Fyctia
Le dindon de la farce
(Cyril Jiguin)
J’enrage ! Il n’y a pas à dire mais j’aurais mieux fait d’avoir le courage de refuser de suivre le Papé dans son délire de tour de France. Maintenant, non seulement je n’exerce plus le métier pour lequel j’ai fait toutes les études, mais je me fais chier à trouver des solutions à tous les problèmes qui s’accumulent.
Et là, alors que je viens de parvenir à négocier pour leur prochaine étape, un emplacement dans un camping qui allait fermer ne voilà pas que cette Simonella m’appelle pour me donner le résultat désastreux de sa super idée. Putain mais qu’est-ce qui m’a pris d’écouter cette vieille un peu foldingue ? Je commence à m’interroger si ce ne serait pas elle qui aurait donné cette idée saugrenue de tour de France en camping-car. A deux, ils devaient faire une équipe de choc.
Pourtant je me radoucie un peu en pensant à ce que m’avait suggéré Papé, dans les derniers jours de son existence.
Février 2016
Alors qu’il est livide, couché dans son lit d’hôpital et si maigre, dans un énième effort, il prend la parole :
– Mon pti Cyril, comme tu le sais, je vais maintenant m’éteindre… je le sens et surtout je le veux de tout cœur car je n’en peux plus de souffrir ainsi. J’ai vraiment l’impression que l’on m’arrache la peau du crâne au fer rouge. Et dans mon ventre aussi ça me fait tellement mal… Mon Dieu, je veux vous rejoindre très vite car je suis au bout du rouleau ! Ça y est, ils m’ont arrêté tous les traitements et je n’avale plus rien depuis déjà deux jours. Je crois que je ne tiens que grâce à ces perfusions. Je t’en pris demande leur qu’ils activent ma délivrance. Si seulement l’euthanasie humaine était légale en France… En attendant, promets-moi de garder un œil sur Clarisse. Je t’assure qu’elle en vaut le coup. N’accorde jamais aucune confiance à ses parents. Si tu vois que rompre avec ses addictions, c’est trop dur pour elle, offre-lui un chiot Brabençon. Elle a toujours eu un faible pour cette race. Si tu vois qu’elle refuse, dis-lui que c’est de ma part. Ma petite fille a trop manqué d’amour ces dernières années et je suis sûr qu’un chien lui ferait plus de bien que n’importe quelle cure.
Un silence se prolonge alors que je le vois se crisper sous l’impact d’une douleur fulgurante.
Bon sang, mais pourquoi laisse-t-on les gens souffrir autant ! C’est clairement inhumain ! Quelle tristesse qu’il ne soit pas entouré de sa famille en ces moments si durs. Je ne peux pas m’empêcher de pleurer. Papé a quelque part été un père ou un grand-père de substitution et je ne serais pas là où j’en suis sans lui.
Quand il rouvre les yeux, je lui prends la main et parviens à prononcer ces quelques mots :
– Je te promets Papé que je vais prendre sous mon aile ta petite fille comme tu l’as fait pour moi. Et si besoin est, elle aura son chien. Promis. Maintenant, je vais aller voir le personnel médical pour qu’ils abrègent tes souffrances.
– Je t’en supplie, ne reviens plus. Je ne veux pas que tu assistes à ma mort en direct. Ce ne sera pas glorieux pour moi et inoubliable pour toi. J’ai vu ce que ça a donné quand j’ai perdu ma femme et l’ai gardé à la maison jusqu’au bout. Alors adieu mon Cyril, prend bien soin de toi et de ma petite fille. Nous nous retrouverons un jour par là-haut.
– Adieu Papé !
Alors que je ne peux me retenir de pleurer, je vois également des larmes sur le visage ravagé de souffrance de ce vieil homme.
Rien qu’au souvenir de cet instant terrible, je sens encore aujourd’hui, mon visage inondé. Sans même m’en rendre compte alors que je conduis comme un automate, j’ai encore une fois laissé libre cours à ce terrible souvenir.
Quand j’avais appris comment réagissait Clarisse au sein de son groupe, j’ai très vite compris qu’effectivement, un chien pourrait sûrement l’aider. Je me suis alors mis en quête d’un éleveur qui aurait un chiot disponible. De ce côté-là, on va dire que j’ai eu un peu de chance car très rapidement j’en ai trouvé un, l’ai réservé sans même le voir puis j’ai fait quatre cent kilomètres dans la même journée pour aller chercher la boule de poils. A partir de là, tandis que je gardais cette petite femelle dans ma caravane, lors d’une conversation avec Simonella, c’est elle qui m’a suggéré avec l’aide de deux amis à elle, de mettre en place ce scénario à deux balles. Tandis que les filles seraient venues avec elle faire un tour en vélo, elles seraient rentrées à la SPA, pour y faire un don puis cela aurait été en ressortant qu’on leur aurait remis la petite Mojita.
Pas mal ce prénom, non ? C’est moi qui l’ai choisi. Cela aurait été un petit mâle, je l’aurais prénommé Mojito puisqu’il aurait pour mission d’aider sa nouvelle maîtresse à cesser de boire. Par contre, si je m’inquiétais de savoir si Clarisse allait accepter de prendre en charge cette petite chienne, je n’ai jamais pensé qu’elle pourrait s’enticher de l’un de ces malheureux du refuge. Merde ! Sur ce coup, je dois reconnaître ne pas avoir été très fûté. Car plus j’y réfléchis et plus je me dis que si elle était tant en manque d’amour c’était évident ! Merde, merde et merde !
Tiens, ça y est je les aperçois. C’est fou comme lorsque je descends de voiture, j’ai l’impression que Clarisse est transformée. Son visage est tellement souriant, épanouie… Pour la première fois depuis que je la connais, elle affiche un air heureux. Mallaury qui semblait occupée à immortaliser cet instant, me demande de me mettre derrière Simonella et Clarisse pour une photo de groupe. Puis elle enchaîne avec un selfie de nous tous. Bon ben maintenant il me faut prendre la parole.
– Je me dois de jouer le rabat-joie mais tu es consciente que tu ne vas pas pouvoir garder deux chiens avec toi dans le camping-car. Alors lequel doit-on ramener au refuge ?
Et là, son visage perd tout sa joie de vivre. D’un coup, son regard vibre d’éclairs. On dirait une lionne prête à tout pour protéger ses petits.
– Jamais je n’abandonnerais l’une de ces deux bêtes. Alors si on ne veut pas d’eux dans le camping-car, et bien c’est moi qui partirait.
– C’est bon, détends-toi, je voulais juste m’assurer que tu ne t’étais pas retrouvée dans une situation qui allait devenir une corvée pour toi. Je commence à te connaître et je ne doute pas que si ces deux chiennes, tu les veux vraiment, alors tu vas bien t’en occuper.
A ces mots, je la vois se radoucir tandis qu’elle me fixe droit dans les yeux comme pour vérifier que je ne lui mens pas. Si elle savait que tout ça est entièrement de notre faute… Mais je ne lui dirais jamais. Elle pourrait vraiment mal le prendre.
– Désormais je suis la maman humaine de Jilda et Mojita ! m’annonce celle-ci avec une très grande fierté. Quand nous aurons achevé cette aventure de fous, je vais chercher un vrai boulot, un petit appartement et avec mes filles, nous vivrons enfin des jours heureux. Par contre dans l’immédiat, il faudrait que nous nous arrêtions dans une jardinerie. J’aurais des choses à acheter pour le bien-être de tous.
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