Fyctia
Chapitre 4
En fin d'après-midi, je suis sortie prendre un peu l'air. Le décor carte postale à travers la fenêtre tout à l'heure ne m'a pas laissé le choix. Le soleil commençait à se coucher et l'horizon s'est teinté d'un orange presque brûlé, qui glissait lentement vers le rose pâle, puis le mauve. La neige accrochée aux branches brillait comme saupoudrée de sucre glace, et l'air avait cette teinte dorée qui rend tout trop beau pour être vrai. Pendant quelques secondes, tout était figé, silencieux. Je me suis arrêtée un moment, au milieu des sapins. Le froid s'infiltrait sous mes gants, mon nez picotait, et j'avais un flocon fondu sur la joue. Je me suis assise, j'ai posé mes gants sur mes cuisses et j'ai tendu la main pour tracer un cercle dans la neige. Puis un autre. Une étoile, un cœur. Et bizarrement, c'est là que c'est remonté. Ce moment précis où j'ai compris qu'ils ne voulaient plus de moi. Pas ouvertement, pas avec des mots, juste en arrêtant de répondre. En m'évitant, en avançant sans moi.
Je décrochais complètement des cours, et eux avaient leurs projets, leurs stages, leurs relations solides et leur confiance en eux. Moi j'étais celle qui stagnait. Et je les comprends. Vraiment. Personne n'a envie de traîner un boulet. Personne ne veut être ami avec quelqu'un qui n'avance plus. Et alors ils ont choisi de ne plus me regarder. Même ma meilleure amie est partie. Elle n'a pas eu besoin de mots, elle a juste arrêté d'être là. Et moi, j'ai encaissé avec le sourire, parce que c'est ce qu'on attendait de moi. Et maintenant je suis là, seule dans une forêt inconnue, entourée de sapins et de silence. Mais pour une fois, ce silence ne me fait pas peur. Parce qu'ils m'ont suivie. Parce que quelqu'un a remarqué que je manquais. Alors peut-être que j'existe encore un peu quelque part.
Je les entends crier mon prénom mais je ne les vois pas. J'ai regardé autour de moi. Sapin. Neige. Sapin. Neige. Arbre un peu tordu, mais pas assez pour en faire un repère fiable.
— Ok Jahan, pas de panique, ai-je dit à voix haute, comme si j'étais dans un tuto « survivre en milieu forestier pour débutants nerveux ».
J'ai tenté de faire demi-tour. Reprendre mes traces, sauf que la neige avait déjà commencé à les recouvrir. Parfait.
— Bon, c'est pas si grave, c'est juste la forêt. Il fait juste un peu froid, et un peu sombre.
Un bruit, derrière moi. D'après les voix que j'ai entendues ils sont encore trop loin, ça ne peut pas être eux. Ça ne peut pas être un animal quand même ?
— C'est probablement Miguel ou Nathan. Qui viennent me chercher avec un thermos et une cloche de vache. Il y a tellement d'écho ici que je les imagine loin, mais, au final, ils sont peut-être juste à côté ?
J'ai tourné la tête.
— Jahan !?
Ah, voilà la cavalerie. Entre les arbres, j'ai vu des lampes torches et entendu ce qui ressemblait à une dispute entre Liam et Peter sur « la meilleure méthode pour localiser une fille sans boussole ni réseau ».
— Ici ! ai-je crié. Je suis là !
— On a un visuel ! a crié Nathan.
Ils sont arrivés en groupe, essoufflés, en vrac, emmitouflés dans les manteaux les moins adaptés à une randonnée de sauvetage.
— Essaie de prévenir avant de partir la prochaine fois, a dit Scott, les mains sur les hanches. Tu ne regardes donc pas les vidéos de Victoria Charlton ?
— Désolée, j'ai juste voulu marcher un peu, c'est la forêt qui m'a perdue.
— Tu te rends compte qu'Isaac a proposé un cercle de prière collectif ? Il avait déjà commencé à faire son deuil, me coupe Jayden.
— C'est... Gentil ?
On a reprit le chemin vers le chalet, j'étais gelée, fatiguée et un peu touchée. Même si Isaac est un peu dramatique. Ça n'était pas si grave.
Le retour au chalet s'est fait en silence. Pas parce qu'ils m'en voulaient. Juste parce qu'ils étaient congelés, et que Scott s'est mis en mission « ramener l'unité vivante ». Nathan m'a tendu un plaid comme si c'était une couverture de survie, ils ont mis du bois dans la cheminée et on s'est tous assis dans le canapé, un verre de chocolat chaud à la main. Merci Miguel. Je les ai regardés débattre sur la probabilité qu'un original ait pu me kidnapper et pendant que Jayden s'occupait de ramener les marshmallows « pour équilibrer notre taux de glycémie émotionnel » selon ses termes, Liam a lancé un nouveau débat, ici, sur la taille des empreintes de renard dans la neige. Et c'est comme ça qu'on a fini la soirée.
Demain est un nouveau jour.
Notre premier vrai jour à Saint-Ski.
Quand on est montés se coucher, il était vraiment tard. Mais Scott a décrété qu'il fallait « faire baisser l'adrénaline » avant de dormir. Et c'est comme ça qu'on s'est retrouvés à trois, enroulés dans des plaids, assis sur le même lit, à fixer l'écran d'un téléphone trop lumineux, avec Victoria Charlton qui chuchotait :
— « Aujourd'hui, on va parler d'une affaire non résolue qui s'est déroulée en pleine forêt, dans un coin reculé du Canada... »
Dix minutes plus tard, on avait tous les trois remonté le plaid jusqu'au menton. Le mot « forêt » revenait trop souvent. Et quelqu'un (je ne dirai pas qui) a demandé très doucement :
— Vous avez entendu le parquet craquer ?
Isaac a verrouillé la porte et j'ai déclaré, très solennelle :
— C'est bon, c'est décidé, demain on met du sel sur le pas de la porte et on allume de l'encens.
Spoiler, on a dormi avec la lampe de chevet allumée et personne n'a voulu aller faire pipi tout seul.
5 commentaires
celyako
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Il y a 12 jours
Caroline VI
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Il y a 14 jours
nanachristophesoens
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Il y a 18 jours
petites.plumes
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Il y a 21 jours
WinterHaru
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Il y a 21 jours