La Plume d'Ellen Jeu de piste ou jeu de cœur ? Fais-moi signe !

Fais-moi signe !

(Clarisse Sillon de Picodon)


Quand nous entrons dans cet établissement je ne suis pas à mon aise. Le milieu scolaire en général ne me rappelle pas de bons souvenirs. Mais ici c’est autre chose encore. En effet, les élèves qui sont dans la cour ne sont pas aussi bruyants qu’ailleurs, par contre ils émettent des sons étranges.


L’homme qui vient nous accueillir est un quinquagénaire. Après s’être présenté, il nous guide jusqu’à une petite salle avec quelques tables et chaises. Je suppose que celle-ci ne doit servir que pour des réunions. Une fois que nous sommes installés, il nous fait une rapide présentation de l’établissement, expliquant les diverses formations qu’ils dispensent.


- La déficience auditive est le déficit le plus fréquent à la naissance. Les enfants apprennent donc rapidement cette communication visuo-gestuelle…


D’entrée de jeu, je l’interromps car je ne comprends pas ce visuo trucmuche !


– C’est un outil de communication, ludique, bienveillant verbale et non verbale basé sur la LSF, les gestes naturels de l’enfant, simplifiés, inventées ou de d’autres langues des signes. Il faut toujours associer un signe avec un mot.


Bon cette fois, il m’a clairement perdu et je le vois enchaîner… Moi il y a une gestuelle qu’il devrait comprendre si ça m’énerve trop, ce sera un beau doigt d’honneur !


– En revanche, le plus dur pour eux, c’est la communication avec les tierces personnes qui ne savent pas gérer la situation. Ensuite, il y a la presbyacousie. C’est le phénomène d’usure, parfaitement naturelle, avec l’âge et qui concerne aujourd’hui, au moins quatre millions de Français.


Avec des mots comme ça, j’ai vite fait de m’imaginer discuter avec le Papé :

-T’es presbyte Papé ?

– Non chui presbyacousiste !



Mais l’autre enchaîne :

– Comme vous l’imaginez bien, ce n’est pas en une journée que nous allons vous apprendre le langage des signes. En revanche, à la fin de cette micro formation, vous aurez acquis la base et pourrez dialoguer de façon très simple avec des malentendants.



Il nous remet alors, un petit livret qui reprend un certain nombre de mots avec, pour chacun d’eux, dans un cadre, le geste à faire.

L’éducateur commence par faire une première gestuelle.


- Pour dire bonjour, vous approchez votre main à plat contre la bouche et vous la re-éloignez. Regardez, comme ça !


- Ah mais c’est un peu comme quand on envoie un baiser ! lui fait remarquer Jadeline.


- Oui sauf que vos lèvres ne remuent pas et que votre bras ainsi que votre main restent bien raides. Allez-y, essayez.


- Ah oui, le mouvement est en deux temps un peu comme un automate.


Mais quelle fayotte quand elle s’y met !


- Pour "bravo", on n’applaudit pas mais on met les deux mains au-dessus de la tête et on les remue comme quand on veut dire de quelqu’un qu’il est fou.


- Ah ben mince alors, j’aurais cru que c’était comme nous et qu’on applaudissait ! Ça ne va pas être facile à retenir ! fait remarquer Justin.


Nous enchaînons avec plusieurs autres gestuelles assez simples, avant de passer à des mots plus complexes. Bigre, je n’étais pas douée en langues étrangères au collège mais ils auraient mieux fait de nous apprendre ce langage. Ainsi dans tous les pays, on pourrait se faire les mêmes gestes. Il n’y aurait plus d’accents étranges et pas besoin d’apprendre plusieurs langues.


- Maintenant, je vais vous montrer des mouvements que l’on n’a pas encore vu et vous essaierez de deviner. Soyez concentrés.


Si on joue aux devinettes alors la journée va être longue, moi je vous le dis.


Portant l’index vers son front, il redescend le bras pendant que sa main s’ouvre et vient se mettre face à la poitrine.


Nous nous en donnant à cœur joie de lui faire des réponses, plus acadabrantes les unes que les autres…

- C’est à moi !

- J’ai mal au cœur

- Tu m’énerves

- Tu es bête

- J’ai de la fièvre


Ca y est, on est parvenu à l’exaspérer.

- Non, non, non ! Regardez, je le refais une dernière fois…. Ça veut dire : "d’accord" !



Même si ce langage n’est pas simple à retenir, je dois reconnaître que cela me passionne de plus en plus. C’est à peine si nous prenons une pause pour boire un café, avant de reprendre des exercices. En revanche, à midi le professeur nous emmène au réfectoire. Ici le bruit d’assiettes et de couverts surenchérit sur des cris d’énervements. Je peux donc constater que même ceux qui ne peuvent pas parler sont également bruyants à leur manière.


De là où nous sommes installés, je picore plus que je ne mange. Il faut dire que ces enfants me fascinent. Ils sont là à quelques mètres de moi et enchainent les gestuels à une vitesse… Je suis bien incapable de comprendre quoi que ce soit.




Quand nous réintégrons la petite salle de classe, il est 13h30. Cette fois c’est un autre intervenant qui vient nous faire cours et nous annonce que comme pour n’importe quelle langue, on va apprendre à faire des phrases simples. Ben voyons !


- Pour commencer, vous allez me dire : bonjour, ça va ?

Si on a appris "bonjour" et "ça va" séparément, seule Jadeline parvient à refaire les deux gestes assez bien.


Bon sang, qu’est-ce que c’est dur de se souvenir de tout ça !


- Maintenant Justin, vous allez répondre à Jadeline que vous allez bien.


Tandis que l’interpellé se gratte la tête en réfléchissant, le professeur l’interrompt en souriant :

- Il faut savoir que les expressions du visage sont très importantes. C’est d’ailleurs avec elles, que le discours prend toute sa signification. Donc là, en vous grattant la tête, vous répondez déjà à la question. Vous comprenez ?


- Ah mince, je n’avais pas pensé à ça !


- D’autre part, même si ce n’est pas au programme d’aujourd’hui, sachez que même dans le langage LSF, il existe une grammaire. Un exemple, pour la conjugaison, on prend un repère grâce à la ligne perpendiculaire du corps. Si on fait les signes assez loin devant soi, c’est qu’on est dans le futur, si on positionne les mains plus à hauteur d’épaules avec des mouvements vers l’arrière, c’est le passé. Pour le présent, ce sera donc devant votre poitrine.


Hallucinant, je n’aurais jamais cru que ce soit si complexe. Mais la dernière demi-heure, nous la passons dans la petite section où nous devons communiquer avec ces bambins. Automatiquement, je fais le rapprochement avec Gabin. Peuchère si lui aussi était malentendant comment parvenir à se faire comprendre de lui ?


Je ne sais pas si c’est ça, mais très vite, sans trop réfléchir je parviens à communiquer avec deux petits garçons. Je suis trop émue. Je reconnais que c’est la plus belle expérience que j’ai vécue. S’il n’y avait pas autant de gestes à retenir, j’aurais aimé maitriser ce langage.


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