Fyctia

(Cyril Jiguin)

C’est amusant comme tout le monde se regarde alors sans oser parler. C’est finalement Mallaury qui se jette à l’eau.

– Perso, j’ai fait deux fois pipi et c’est tout. Je ne sais pas, on dirait que je suis bloquée. Sérieux, ça craint pour la grosse commission. Je crains que l’on n’entende le bruit quand ça tombe, que l’odeur se faufile dans la chambre… Et après, savoir que cela va fermenter là-dessous… Berk !

– Ça, c’est bien les femmes, se marre Justin. Pour moi pas de problème, je pisse et je chie comme si j’étais chez moi ! Mais c’est sûr que pour le moment, cela ne s’est pas bousculé pour aller au WC de la part de ces demoiselles.

A voir le visage de Jadeline et Clarisse, je sais que j’ai tapé là où ça fait mal. Effectivement il y a des sujets plus compliqués à aborder que d’autres. Mais en parlant de compliqué, il va falloir que je les pousse vers la prochaine vidéo. Et là, je crains le pire…

Mais finalement, les miss sont tellement contentes de changer de sujet qu’elles sont les premières à rentrer. Avec Justin nous échangeons un regard qui en dit long. Allez, c’est parti ! Papé, qu’est-ce que tu ne me fais pas faire !

Comme la veille, j’installe ma propre tablette sur la table et je lance la vidéo avant de m’écarter de quelque pas, afin de pouvoir surveiller tous les visages, mais surtout celui de Clarisse.

Tous paraissent presque déçus quand ils se rendent compte que cette fois-ci ce ne sera que sa voix qu’ils entendront. En effet celui-ci avait préféré que je filme la vue aérienne d’un village médiéval.

" Tout d’abord, je tiens à vous féliciter car si vous êtes autour de cette vidéo, c’est que vous avez réussi cette première étape. Mais soyons honnête, je n’en n’ai jamais vraiment douté. C’était surtout un entrainement visant à ce que vous vous adaptiez à ce mode de déplacement mais aussi apprendre à cohabiter entre vous. Vous verrez que l’union fait la force. Mais bon, une fois de plus je m’égare. Abordons la seconde étape dont vous voyez une vue. Il s’agit d’un village ardéchois classé l’un des plus beaux de France. Vous trouverez des indications complémentaires dans la chapelle Gleyzette. A vous de jouer !"

Au fur et à mesure j’ai vu le visage de Clarisse se décomposer. Je pense qu’elle avait déjà reconnu la photo avant même qu’il n’évoque le lieu. De sorte qu’elle devait encore espérer se tromper. Mais alors que je m’attendais à ce qu’elle éclate en sanglot, je suis surpris de découvrir un regard haineux lorsqu’elle se lève et jette un œil vers moi. On dirait clairement qu’elle m’en veut de lui faire revivre des épisodes de son passé. Mais sincèrement je n’y suis pour rien. C’est le Papé qui a choisi toutes les destinations ainsi que toutes les activités qu’ils auront à faire. Moi je n’ai fait que trouver les emplacements à louer ou me mettre en contact avec les organismes nécessaires. Bref, un peu le sale boulot quoi. Alors si en plus c’est pour me faire injurier, franchement, le grand-père et sa petite-fille commencent sincèrement à me faire Chier !

Après avoir annoncé aux autres qu’elle avait besoin de prendre l’air, l’ado sort et claque la porte. Alors que Mallaury s’attèle déjà, toute excitée, à chercher la fameuse chapelle Gleyzette sur leur tablette, je me lève et j’emboîte le pas à Jadeline bien décidée à rejoindre sa camarade.

Tous deux repérons Clarisse qui semble errer dans le camping comme un zombie. Il est clair qu’elle n’est pas bien mais comment l’aider à gérer sa crise ? Moi j’ai peur qu’à force de la pousser, on ne lui fasse faire une connerie. Ça se voit que Papé n’avait pas vu sa petite fille depuis un moment. Elle est vraiment fragile.

Toutefois, lorsque nous la rejoignons, c’est moi qui prend la parole en premier :

- Clarisse, votre Grand-père vous aimait beaucoup. S’il a proposé ce lieu c’est parce qu’il se doutait que vous n’aviez jamais eu l’occasion d’y retourner. Il s'agit d’un beau souvenir à partager avec vos amis. Il a pensé que vous devriez le raconter aux autres.

- A quoi bon ?

- Quelques fois, il faut savoir accorder sa confiance en laissant son entourage prendre soin de nous. Si vous avez de la peine, vous avez le droit d’être consolée !

- Et si je vous disais que je veux que ce soit vous qui me consoliez ?

- Ne prenez pas cette attitude-là avec moi. Cela ne marchera pas ! Je ne suis pas un de ces crétins qui vous tourne autour sous le prétexte que vous avez du fric. Comprenez bien que le groupe dans lequel vous êtes, est intègre ! S’ils veulent vous dire merde, ils vous le diront, en revanche, si vous êtes malheureuse, ils vous réconforteront.

– Et vous ? Vous me dites merde ou vous me prenez dans vos bras pour me consoler ?

A ce moment-là, je ne parviens pas à savoir si elle bluffe pour m’énerver, comme elle sait si bien le faire ou si vraiment elle recherche ma tendresse. Mais si c’est ça, dans quel but ? Me prendrait-elle inconsciemment pour un frère de cœur ? Après tout, son grand-père m’a toujours un peu considéré comme son petit-fils… Mais venant d’elle, je n’en crois rien ! Pourtant l’espace d’un instant, j’ai bien vu ce regard différent. Je ne sais quoi en penser. Qu’est-ce que je peux lui répondre ? Même Jadeline semble perplexe et attend de voir comment je vais m’en sortir. Et merde !

D’un mouvement rapide, je la prends dans mes bras avant de vivement la relâcher et retourner d’un pas vif jusqu’au camping-car. Pour moi ce n’était pas vraiment un geste d’affection mais plutôt le moyen d’avoir le dernier mot. Pourtant, le peu de temps que nous nous sommes retrouvés l’un contre l’autre, j’ai eu le sentiment de ressentir comme une décharge… ou une brûlure. Cette gamine est un danger !

Lorsque je rejoins Mallaury et son frère, ceux-ci attendent apparemment d’en apprendre davantage mais je ne peux rien leur dire. Ils vont devoir régler ça avec la principale intéressée. Je me contente de les rassurer en leur disant que tout va bien et que l’on se reverra demain. Puis je prends mes jambes à mon coup et monte rapidement dans ma Duster.

Ouf, c’est étonnant mais je préfère gérer cette aventure de loin. Plus je dois m’investir avec ces jeunes et plus je me sens mal. Je ne parviens pas à me l’expliquer ni pourquoi je les traite de jeunes car en y réfléchissant bien, Justin et Jadeline ont quasiment mon âge. Mais peut-être que ça me rassure car finalement si on y réfléchit bien, qui serait considéré responsable en cas d’accident ou pire ? Moi je ne les connais que très peu à travers ce que Papé a bien voulu à l’époque me dire d’eux. Pourtant plus je fais leur connaissance et plus il y a des choix qu’il a fait qui m’échappent. Une chose est certaine c’est que je n’aurais jamais dû accepter de l’aider. Maintenant je suis pris au piège et ne peux plus reculer. En attendant, je n’ai pas hâte de voir quelle sera la réaction de Clarisse face à tout ça. Et merde !