Fyctia
I
Je n'ai jamais très bien entendu. Bien sûr, j'ai déjà entendu, tous les jours à vrai dire, très peu comme très fort, mais jamais très bien.
C'est la première fois que mon père crie. Et, pour rendre justice à toutes ces années sans bruit, à tous ses reproches qu'il s'est forcé de chuchoter, j'aurais aimé bien l'entendre. Juste lui ; juste aujourd'hui. Tant bien que mal, je tente de me concentrer sur ses mots. Mais plus il avance, plus la brume le découvre, plus sa voix se rapproche, et plus j'ai mal de l'entendre. Son inflexion âpre me crève l'oreille. J'ai trop mal pour écouter. J'ai beau essayer, je n'arrive qu'à grimacer.
Ma grimace doit ressembler à un sourire. Je ne devrais pas sourire. Surtout pas maintenant. Surtout pas quand, les yeux vitreux, sans même s'en cacher, il désespère de me voir. Mais les muscles de mes joues semblent.. irrémédiablement tirés vers le haut. J'ai la mâchoire lourde et ma bouche se crispe dans un grelot. Impossible de me débarrasser des sourires nerveux. Il doit les prendre pour de l'insolence.
Quitte à ce que j'aie mal, j'aimerais voir mon père tout à fait enragé. Je crois que j'en ai besoin. Qu'aujourd'hui, sous ces gros nuages aux reflets d'ecchymoses, il me crache au visage toute sa vie que j'ai gâchée, tout le bonheur que j'ai interdit. Je le sais autant que lui, je veux qu'il me le dise, qu'on sache tous les deux, qu'on accepte ensemble. C'est une colère qui m'apaiserait. Sans ce silence de désert, on arrêterait de feindre que tout va bien. Pourtant, même des braises au coin des lèvres, c'est de l'amour que jette son regard. Ses traits se creusent et on y voit presque la poussière glisser. Au fond des orbites froides, la pupille s'agite - ce n'est pas la colère. On dirait que ses cheveux gris ont un peu frisotté. Ils ne frisottent pas souvent mais, aujourd'hui, ils semblent à bout de l'humidité, de même que Papa est à bout de sa fille unique.
« Qu'est-ce que tu es encore allée foutre, Grâce ? » postillonne-t-il entre les gouttelettes qui picotent le pavé.
Je me contente de lui tapoter maladroitement le dos. Il n'aura pas de réponse, puisque déjà ses jambes tremblent. Le regard vide, il demeure quelques minutes à regarder le lycée grossir sous le brouillard, alors que je vois mon reflet se brouiller sur la fenêtre de la voiture. Il n'y a pas de joie sur ce visage. Il n'y a que du ridicule. Deux sourcils blonds s'abaissent mollement. Pauvre fille... Elle ressemble à un clown triste.
Quand la sonnerie retentit, mon corps frissonne. Finalement, mon père me fait signe d'aller dans l'auto, mais on ne rentre pas à la maison. Pas alors que l'on est mercredi.
« J'ai demandé à avancer le rendez-vous » il échappe dans un dernier soupir.
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M.B.Auzil
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Blanche de Saint-Cyr
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Amphitrite
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