La Plume d'Ellen Jeu de piste ou jeu de cœur ? Quand les émotions sont reines

Quand les émotions sont reines

(Cyril Jiguin)


Il me faut un petit moment avant de repérer la silhouette de Clarisse dans la semi obscurité. Si jusqu’à présent je n’avait d’yeux que pour le spectacle fascinant qu’offrent les murs imposants de ce château, avec ses tours se découpant dans la nuit. Les projecteurs dissimulés ça et là dans la végétation accentuent le flou de sa silhouette.


Mais quand je ne me trouve plus qu’à quelques mètres d'elle, je ne peux qu’admirer sa beauté. Tout est question d’apparence, comme je l’ai si bien fait remarquer à nos invités ce soir. Pourtant, là, alors que je l’observe un instant sans bruit, je ne peux qu’admirer sa tenue. Adieu l’adolescente arrogante… On dirait Cendrillon qui attend son Prince Charmant… D’autant que contrairement à ce que j’avais craint, elle n’a pas de verre à la main. Elle semble juste ailleurs… seule avec ses propres pensées. Mais que sont-elles vraiment ? Est-ce de la peine ? Son grand-père est-il allé trop loin dans ses délires post mortem ? Est-ce le fait de revoir ses parents qui l’a ainsi crispée ? Car à un moment, j’ai vu cette colère dans son regard. A qui était-ce adressé ?


Pourtant à cet instant, je lui vois même un petit sourire lorsqu’elle tourne la tête de profil. Cette scène vaudrait le coup d’être immortalisée tant elle a un aspect quasi irréel et presque cinématographique. Une belle femme qui prend l’air avec grâce et séduction. Que dois-je faire ? m’approcher ou respecter son intimité ? Comme si depuis le début, elle avait su que j’étais là, Clarisse se tourne maintenant vers moi et fais deux pas dans ma direction.


– Cela fait du bien de s’éloigner quelques minutes de la foule, ne trouves-tu pas ?


Même sa voix a, ce soir, une intonation plus sensuelle, ce qui fait naître en moi un mélange de fascination, de désir et d’incertitude. Je n’ai pas envie de me poser davantage de questions. Tout ce que j’ai envie c’est de poursuivre ce rêve éveillé. Est-ce dû à sa nouvelle assurance ? C’est comme si contrairement à ce que j’ai dit quelques heures avant, son changement d’apparence l’avait transformée.


Ses yeux empreints de mystère et de défi semblent chercher à m’envoûter, me faisant perdre mes repères. Alors qu’elle avance encore, chacun de ses mouvements, chaque courbe m’attire davantage. Incapable de détourner les yeux, je me sens comme pris au piège de cette attraction magnétique. Quel est donc cette sorte de vertige qui s’empare de moi ? Mes pensées s’embrouillent sous l’effet de la tension qui monte. Chaque seconde qui passe, semble rendre cette impulsion de plus en plus forte comme une attraction magnétique. Mon cœur bat plus vite et je suis en train de me demander si je ne devrais pas la fuir au plus vite. Mais mademoiselle Sillon de Picodon semble totalement consciente de son pouvoir de séduction.


Quel est ce sourire léger et ce subtil mouvement de la main qui invitent à l’audace ? C’est finalement elle qui prend l’initiative, en déposant un léger baiser sur mes lèvres. Son geste, chargé de sens transforme alors l’atmosphère en un instant d’intimité partagé. Si ce baiser n’est qu’un effleurement, sous le choc, je ne pense alors plus à rien d’autre. Emporté par cet élan sensuel, je ne parviens plus à résister et l’embrasse à mon tour mais cette fois avec une passion presque fébrile. Je la serre plus près de moi, sentant la chaleur de son corps contre le miens… Dans cet abandon partagé, il n’y a plus de distance, plus de jeu, juste cette irrésistible envie de…



Comme si je venais de me brûler, je recule brusquement effaré par ce qui vient de se passer. A quel jeu Clarisse joue-t-elle ? Nous avons treize ans d’écart, ce qui à son âge est énorme. Je pourrais avoir de sérieux ennuis si ses parents nous avaient vus. Et puis quoi ? Que nous arrive-t-il ? Est-ce ce lieu idyllique qui nous aura ensorcelé ? Ce n’est pas Cendrillon et je n’ai pas sa chaussure de verre. Je dois m’en aller…


– Désolé… euh nous n’aurions pas dû. Cette soirée a dû perturber notre esprit.


Clarisse ne dit rien mais sourit. Elle ne semble pas du tout gênée mais au contraire, fière d’elle. Qu’est-ce que c’est que ce cirque ? Je me sens désormais encore plus coupable d’avoir franchi cette limite. Mon Dieu mais cette aventure va devenir un enfer si je perds de la sorte mes moyens face à cette fichue adolescente.


Si elle est consciente, elle aussi, que ce moment a changé quelque chose, elle n’a pas l’air choquée le moins du monde et je dois réagir au plus vite. Mais c’est finalement Justin qui vient me sortir de cet imbroglio.



– Maître Jiguin, vite, vite, ma sœur accouche ! On a appelé les pompiers !



Hein, quoi, comment ? Qu’est-ce que c’est encore que cette niaiserie ? Sa sœur ? Mais elle n’a qu’un an de plus que Clarisse et n’était même pas enceinte…


Je me sens alors à nouveau embarqué dans un autre tourbillon d’émotions… Mon Dieu mais que m’arrive-t-il ? Je savais que tout le monde devrait se souvenir longtemps de cette soirée mais j’étais loin du compte. Rose-Marie qui s’en va furieuse, moi qui l’oublie dans les bras d’une gamine et une toute jeune adulte qui est victime d’un déni de grossesse… Cette fois, je me sens littéralement vidé et ne sais même plus ce que je dois faire et ce que l’on attend de moi. Mais déjà la sirène des pompiers se fait entendre tandis que Clarisse se précipite vers le portail.




Quand je rentre dans la salle de réception, il y règne une vive agitation. Apparemment tous les invités sont au courant de ce qui se passe. Mon Dieu, les journalistes… où sont-ils passés ? J’en vois un en train de discuter avec une Jadeline très perturbée. Quand je m’approche de la chambre avec Justin, la mère de Jadeline tient le nourrisson emmailloté dans une serviette et pose devant l’un des reporters. Je le fais rapidement dégager d’autant que Dieu merci, les pompiers arrivent déjà.



Tandis que ceux-ci prennent le relais, je me déplace jusqu’au micro et choisis de prendre la parole.


– Mesdames et messieurs. Je pense que cette soirée va prendre fin d’une manière à laquelle personne ne s’attendait. Cette naissance sera peut-être la conclusion de ce sujet sur les apparences. Tout le monde ignorait que Mallaury était enceinte… elle y compris. Mais voilà que ce petit être sans défense a choisi de devenir la star de cette journée. Nous allons laisser la maman et son petit reprendre des forces à la maternité puis nous verrons avec elle, si elle choisit de poursuivre la route ou de s’arrêter.




Quand la principale intéressée allongée sur un brancard traverse la salle, poussée par les pompiers et suivie par une sorte de couveuse, je me sens ému. Qu’aurait dit le Papé, si à l’époque il avait su. Une pensée tordue vient alors s’insérer au fond de mon esprit… Si nous avons plusieurs vies comme certaines croyances le prêchent, alors qui me dit que ce n’est pas Georges qui est revenu pour me mettre en garde ? Je ne dois pas séduire sa petite-fille.


Tu as aimé ce chapitre ?

0

0 commentaire

Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.