Fyctia
Chapitre 6
La première nuit dans le chalet était presque paisible, (nonobstant le « vieux parquet », comme j'aime l'appeler), jusqu'à ce que la deuxième nuit arrive. Plus précisément, jusqu'à ce que Miguel s'endorme. Son ronflement n'était pas un son. Non. C'était un phénomène météorologique. D'abord, un petit souffle, doux, presque mignon. Et là, au moment où personne ne s'y attend, il attaque. Et quand je parle d'attaque, c'est que je ne souhaite pas ça même à mon pire ennemi. Il y a quand même deux couloirs, un escalier et une porte qui séparent les chambres... et pourtant...
— Est-ce qu'on a un grizzly dans la maison ? a hurlé Liam d'en bas.
— C'est à peine humain, a renchéri Isaac en mettant des chaussettes sur ses oreilles.
— On peut l'étouffer avec un coussin légalement ? j'ai chuchoté à Scott à côté de moi.
— Chut, j'essaie de synchroniser ma respiration avec la sienne, nous a dit Isaac.
On s'est forcé à fermer les yeux et à oublier.
Ce matin je me suis réveillée avant tout le monde. Même si je n'ai que très peu dormi puisque les bruits de chantier ne se sont calmés que vers trois heures trente. Je suis restée un instant sous la couette, à écouter le bois qui craque doucement, le souffle du vent contre les vitres. Et quelque part au loin, le bruit feutré de la neige qui tombe encore un peu. Je me suis levée de sorte à ne réveiller personne. Isaac, sur le sol, toujours dans sa position du lotus inversé. Scott à côté de moi avait la couette tirée jusqu'aux oreilles.
Dans le salon, la lumière du matin filtrait à peine à travers les rideaux. J'ai décidé d'allumer toutes les guirlandes et de mettre du bois dans la cheminée. J'espère ne pas réveiller Liam, mais il me paraît bien trop loin dans son sommeil pour comprendre qu'il existe de la vie autour de lui. Je ne comprends d'ailleurs toujours pas pourquoi il ne dort pas dans le magnifique et spacieux canapé angle. Il justifie ça par le dénomination de l'objet, canapé-lit n'est pas égal à canapé angle.
Je me suis approchée de la grande baie vitrée. Dehors, tout était blanc, la neige sur le sol était intact, comme une couverture posée avec soin. De toutes petites traces de pas menaient vers la forêt. Probablement celles d'un écureuil. J'en ai profité pour aller dans la salle de bain. Je peux enfin prendre du temps pour moi et un bain me ferait le plus grand bien.
La salle de bain était calme, j'avais allumé le chauffage dix minutes plus tôt donc elle était tiède, tout était parfait. J'ai commencé à faire couler le bain, la vapeur montait doucement et je suis rentrée dedans. L'eau chaude me faisait presque oublier que j'avais passé la nuit à écouter un mammouth asthmatique respirer dans la pièce d'à côté.
Je venais tout juste de fermer les yeux quand j'ai entendu la porte s'ouvrir doucement. Juste... Le genre d'ouverture de porte que fait quelqu'un qui croit être seul au monde. Je sais, je l'ai fait quinze minutes plus tôt. Je suis restée figée, j'entends un pas, puis un deuxième pas, puis Scott est entré. En caleçon, dans un sweat trop grand, encore mi-endormi. Il frottait ses yeux d'une main, sa brosse à dents dans l'autre. Et puisque je n'ai aucun instinct de survie je me suis mise en apnée, je me suis dit que peut-être il ne se rendrait pas compte qu'il venait d'entrer dans un sauna, qu'il ne me verrait pas et qu'il repartirait après s'être lavé les dents. Sauf que, figurez-vous qu'il a contourné le lavabo, il s'est arrêté, il a baillé, et il a levé la tête vers le miroir. Et à travers la buée, nos regards se sont croisés. Nous n'avons eu qu'une demi-seconde de flottement. Puis :
— Oh mon dieu !?
— Oh mon dieuuuuuuuu !
— Quelle horreur !
— Quoiiiii ?! Comment ça qu'elle horreur !? j'ai répondu par réflexe.
— Non pas toi ! Pas toi qui es une horreur ! C'est pas ce que je voulais dire ! Je suis aveugle de toute façon ! Je n'ai rien vu ! Rien vu du tout !
Il a reculé, tapé son pied contre le meuble, a encore crié et a enfin refermé la porte. Et j'ai entendu tout le monde râler pour savoir ce qui s'était passé. Personne. N'en. Saura. Jamais. Rien. Et surtout pas Jayden.
Après cette petite escapade nudiste, on s'est tous retrouvés dans la cuisine. Jayden avait les yeux injectés de sang et tournait sa cuillère dans une tasse vide. Liam avait mis ses lunettes de soleil à l'intérieur « pour se protéger de Miguel ». Scott buvait son thé sans bouger les lèvres, ni les yeux, de peur de rencontrer les miens, je pense. Nathan a parlé le premier.
— Bon. Faut qu'on déplace Miguel.
— On peut pas le tuer d'abord ? Ça sera plus simple à déplacer., a soufflé Isaac.
— Non abruti. Par contre, on peut l'exiler dans la réserve à skis, a proposé Peter.
— Il va avoir froid, j'ai répondu.
— On a qu'à l'enfermer dans la salle de bain, il aura plus chaud comme ça, répond Scott d'un coup.
Je le regarde, bouche-bée.
— Faut lui faire écouter son ronflement, a dit Liam en sortant son téléphone. Je l'ai enregistré. Il s'exilera lui-même dans un autre chalet. Voir même dans une autre station de ski.
Il a mis le son. Et là. Un rugissement de dragon enrhumé, mixé à un bruit de chasse d'eau, avec des pauses brutales suivies d'accélérations suspectes. On aurait dit que quelqu'un essayait de passer sa tondeuse dans de la purée.
Jayden a reculé.
— Je comprends mieux pourquoi j'ai rêvé d'une alerte à la tornade.
— J'ai entendu ça à travers trois murs, a dit Scott. Trois. Murs.
— Il faut le confronter, a dit Nathan, très premier degré. Avec amour, mais aussi fermeté.
Et c'est ainsi que, ce jour-là, est né le protocole anti-ronflement de Saint-Ski.
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celyako
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Il y a 2 jours
nanachristophesoens
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Il y a 18 jours
Aakira
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Il y a 18 jours
Jennifer Soëns
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Il y a 18 jours
WinterHaru
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Il y a 20 jours
Jennifer Soëns
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Il y a 20 jours
AyleEme
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Il y a 21 jours