John Doe Je suis une pierre Chap. 17 - Deuxième contact

Chap. 17 - Deuxième contact


Captivité – début 2020, chez moi


On a rarement deux fois l’occasion de faire une bonne première impression. Paraît-il.

Hier, cela ne s’est pas très bien passé – en tout cas pas comme je l’avais imaginé.

Je pense, par conséquent, qu’il faut passer l’éponge – et je ne parle pas du ménage que j’ai dû faire après notre légère altercation – et repartir sur de bonnes bases.

La nuit est passée finalement assez vite et j’ai réussi, malgré le stress de cette nouvelle existence qui m’attend, à dormir quelques heures.


Je suis dans la cuisine à observer le goutte-à-goutte caféiné qui remplit une tasse ébréchée, avec l’euphorie modérée d’une machine en fin de course, et je tente de me concentrer.

Au bruit que j’entends à la cave, je comprends que mon hôte est réveillée et qu’elle n’est pas très contente.

Elle n’est pas encore tout à fait prête, elle non plus.


Je me dirige vers le salon où j’ai installé d’autres paperboards. Outre celui déjà recouvert de photos et de l’organisation du quotidien de C., un tableau central détaille en plusieurs étapes le plan projet de ces prochains mois. La colonne indiquant les dates prévisionnelles de ces jalons est encore vierge, ne sachant pas exactement pour le moment le niveau de collaboration de C.

Les cinq premiers points sont relativement clairs et ne nécessitent pas d’explication complémentaire pour être appréhendés.


1) Rassurer la maison d’éditions et ses proches collaborateurs

2) Instaurer le protocole 100% télétravail

3) Préservation de la santé de C.

4) Aménagement de la cave

5) Travail éditorial


Il me reste encore à détailler les sous-parties.

Je trace une immense flèche verticale sur la droite et indique à côté « Gagner sa confiance ».


Bon. Je scrute ce chef d’œuvre quelques secondes. Plutôt fier de ce projet et de sa représentation.

La fierté.

Un sentiment assez nouveau pour moi.

Je pose mon feutre, fais craquer mes doigts.


Il est temps d’aller la voir.

Histoire de socialiser.


***


J’ouvre la porte menant à la cave et descends l’escalier.

Ce n’est d’ailleurs pas à proprement parler une cave, mais plutôt un sous-sol total dont j’ai soigneusement bouché toutes les ouvertures extérieures, ce qui lui donne ce côté sombre et humide.

J’allume la lampe à mi-distance m’offrant une vue panoramique sur la pièce unique, immense dalle de béton. Seul un débarras d’une douzaine de m2 et une salle de bains avec sanitaire un peu rustique complète le tout. Ce n’est pas vraiment aménagé pour le moment. Mais ça viendra. J’ai déjà tout en tête et cela ne prendra que quelques semaines de travaux.

L’endroit est silencieux. Trop.

Je ne vois C. nulle part, j’aurais dû l’attacher.

Elle a dû se réfugier dans le débarras à la recherche d’un outil quelconque pour s’échapper ou me sauter dessus.

Je fais demi-tour, referme à clef derrière moi et monte préparer une nouvelle seringue. Je me fais la réflexion en revenant vers la cave qu’il va m’être nécessaire de sécuriser cette porte.

Je tourne la clef avec précaution puis pousse la battante. La lumière qui fonctionne sur minuteur ne s’est pas éteinte et toujours pas de C. à l’horizon.

Marche après marche, je prête attention au moindre bruit, au moindre souffle. Néanmoins, aucun stimulus n’arrive jusqu’à moi.

Je m’approche du débarras au gardant la seringue au creux de ma main.

- Hello ? dis-je d’une voix pâteuse, lointaine, comme empruntée à quelqu’un d’autre.


Aucune réponse.

J’avance un peu plus.

La porte de la petite pièce est presque fermée.


J’hésite sur la marche à suivre, reproduire la violence d’hier soir ne me semble pas être le meilleur moyen de faire une bonne deuxième impression.

A cet instant, le minuteur arrive en fin de cycle et l’obscurité s’abat sur moi.

Merde.

Seule la lumière provenant de l’accès à la cave que j’ai laissé grand ouvert arrive jusqu’ici. Quel con.

Tout est figé. L’air est plasmatique.


Je ne crains pas C. car je sais ce qui m’attend désormais.


Au moment où je fais mine d’entrer dans le débarras, C. pousse violemment la porte afin qu’elle me percute mais je ne suis pas assez avancé pour que cela soit efficace. Raté. Elle se rue dans la pièce principale et sur moi. Je m’écarte légèrement et la fait basculer en utilisant son propre mouvement sans aucune difficulté. Elle s’écroule lourdement sur le sol.

Elle se relève cependant avec une dextérité impressionnante et me fonce dessus. Sa tête heurte mon plexus. Pas assez fortement pour me déstabiliser. Je la saisis et lui enfonce l’aiguille dans le bras afin d’injecter le produit. Elle se débat quelques secondes sans conviction, puis son corps s’affale littéralement sur le sol. Inerte.

Je souffle. Décidément peu satisfait de ce début de relation.

Je monte chercher une corde et une chaise.


A un moment, elle en aura marre de dormir.


***


Elle est en face de moi, ligotée lorsqu’elle ouvre de nouveau les yeux.

Elle doit avoir faim.

Elle doit avoir soif.

Ce n’est pas pour autant le sujet qu’elle aborde en premier lorsqu’elle me voit.

- Qui… qui êtes-vous ? demande-t-elle dans un murmure.

- Je ne suis personne.

- Personne n’est personne.

- Il faut croire que mon existence a pour seul objectif de battre ce cliché en brèche.


C. se met à respirer lourdement.

Elle est décoiffée, elle sent mauvais. Son œil droit est tombant, comme si elle avait pris un coup. Une mauvaise chute sans doute.

- Je suis où ? enchaîne-t-elle en regardant autour d’elle comme si elle allait repérer un signe distinctif quelconque, au loin.

- Vos questions sont directes. J’ai toujours admiré le pragmatisme.


Elle bouge sur la chaise.

- Vous savez, je n’ai jamais… invité quelqu’un comme ça chez moi, lui dis-je.

- C’est sûr que si c’est comme ça que vous invitez les gens, ils doivent pas se presser…


Je prends une pause. Cette conversation ne se déroule pas comme je le souhaiterais.

- Etes-vous vraiment en position de faire du sarcasme ?

- Ah… vous êtes du genre à dire à vos invités comment ils doivent se comporter ?

- S’ils sont… malpolis, cela me semble nécessaire.

- Ok, alors écoute ça : je t’emmerde.

- Je note que nous sommes passés au tutoiement, on progresse.

- Qu’est-ce que vous me voulez ?

- Je pense que vous et moi somme pareils et…

- Vous êtes fou… m’interrompt-elle.


Je me penche vers elle, assez près pour sentir son souffle court sur mon visage.

- Si nous commençons comme ça, nous n’allons pas réussir à nous entendre.

- … quoi ? Mais enfin, qu’est-ce que vous attendez de moi ? hurle-t-elle.

- Vous le saurez bien assez tôt.


Je me lève. Cet entretien a assez duré et il est temps que je la nourrisse.

Si je veux que mon plan fonctionne, il convient d’avoir une hôte en pleine possession de ses moyens.


Tu as aimé ce chapitre ?

23

23 commentaires

Nicole Pastor

-

Il y a un an

Bien, on entre enfin dans le vif du sujet ! Fini les phrases avec des descriptions interminables. J’adore la réalisation de ce chapitre, sans redondances ni fioritures (mis à part le goutte à goutte caféine mais bon, c’est ton style) ! On le voit soudain sûr de lui, lui qui se considérait depuis toujours comme une larve. Il est satisfait et, pour l’instant, maître de la situation. Les psychopathes, du moins ceux qu’on attrape, font toujours une erreur à un moment donné. Fera-t-il partie de ceux qui échappent à la justice ou commettra-t-il une erreur ?

Agathe Pearl

-

Il y a un an

Je passe lire plutard😀

petitemr

-

Il y a un an

Allez, sors ton tablier John D., si tu veux faire bonne impression (en fait, il sait recevoir… à sa façon 😆)

Merixel

-

Il y a un an

Le début du chapitre est haletant, j'attendais qu'elle lui saute à la gorge avec l'espoir qu'elle prenne le dessus... J'aime bien la répartie de C, elle ne se laisse pas faire mais elle doit être terrorisée.

John Doe

-

Il y a un an

C'est une bonne question : comment réagirait on si on était séquestré ?

Emmy Jolly

-

Il y a un an

C'est pas gagné le lien d'amitié entre ses deux là

John Doe

-

Il y a un an

(faut dire qu'elle fait pas beaucoup d'efforts)

Emma Chapon

-

Il y a un an

Voilà, je suis à jour. Je pense que je vais enchaîner avec quelques épisodes de Friends maintenant, tes chapitres étaient captivants mais quelque peu traumatisants (surtout celui du pigeon)(vivement la suite quand même)

John Doe

-

Il y a un an

Il faut que tu arrêtes de sympathiser avec les pigeons (tu devrais plutôt essayer avec les humains, espèce d'ermite !)

clecle

-

Il y a un an

Ça s'annonce tendu entre les deux. C'est bien qu'elle ne se laisse pas faire. Mais il lui faudra ruser si elle veut s'en sortir. Ou lui proposer un contrat d'édition.
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