Fyctia
Ch.8 – Le monde est une pierre
Aux origines – Dans les années 2010, chez « moi »
Je tiens ce bout de papier au creux de ma main. Je me souviens l’avoir écrit. J’étais à la maison, je n’avais pas encore peur de sortir, je profitais de ces instants de calme.
N’osant pas observer l’avenir.
L’horizon s’était dissout et ça m’allait bien. J’étais seul avec moi-même.
Je positionne le texte devant mes yeux.
***
Le monde est une pierre.
Au début, je n’ai rien vu. Ma voiture – une vieille Clio, achetée grâce à la générosité de ce père quasi inconnu quelques années auparavant afin que je ne laisse à personne d’autre que moi le soin de me tuer au volant – était là où je l’avais laissée, sage et docile. Recouverte d’un peu de poussière ainsi que de quelques feuilles égarées et jaunies par le détachement.
Puis, la fois d’après, quand je suis venu la visiter, j’ai constaté que les vitres s’étaient obscurcies, témoignant d’une absence d’entretien que rien ne semblait vouloir contrarier. Je la regardais se ternir. L’envie de me déplacer m’avait quitté. J’avais le sentiment de ne plus maîtriser ni l’espace ni le temps. Il me fallait me fixer, stopper le mouvement pour contenir le chaos.
Un autre jour, tandis que je déambulais dans la rue où elle était stationnée, je me suis aperçu que le pare-chocs avait disparu.
Je n’ai pas vraiment réagi sur le moment, j’ai même essayé de me souvenir si elle avait vraiment un pare-chocs. Il me semblait bien que oui. Cela semblait logique.
J’ai rangé cette information en périphérie de ma mémoire et j’ai continué ma déambulation. Mon heure d’exercice quotidien.
Peu de temps après, ce fut au tour du phare gauche. Elle pouvait ainsi encore cligner de l’œil, mais craignait qu’on la percute.
Jour après jour, et un à un, chacun des équipements disparut pour laisser apparaître une carcasse en décomposition lente et inexorable. Le rouille des résidus organiques qui la recouvraient se perdait dans la propre teinte de ce monstre mécanique à l’agonie.
Aujourd’hui samedi, elle n’est plus là. Aucune trace de son passage n’est désormais visible. Pas plus qu’on ne peut imaginer qu’à une époque, j’ai souhaité explorer l’ailleurs, mu par ces quatre roues. Plus rien ne témoigne que ce véhicule fantôme fut un jour en capacité de produire une quelconque énergie cinétique.
Et moi, je suis comme cette voiture que l’on a dépecée bout après bout, rétro après portière.
Je ne sais plus pourquoi j’ai arrêté d’aller.
J’ai oublié la raison de cette disparition.
J’ai d’abord oublié les mots, je crois, puis les couleurs se sont estompées. Une à une. Tel un acouphène qui en sifflant m’enlevait la capacité d’entendre certains sons, mon absence d’envie a fondu les couleurs.
L’air m’a alors manqué et j’ai dégringolé le long du souvenir, balayant d’un regard vide ma vie qui s’effaçait.
Le processus qui se voulait volontaire au tout début s’est emballé. Je perds une à une les raisons qui pourraient m’aider à passer la marche arrière. Je ne sais plus pourquoi j’ai enclenché cet effacement. La cause initiale de tout cela m’échappe. La fuite sans doute.
Il est l’heure d’observer ma ligne de vie tranchée, car aujourd’hui samedi – ou serait-ce dimanche ? –, j’ai balayé jusqu’aux plus minuscules poussières de mes souvenirs.
C’est maintenant qu’il me faut ouvrir la main.
***
Je regarde ce texte brut et étrangement prémonitoire.
Aujourd’hui, j’essaye de me souvenir. La douleur de l’absence me manque. Toutes ces disparitions dont le sens même s’évade jour après jour.
Je tente de faire le point. Où sont parties ces larmes ?
Ma voiture. L’idée de mon père, loin. Le contact avec un autre humain, toucher une femme.
Toutes ces poussières du passé dissoutes dans l'espace entre les êtres.
29 commentaires
Nicole Pastor
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Il y a un an
ZELI
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MarionH
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Il y a 2 ans