Fyctia

Pour notre premier vrai jour dans le chalet de Saint-ski, la mission était simple. Il nous fallait un énorme sapin pour décorer l'énorme salon. Le petit déjeuner s'est construit autour du style de sapin à viser.

— Moi je veux un vrai sapin, a lancé Miguel. Un avec une bonne odeur de forêt, qui perd ses épines mais qui a une âme.

— Moi je veux un sapin symétrique, lui a répondu Nathan. On n'est pas dans une ferme, on est dans une esthétique hivernale.

— C'est un arbre, lui répond Scott. Pas une œuvre de Michel-Ange.

Jayden a tranché avec une tasse de café à la main :

— On prend le premier qui fait moins de deux mètres cinquante et qui rentre dans le van.

Pas faux. J'avais oublié les limites logistiques imposées par la taille du sapin.

On s'est habillés comme pour une expédition polaire (sauf Liam, qui a jugé pertinent de sortir avec un bonnet de Père Noël et des lunettes de soleil) et on est partis sans le van au final, on s'est dit que comme l'union faisait la force, on réussirait à le traîner jusqu'au chalet. Au bout de vingt minutes de marche, on n'avait toujours rien coupé. Juste critiqué environ quarante-deux sapins.

— Trop maigre.

— Trop penché.

— Vous êtes super discriminatoire, j'ai lancé. Qu'aurais dit les réseaux sociaux si vous parliez d'une femme ?

— Oula, celui là est dégarni, le pauvre... a renchéri Isaac sans même m'adresser un regard.

A un moment, Nathan a pointé un conifère un peu dégarnie du bas mais majestueux en haut.

— Celui-là a une vibe.

— Celui-là est planté, a précisé Peter. Il est littéralement enraciné dans le sol et tu n'as pas pris ton "peignoir bûcheron".

— Oui, ben il faut faire des sacrifices pour l'esthétique.

On a quand même continué à marcher, jusqu'à ce que Miguel, sans prévenir, sorte une scie de son sac à dos. Une scie.

— Attends mais t'as prévu ça depuis ce matin ? Et en plus où est-ce que t'as trouvé ça ?

— Ne pose pas de questions auxquelles tu ne veux pas de réponses, mon beau.

Finalement, c'est Jayden qui a choisi le sapin. Il n'était pas parfait, mais bien touffu, avec un tronc droit et un bon équilibre branches-cœur. On a tous approuvé, à nos yeux, il était parfait. On s'est battus pendant dix bonnes minutes pour le couper droit et le faire tomber. Isaac l'a appelé « Jean-Sapin ». On était donc en train de tirer Jean tant bien que mal, à six dessus pendant que Liam lui chantait des encouragements « allez Jean-Sapin, montre-leur ce que t'as dans le tronc ! », quand j'ai senti Scott se rapprocher lentement de moi.

— Jahan, ne bouge pas.

— Quoi ? Pourquoi ?

— Bouge. Pas.

(Jamais rassurant quand quelqu'un précise.)

— Scott... Qu'est-ce que tu vois ?

Il a fait un petit mouvement de recul, comme pour préparer une fuite. Et là, il a murmuré, très calmement :

— Tu vas paniquer, mais tu ne dois pas paniquer.

— Par pitié, dis moi ce qui se passe.

— T'as... une araignée dans le cou.

Je me suis figée.

— Scott, quelle sorte d'araignée est ce que j'ai sur moi ?

— Une araignée loup.

Je l'ai regardé dans les yeux. Il avait ce regard compatissant qu'on réserve aux condamnés.

— Une araignée loup !?

— Je t'ai dit de pas crier.

Mais il était trop tard. J'ai lâché le sapin, hurlé, et me suis mise à danser sur place en agitant les bras comment une personne qui cherche à libérer son feu intérieur. Scott a tenté de m'attraper pour m'aider, ou me neutraliser, je ne sais plus, et Jayden s'est lui aussi mis à crier, et ils se sont tous mis à crier sans savoir pourquoi.

L'araignée était apparemment tombée dans la neige depuis un moment mais Scott n'a pas eu le temps d'en placer une, donc on ne l'a su que bien plus tard.

De retour au chalet, tous trempés, on a installé Jean-Sapin dans un coin du salon. Et là... il a penché.

— Non, non, non, non, a crié Peter en courant chercher un niveau à bulle qu'il n'a pas trouvé.

— On va le caler avec les livres de Noël qu'on a dans la chambre, a proposé Scott.

Malin... j'aurais dû avoir l'idée en première. Une fois à peu près stabilisé, on a sorti la boîte de décorations qu'on a trouvée hier dans les tiroirs sous le lit de Miguel. Des boules rouges, de superbes guirlandes lumineuses d'environ... trop de mètres ? Je ne sais pas calculer une taille de tête. Des flocons en feutrine, plein de mini peluches en forme de rennes, de lutin, de Père Noël, le tout super kitsch. J'a-do-re. Et une énorme étoile dorée qui respire la confiance en elle. J'ai proposé à tout le monde d'y accrocher un objet fétiche ! Pour qu'il soit royal, mais surtout à notre image. Scott a été le premier à jouer le jeu. Il est revenu de la cuisine avec une petite cuillère dorée.

— Je l'ai prise dans le tiroir du bas. Elle est trop jolie pour être utilisée. Donc je l'offre à Jean-Sapin.

Il l'a accrochée avec un bout de fil, très appliqué. Miguel est arrivé derrière lui, une chaussette de sport propre à la main. Enfin, j'espère.

— J'en perds toujours une. Sauf elle. C'est une survivante.

Jayden a accroché un ticket de cinéma plié en deux.

— Samedi 16 octobre 2023. La journée spéciale « exclusivité Star Wars »... Bref, je suis un homme sensible.

Nathan a choisi un bouchon de liège, Peter a accroché la clef de sa voiture et Isaac (sur qui on avait tous parié un restaurant) est revenu avec une miniature de parfum. Liam est arrivé avec le sent bon de la voiture, en forme de sapin, et l'a accroché, sur le sapin. Sacrée mise en abîme. Et moi, j'ai enfin pu sortir ma peluche sushi. Une petite boule avec des yeux brodés et un bandeau rose autour du riz. Je savais qu'elle me servirait.

— Elle s'appelle Nigiri, j'ai annoncé comme si quelqu'un me l'avait demandé.

Après avoir installé nos objets, on s'est attaqués aux vraies décorations. Scott a mis en place un plan stratégique de répartition des guirlandes après avoir dit « On est à Versailles ici ». Liam pour une raison qu'on ignore, ne décore que le côté gauche. Nathan et moi nous occupions des peluches. On les a classé par ordre d'importance, pour savoir lesquelles seraient en haut, et lesquelles seraient en bas. J'essayais aussi d'équilibrer les hauteurs, de recentrer certaines guirlandes, de rajouter un petit flocon là où c'était vide. J'ai reculé de deux pas, j'ai pris une photo. Le sapin n'était ni droit, ni très équilibré mais c'était parfait. Je ne voudrais être nulle part ailleurs qu'ici, avec eux, en ce moment.

— Jean-Sapin est prêt, a déclaré Jayden.

Et pour une fois on était tous d'accord. Il était là, debout. Le sapin de Saint-Ski. Le vrai.