Fyctia
Chap. 13 – Obsession
La traque – Début 2020, près de « Chez moi »
Si un psychologue devait m’étudier, je pense qu’il détecterait chez moi un caractère obsessionnel. Lorsque j’ai un projet, même si je tente de me raisonner, il occupe mon esprit jusqu’au moindre recoin.
Il est inutile de vouloir contrer cette marée qui grimpe le sable fin de ma conscience.
Une fois que le visage de C. est là, en moi, il m’obsède. Même si j’essaye de le chasser, de le faire fuir, d’opérer une diversion ou de lancer un contrefeu, il revient me hanter. Il n’existe aucune contremesure à cette arme de distraction massive.
Mon esprit est un manoir dont les fantômes arborent le costume de la vengeance.
Alors, je me laisse porter.
J’accueille cet afflux de tourment monomaniaque.
Et je planifie.
Je rassasie ce besoin d’observer, d’explorer les contours de ce nouvel objet que constitue cette mission. Je donne à boire à cette soif d’analyse.
Je veux sentir l’information diffuser dans cette immense base de données qu’est mon cerveau afin qu’il en fasse un examen à la fois détaillé et intuitif.
Je veux trier tel un entomologiste chaque élément. Pas au sens littéral du terme évidemment, car, même si la perspective de clouer ma cible avec une épingle géante ne m’est pas désagréable, je n’imagine pas ce projet à court-terme. Je souhaite simplement appréhender dans sa globalité le quotidien d’une personne dont le fil rouge de l’existence consiste à décevoir les espoirs des apprentis écrivains.
J’ai même imaginé son épitaphe. Une sorte d’engagement tacite que j’ai pris avec elle d’aller au bout de ce plan :
***
Pour le moment, il me faut la retrouver.
Je ne l’ai croisée qu’une seule fois et depuis, je déambule toutes les semaines au marché dans l’espoir de la croiser de nouveau. Puis, j’achète quelques abricots. Un maigre signal envoyé à l’absurdité du destin.
Ce dernier me répond rapidement, contre toute attente. Peut-être a-t-il pris pitié de moi et de mon entreprise absurde.
Il se manifeste en deux étapes bien distinctes.
Tout d’abord, tandis que je rentre chez moi, un jour, ma trajectoire percute celle d’un appareil photo, laissé là sur un banc public.
Tranquille et silencieux. Arborant l’air serein des choses n’ayant rien à faire là mais s’en moquant comme de leur première pellicule.
Abandonné. Solitaire.
N’était-ce son reflet argenté, je croirais me croiser moi-même.
Il a manifestement été oublié par un ex-propriétaire distrait. A la fois ostensible et perdu, comme peuvent l’être les enfants au milieu d’un supermarché. Cependant, il n’y a pas de micro pour appeler la maman du petit Kodak. L’appareil est à moi ou à personne.
Or, qu’il ne soit à personne me paraît être du gâchis. Je l’attrape donc négligemment, du geste de celui qui ramasse sa veste sur l’accoudoir et s’en va vers de nouvelles aventures.
Seules quelques photos ratées se bousculent dans la mémoire de cet échoué du monde numérique. Il est prêt à l’emploi, probablement ravi d’avoir trouvé un nouveau propriétaire, impatient de servir à capturer des instantanés de monde.
En arrivant dans mon salon, je commence à le manipuler et me vient l’idée saugrenue de reprendre toutes les interviews de C. que j’ai déjà lues plusieurs fois. Mais pas sous l’angle des mots. Sous l’angle des illustrations et des photos qui accompagnent le texte.
C’est la deuxième étape, conséquence de la première.
Après quelques minutes frénétiques, je tombe sur ce vieux numéro de Version Femina. Elle pose chez elle, dans son village.
L’évidence que tout était là, devant moi, à quelques centimètres de mes yeux aveugles me frappe. J’ai manqué à mon devoir de rigueur et d’observation, je m’en veux.
Néanmoins, c’est désormais sans importance. Mon enfance ressurgit. Lorsqu’à quelques kilomètres d’ici, je pédalais, entre ces corps de ferme et ces maisons placides. Lorsque l’extérieur et ce que je pouvais y faire ne me terrifiait pas encore.
Car je connais bien ce village, perdu dans la forêt et à proximité de Saint-Germain-en-Laye. Dire que j’y avais mes habitudes ne serait pas mentir.
***
Quelques nuages gris s’amoncellent au-dessus de moi, anéantissant les efforts discrets du soleil pour réchauffer l’atmosphère peu hospitalière de ce début d’année. Les rues sont vides. Elles l’ont toujours été, ici.
Je m’avance, prudent. Couvert de la tête au pied, tel un inspecteur de l’AIEA se rendant à Fukushima.
C’est un bourg discret où l’on ne marche pas. Où le propre cohabite avec le calme. Un intrus s’y ferait repérer au bout de trois pas.
Au collège, les élèves qui venaient d’ici étaient aussi détestés que craints. Certains imaginaient des histoires pour se faire peur au coin du feu où les autochtones du coin avaient souvent le mauvais rôle. Des histoires à base de satanisme et de sacrifices rituels de chèvres dont les propriétaires avaient le malheur de voter trop à gauche. Je ne connais malheureusement aucune de ces légendes, n’ayant jamais été invité à partager un chamallow à griller au-dessus des flammes.
Mes propres chroniques inventées n’étaient que conjectures et élucubrations.
Et aujourd’hui, j’écris l’histoire.
Je mets en place un rituel assez simple et cyclique où je me gare un peu à l’extérieur du centre-ville sur un parking isolé, me rends dans l’unique zone commerciale à l’ombre des nombreux arbres du bourg et achète une baguette ou un quotidien.
Je ne prononce que peu de mots, je reste peu longtemps, je suis un anonyme de passage. Inexistant donc inoffensif. Une trace sur un vieux cliché. Une ombre dans un souvenir.
Je change les heures à laquelle j’opère ces discrètes allées et venues afin de couvrir l’intégralité du spectre journalier.
Et puis, soudain, tandis que je prends en photo un oiseau sur une branche, tel un ornithologue amateur, je la vois.
De la même démarche altière. Le temps pluvieux l’a obligée à se couvrir, je ne peux malheureusement pas apercevoir ses mollets qui m’avaient tant fasciné et m’auraient permis de l’identifier aussi sûrement qu’une empreinte digitale. Cependant, le doute n’est pas permis. Elle est là, de nouveau à quelques centimètres.
Je ne m’étais pas trompé.
Elle habite ici.
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clecle
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