle relève des yeux déjà brouillés d'humidité sur le mobilier de la pièce.
Des murs aux tons pastels. Des peluches. Un mobile au plafond. Au dessus d'un berceau.
Ses yeux se posent sur son ventre arrondi. Un tsunami d'émotions la submerge. Alexis a raison, cette fois-ci, elle doit faire attention.
7 commentaires
Karl Toyzic (Ktoyz)
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Il y a 4 ans
Elsa Carat
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Il y a 4 ans
SaraFlores
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Lyaminh
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Mary Cerize
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Elsa Carat
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Fanfan Dekdes
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Il y a 4 ans