Fyctia
12–Un corps dans l'escalier(2)
Il y a quelques années, je me suis mis à développer ce que j’ai appelé une « banque ADN ». L’idée était simple. Afin de ne pas se couper complètement du monde extérieur, je me déguisais et partais à l’assaut de l’autre.
Par exemple, j’allais dans une brasserie parisienne avec la panoplie complète du parfait toursite, puis m’asseyais non loin d’une vieille dame – appelons-la Madame Michu – à qui je parlais pour lui demander du sel ou n’importe quoi d’autre. Assez vite, elle me montrait les photos de ses petits-enfants. Puis, lorsqu’inévitablement, elle se levait pour aller aux toilettes, je récoltais ses empreintes sur le verre qu’elle avait laissé accessible et un ou deux cheveux sur la brosse qu’elle gardait toujours précieusement dans son sac. Car tout le monde, à part moi, veut montrer son meilleur visage au monde. C’est ainsi et rien ne pourra jamais changer cela.
J’ai désormais une banque d’une cinquantaine de profils très différents (même s’il faut reconnaître que j’ai développé avec le temps une sensible préférence pour les personnes âgées). Je n’ai jamais su trop comment utiliser tout cela jusqu’à très récemment lorsque j’ai commencé mes aquaplanings existentiels de manière sporadique tout d’abord, puis régulière finalement. Il est toujours bon de semer de l’ADN d’inconnus sur les lieux où je passe, cela permet d’ajouter de la confusion là où les forces de police espèrent, par leur méthode scientifique, trouver de la logique.
Je m’en veux terriblement depuis quelques jours d’avoir oublié de disséminer quelques éléments de cette banque dans le véhicule abandonné du livreur, même si je pense qu’ils ne le retrouveront jamais.
L’évocation de ce dernier crime fait partir mon esprit loin et je m’affale sur le canapé afin de profiter de ce moment d’accalmie relative de mon cerveau.
Tandis que je comate gentiment, un élément perturbateur attire mon oreille somnolente. Une gêne en périphérie de mon attention à la dérive.
Serait-ce mon hôte qui se manifeste ?
Il est temps de lui apprendre. Elle qui dort dans le noir. Il est temps de définir un nouveau protocole. Afin que nous puissions progresser dans cette relation trop unilatérale à mon goût. Il est temps qu’elle participe à cette expérience collective entre elle et moi. Il est temps qu’elle ne soit plus seulement passive.
Je me dois de définir ce nouveau protocole, sans quoi notre danse à deux deviendra pénible pour ne pas dire ennuyeuse. Or, personne n’a envie de s’ennuyer dans une relation comme la nôtre.
Peut-être devrais-je me débarrasser au préalable de ce corps dans l’escalier afin de montrer ma bonne foi.
Tout à coup, j’entends des coups sourds.
Je tente de visualiser ma maison afin de deviner d’où ils proviennent.
De nouveau.
Je suis totalement réveillé désormais. Cette gêne périphérique était due à la présence d’un intrus.
Quelqu’un est à la porte d’entrée.
Je respire. Je savais que ce moment allait arriver. Il me suffit d’être calme et de me mettre mon costume de personne aimable. Un costume que je ne n’enfile pas souvent.
Un homme de petite taille, un policier, se tient dans l’encadrement de la porte.
- Bonjour monsieur. Puis-je vous déranger quelques instants ?
- Vous ne me dérangez pas, voyons.
- Je fais une enquête de routine sur une disparition.
- Une disparition ?
- Oui…, répond-il, visiblement dérangé par ma question. Comme si je lui faisais perdre le fil de ses pensées.
Il reprend en lisant un carnet qu’il tient de sa main gauche, tandis que la droite appuie frénétiquement sur un stylo à bille.
- Avez-vous reçu un colis récemment ?
- Un colis ?
- Un colis… oui…. Apporté par un livreur.
- J’ai reçu ça, oui. D’ailleurs, j’ai trouvé le paquet devant chez moi, balancé par-dessus la clôture. Drôle de monde, hein ? Les gens sont même plus capables de venir sonner. Trop peur de parler à un être humain, j’imagine, dis-je avec un air de connivence.
- M’en parlez pas, rétorque le policier tout en se détendant ostensiblement.
- L’autre jour, j’attendais un truc et quand j’ai appelé pour savoir où c’en était, l’opératrice au téléphone m’a dit que quelqu’un était venu et que j’étais pas là. Alors je lui ai dit « et comment je suis censé savoir que quelqu’un est passé, j’ai même pas reçu d’avis ? ». Elle a pas su quoi répondre… franchement, le monde va mal.
- Oui, oui, bon. Vous n’avez pas vu le livreur ou sa camionnette ?
- Oh vous savez ici, les livreurs ils sont en deux roues en général et ils conduisent n’importe comment. Je sais pas ce que foutent les parents. Du temps où j’étais jeune, je peux vous dire que si j’avais grillé un stop en vélo, mon père, il…
- Oui, oui, me coupe le policier.
- Vous êtes d’accord, hein ?
- Bien sûr, bien sûr.
Le flic semble de plus en plus vouloir être ailleurs. Sans doute rêve-t-il de ses vacances ou de retrouver ses gosses. Il a une tête à ne pas bien dormir. Réveillé la nuit par des pleurs probablement. Je devrais peut-être lui proposer une sieste dans mon sous-sol. Pas sûr qu’ils revoient ses gamins rapidement cependant.
- De quoi s’agit-il en fait ? relancé-je.
- Ben… un livreur est dans la nature, sa maman nous a signalé sa disparition.
Ainsi donc, il avait une mère qui s’inquiète. Je ne sais pas si je l’envie.
Quand je partirai, moi, la souffrance s’arrêtera. J’emporterai mes tourments dans un sac à dos et ils m’accompagneront tels des cahiers de vacances éternelles.
- Je ne vais pas vous déranger plus longtemps.
- Vous ne me dérangez pas, je reçois peu de visite, vous savez ? continué-je d’un air avenant, comme si j’allais lui proposer un café.
Le policier semble de plus en plus gêné. Il n’a qu’une envie : fuir. Il ne veut plus me parler. J’ai réussi ma mission de paraître insignifiant et de faire partie de la catégorie des personnes inoffensives auxquelles on ne veut plus jamais penser de sa vie. Il fait un mouvement de tête et s’écarte. Me laissant seul à la porte.
Tocard.
En prenant mon petit-déjeuner ce matin, j’ai entendu à la radio un auditeur prononcer cette phrase : « Lui, c’est pas la frite la plus cuite du cornet ».
Un bon résumé de l’inspecteur du pauvre qui vient de toquer à ma porte.
Il est temps de reprendre là où j’en étais. Le nouveau protocole.
Et de se débarrasser du corps qui encombre l’escalier.
Un peu d’ADN de madame Michu ne devrait pas le perturber outre mesure.
Ne me reste plus qu’à trouver où l’enterrer.
49 commentaires
Nicole Pastor
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Il y a un an
petitemr
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John Doe
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Il y a un an
Eva Boh
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Eva Boh
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clecle
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