Fyctia
Chapitre 7
Miguel, qui ne savait rien du complot monté contre lui, s'est réveillé en sursaut, a descendu les escaliers si vite que j'ai eu l'impression qu'il était en train de voler et a hurlé :
— J'ai une idée !
Sans bonjour, sans contexte, juste un cri depuis le salon, suivi d'un vacarme de tiroirs qu'on imagine mal si on ne l'a pas vécu. Il était encore en pyjama et tenait une bassine en plastique à l'envers au-dessus de sa tête.
— Puisque les pistes de ski ne sont pas ouvertes aujourd'hui, on va faire de la luge.
Peter est passé à côté, une tartine à la main.
— On n'a pas de luge.
— C'est exactement pour cette raison qu'on va utiliser des bassines comme ci-dessus, a répondu Miguel en levant les yeux vers sa « luge ».
On est tous partis s'habiller, et j'ai enfin pu mettre mon pantalon thermique, avec en dessous un de mes fameux leggings troués. Dix minutes plus tard, tout le monde était dehors. Nathan portait une planche de bois qui avait été, probablement, une étagère. Et moi ? Dans l'optique de ne pas mourir aujourd'hui, ni mourir la première, je suis montée avec Scott sur une vieille planche à découper géante qui traînait dans la cuisine. La pente derrière le chalet était beaucoup trop raide. Et accessoirement verglacée. Mais on a quand même lancé la première descente.
Toujours dans l'optique de suivre le protocole anti-ronflement de Saint-Ski, on a décidé de faire descendre Miguel en premier avec comme excuse : « Mais c'est toi qui as eu l'idée ». Il a donc acquiescé, s'est installé dans sa bassine et a crié « Pour Saint-Ski ! » avant de partir en vrille au bout de trois mètres. En voyant qu'il était toujours en vie à l'arrivée, Scott et moi avons décidé de nous lancer. On a tenu six secondes, ce qui est cela dit trois secondes de plus que Miguel. On a viré vers la gauche, sans la planche, et on a juste fait un remake d’acrosport puisqu'on a fini toute la descente en roulade avant, et même arrière une fois pour moi (je n'ai pas réussi à me manœuvrer). Liam a failli se casser le coccyx sur une racine, mais est resté digne. Et Isaac a refusé de glisser tant que quelqu'un n’avait pas béni la pente avec une énergie bienveillante. Comme il l'a rappelé à tous tout à l'heure, ils n'ont pas intérêt à se blesser ni aujourd'hui, ni demain sur les pistes, ils ont un match en janvier et le coach va les assassiner s'ils reviennent blessés. Nathan s'est donc sacrifié en lançant un marshmallow dans la neige. Isaac l'a jugé acceptable et s'est donc lancé à son tour. Il a pris trois minutes à descendre trente mètres. C'était catastrophique. Il avait pris des sacs-poubelle en guise de luge... Selon lui, comme c'était du plastique, ça aurait dû glisser...
Et c'était ça toute la matinée. Jusqu'au moment où Scott m'a demandé de passer à l'avant. Avait-il prévu un sacrifice ? J'ai hésité. Passer à l'avant, ça voulait dire manger la neige en premier. Prendre tous les chocs. Et même être le pare-chocs. J'ai regardé Scott dans les yeux. Il avait ce regard-là. Celui du mec qui sait très bien ce qu'il fait, mais qui met ça sur le compte de « l'expérience humaine ». J'ai pris ma place devant, Scott s'est installé derrière moi comme si on partait en voyage. J'espère juste ne pas voyager jusqu'au paradis...
— On y va quand tu veux, a-t-il dit en chuchotant.
J'ai inspiré. Fort. J'ai lancé un regard vers le sommet de la pente. Personne ne disait rien. Même Miguel nous regardait avec une solennité nouvelle. Et j'ai à mon tour crié :
— Pour Saint-Ski !
Scott s'est calé derrière moi, jambes de chaque côté, bras autour de ma taille comme une ceinture de sécurité.
— Je te tiens, m'a-t-il dit.
Et on a glissé. Enfin « glissé » est un mot un peu ambitieux. Le verglas a pris la parole et même si au début c'était assez fluide, une bosse nous a projetés en l'air comme dans un mauvais rêve. Et là, dans un pur réflexe de survie, Scott a planté ses mains quelque part pour se retenir. Spoiler : ce quelque part était ma poitrine. Visiblement la scène de la salle de bains ne lui a pas suffi, il en redemandait.
J'ai hurlé, il a crié, la planche a vrillé mais n'est pas partie sans nous cette fois. Mais on a quand même fini encastrés dans un mont de neige, lui, les mains toujours là, figé comme un lapin. Et j'ai essayé, entre deux toux, de le ramener à la vie.
— Scott, aurais-tu l'amabilité de lâcher mes melons s'il te plaît.
Il a levé les mains comme si elles étaient radioactives.
— Je ne voulais pas attraper tes melons ! Ce n'était que pour l'équilibre ! a-t-il tenté de se justifier.
— Tes mains étaient pourtant à la bonne place à l'aller...
— C'était pour l'é-qui-li-bre, a-t-il insisté.
Je me suis relevée, trempée et gelée. Scott ne me regardait plus dans les yeux, pour la seconde fois de la journée, et a ramassé la planche en silence.
On est rentrés au chalet complètement affamés. Miguel s'est empressé de crier « Raclette ! » en ouvrant la porte, ce qui a suffi à motiver tout le monde. Sauf Peter. Qui, à très juste titre, nous a rappelé que les seules et uniques toilettes de ce chalet seraient siennes pour le reste de la journée et que si quelqu'un avait le malheur d'y être, alors qu'il en avait besoin, alors il en subirait les conséquences (le pauvre est intolérant au lactose). Scott et moi métions la table. Il pliait les serviettes en triangles pendant que je le regardais faire. Travail d'équipe.
La raclette a commencé... façon Saint-ski : quatre poêlons pour huit et trois personnes en compétition constante pour récupérer le fromage fondu pile au bon moment.
Et là... (je savais que ça se serait découvert un jour), mon frère, mon frère de sang, mon frère de la même famille que la mienne, a ruiné toute la soirée...
— Qu'est-ce que tu fais là malheureux ? a dit Nathan, yeux écarquillés.
Il venait, avec sa fourchette, de réduire sa pomme de terre... en purée (ça n'est malheureusement pas une façon de parler). Ensuite, il a pris deux tranches de jambon... et est parti les mixer... Ensuite, il a tout mélangé ensemble. Pomme de terre-purée, jambon-miettes et a fini par verser son fromage fondu par-dessus.
Silence autour de la table.
— C'est ton premier contact avec une raclette ? a demandé Peter, doucement.
Jayden a levé les yeux, très sérieux.
— C'est comme ça que je la mange depuis toujours.
— Tu fais une purée de raclette ? a demandé Liam en posant sa fourchette.
— C'est bien plus que ça ! J'ai optimisé le format. Tout tient sur une cuillère. Une bouchée ? L'expérience complète. J'appelle ça le raclette-bowl, a ajouté Jayden, très fier.
Et comme si tout ça ne suffisait pas, il a pris un peu de ketchup. Personne n'a bougé, on a juste détourné les yeux, n'arrivant même plus à respirer convenablement.
— Que ce repas nous serve de leçon les amis, a annoncé Liam. N'oubliez jamais qu'on ne peut pas faire confiance à tout le monde et que même les personnes que vous pensiez les plus proches de vous ne partagent pas toujours les mêmes valeurs que les vôtres.
16 commentaires
Justine Zukier
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Il y a 9 heures
petites.plumes
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Il y a 10 jours
elswb
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Il y a 13 jours
jennitos
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Il y a 16 jours
Jennifer Soëns
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Il y a 16 jours
nanachristophesoens
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Il y a 17 jours
silversjocelyne
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Il y a 19 jours
Jennifer Soëns
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Il y a 19 jours
loup pourpre
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Il y a 20 jours
Hooper (Seb Verdier)
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Il y a 20 jours