Fyctia
Prologue - Origines 2/2
Ce n’est qu’en percevant un pelage roux se faufiler entre les arbres que mes craintes disparaissent.
Je m’agenouille et, les bras ouverts, accueille la renarde qui s’empresse de glisser son museau au creux de mon cou. Elle est ma plus fidèle amie, et ce depuis toujours. Elle a su me réconforter comme nul autre, alors que mon statut de femme ou de sorcière novice brisait mes rêves un à un.
— Je commençais à croire que tu avais disparu, lui chuchoté-je, le nez enfoui dans sa fourrure dont la teinte se fond dans celle de mes cheveux.
Un rire m’échappe au moment où l’animal me mordille l’oreille avant de désigner mon collier de sa truffe.
— C’est un cadeau de ma mère, il te plaît ? À moi aussi...
Mon ton semble l’étonner. Elle me dévisage, la tête penchée sur le côté.
— Parfois, je me dis que tu es plus humaine que nous tous… susurré-je en caressant son flanc.
— Ça vaut aussi pour moi ? me surprend Alaric.
Un sourire illumine mon visage tandis que je me remets sur pieds, au grand dam de ma renarde. Il dépose nos accessoires de combat au sol, puis vient à ma rencontre.
— Peut-être bien, m’amusé-je, les poings sur les hanches.
— Je peux retourner d’où je viens si tu préfères ?
Il feint de faire demi-tour, mais la malice qui illumine ses prunelles azur me prouve qu’il n’en fera rien. Je me jette à son cou avant qu’il n’ait le temps de faire un pas et écrase mes lèvres sur les siennes, les doigts enfouis dans sa chevelure ébène.
— Ça ira... On s’entraîne ?
La chaleur, jusque-là présente dans ses iris, disparaît instantanément.
— Me dis pas que tu as peur d’être battu par une fille ?
— Je pense pas que ce soit le bon jour, c’est tout... répond-il, imperméable à mon trait d’humour.
Je l’observe, suspicieuse, tentant de découvrir ce qu’il me cache. Nous nous connaissons depuis toujours, je ne peux pas douter de lui.
— Et moi, je pense justement l’inverse ! Je ne veux pas compter sur un homme pour me protéger et tu le sais.
— Même pas moi ?
Je recule, effarée. M’entraîner ne lui a jamais posé problème. Au contraire, il met un point d’honneur à me voir me défendre seule. Ma mère a toujours compté sur mon père, de même que les femmes de mon village, et elles ne sont que le pâle reflet de ce qu’elles auraient pu devenir. Des êtres fragiles ayant pour seul but le bonheur de leur époux. Je ne serai jamais l’une d’elles.
Je contourne Alaric qui m’observe sans ciller et récupère les bâtons posés à terre. Je lui en lance un qu’il attrape avec agilité.
— Je veux juste te protéger, Azeria… lâche-t-il avec tristesse, sans oser affronter mon regard.
— C’est comme ça que tu le feras.
Ma détermination ne le convainc pas, mais il acquiesce néanmoins. Je me mets alors en garde, résolue à ne plus dépendre de personne.
Notre séance prend fin de longues heures plus tard. À bout de force, nous restons allongés sur le sol, le regard perdu vers la cime des arbres. La lumière peine à franchir la barrière de feuillages, signe que la nuit ne va plus tarder à tomber.
— On pourrait se lier… Ce ne serait pas la première fois qu’un conflit serait évité grâce à une alliance, m’annonce-t-il de but en blanc.
Couché sur le côté, il me scrute, le visage en appui contre la paume de sa main.
— Comme c’est romantique ! lâché-je, déçue que cette proposition ne soit due qu’à l’urgence de la situation.
Il se penche au-dessus de moi, cherchant à capter mon regard fuyant.
— Tu sais ce que je ressens et ce n’est pas la première fois que je te propose de nous lier.
— On avait huit ans !
— Le jour où tu as failli me casser le nez... je m’en souviens, sourit-il, happé par ce souvenir. N’empêche que ça ne change rien. C’est ce que j’ai toujours voulu, conflit ou pas.
Attendrie, je caresse sa joue de mon pouce. Accepter reviendrait à suivre un chemin tout tracé. Nous ne serions plus vraiment libres, pas comme nous le sommes à cet instant.
— Je te promets que notre vie sera différente, me chuchote-t-il, ses lèvres à quelques centimètres des miennes.
Un cri, accompagné d’un vent puissant, résonne soudain autour de nous. Nous nous redressons aussitôt, terrifiés par la magie qui circule dans l’air. Elle est plus sombre que tout ce que j’ai connu, mais je n’ai aucun doute quant à son origine : ma mère.
Je me retrouve sur pieds en moins de deux.
— N’y va pas, pars avec moi ! me supplie Alaric en empoignant mon bras.
Je secoue la tête, alarmée par sa réplique, le repousse d’un geste, puis m’élance. Les battements de mon cœur pulsent dans mes oreilles, mais je ne ralentis le pas qu’en débouchant dans une clairière. J’y découvre des hommes étendus sur le sol maculé de sang. La plupart sont morts ou sur le point de lâcher leur dernier souffle. Quant aux autres, ils fuient le lieu du massacre sans se retourner.
— Ne reste pas là ! s’exclame mon ami en me tirant en arrière.
La vision de ma mère berçant le corps sans vie de mon petit frère m’ôte toute envie de résistance. Je perçois ses pleurs ainsi que les regards assassins qu’elle lance à mon père… et celui d’Alaric. Mes frères et les siens sont en retrait.
Je tente un pas dans leur direction, mais abandonne, retenue par les bras protecteurs de mon compagnon. Je tombe à genoux, suivie de près par Alaric. Ma vue est embuée par les larmes.
— Je dois l’aider…
— C’est trop tard, Azeria.
Je suis comme hypnotisée par l’horreur de la scène. Mon frère, à terre, désarticulé telle une poupée de chiffon. Nos pères, qui tentent de se dédouaner en accusant le camp adverse. Ma mère, qui berce tendrement Dalian.
— Je l’ai toujours su... Je n’aurais pas dû les croire meilleurs qu’ils ne sont... Je suis désolée, lui répète-t-elle dans une litanie à fendre l’âme.
— Vous. Avez. Tué. Mon. Fils ! hurle-t-elle en se relevant, semblant enfin prendre conscience de ce qui l’entoure.
D’un geste de la main, elle contraint les deux hommes à ployer devant elle. La souffrance inonde leurs traits. Quant à la puissance qui émane de la sorcière, elle se fait plus puissante et glaciale à chaque instant.
— Vous pensez souffrir ? Ce n’est rien à côté de ce que je vous réserve. Si votre souhait est de vivre comme des bêtes, alors c’est ce que vous serez... traqués, à la merci des hommes, sans espoir. Et alors vous regretterez ce que vous m’avez pris, annonce-t-elle d’une voix inhumaine.
J’ai à peine le temps de saisir la main d’Alaric qu’une lueur écarlate nous frappe de plein fouet.
Je n’ai aucune notion du temps écoulé lorsque je reprends connaissance. Je tâtonne à la recherche d’Alaric, mais ne le trouve pas.
Ce n’est qu’une fois la brume dissipée que je le découvre enfin. La puissance du sortilège l’a propulsé à un mètre de moi. C’est en cherchant ma mère du regard que je prends conscience du danger qui nous menace. Ma main se porte aussitôt à mon cou dans un ultime espoir. Rien, mon amulette a elle aussi disparu. Amassés en cercle, les Magians de la forêt - les animaux à l’origine même de la magie - nous observent fixement, semblant attendre quelque chose de nous.
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Sandelina Antowan
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Il y a 6 ans
Camille Jobert
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Il y a 6 ans
FeizaBabouche
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Nine C
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Estelle Miccoli
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Nine C
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