Fyctia
Chapitre 2
Une fois installés, ils ont mis exactement vingt-huit secondes à transformer notre rangée en zone sinistrée. Jayden a sorti un paquet de bonbons qu'il n'a pas l'intention de partager. Nathan a demandé à Scott s'il pouvait lui tenir la main « juste pour voir si ça porte chance », et Miguel essayait de brancher ses écouteurs dans la sortie USB de son accoudoir. Moi j'étais au milieu, symboliquement. Assise entre Peter qui lisait un bouquin avec des images et Nathan qui m'a demandé trois fois s'il pouvait s'allonger sur mes genoux « juste pendant le décollage ».
— Non.
— Ok. Mais sache que je vis un rejet affectif violent.
Derrière, j'entends Jayden râler parce qu'il n'avait pas assez de place pour ses jambes.
— C'est de la torture !
Et devant, une hôtesse a dû dire à Isaac de ranger ses parfums, encore une fois. Il essayait de les aligner par ordre de « senteur émotionnelle ». Pour ma santé mentale je n'ai pas cherché à en savoir plus. L'avion a commencé à rouler, et là, Nathan a saisi mon bras.
— Jahan, si on meurt, dis à ma mère que j'ai essayé.
— T'as essayé quoi ?
— Tout.
Liam, qui c'était donc installé à l'avant, a remonté l'allée comme un mec qui cherche ses potes en plein festival. Le regard déterminé et la démarche de celui qui ne sait pas qu'il dérange tout le monde. Il s'est arrêté à notre rangée, s'est penchée à notre hauteur et a dit, sans baisser la voix :
— Vous aussi vous sentez cette odeur de plastique fondu ou c'est que chez moi ?
Personne n'a répondu, et il est reparti, l'air offensé, genre « bon bah excusez-moi d'être attentif à votre sécurité ».
Cinq minutes plus tard, il est revenu. Il a dû demander à un couple de se lever pour pouvoir passer.
— Faut vraiment qu'on parle des horaires du van à l'arrivée. J'ai besoin de structure.
— Tu viens de remonter dix rangées pour parler d'un planning qu'on n'a même pas ? a demandé Peter.
— J'avais une pensée, j'ai agi. Je suis un homme d'impulsion, vous le savez.
— Moi je suis un homme qui va t'enfoncer dans ton siège avec un extincteur si tu continues, a répondu Nathan.
Il y a eu une pause de dix minutes. On a cru que c'était fini. Erreur de notre part. Nouvelle apparition. Cette fois, il tenait un coussin dans les bras. Il s'est penché vers moi.
— Mon oreiller de voyage est trop ferme, tu crois que je peux échanger avec un des vôtres ?
On a décidé pour le bien de tous de l'ignorer en espérant qu'il ne revienne plus jamais. Sauf qu'il s'est assis sur l'accoudoir de Scott.
— Liam, a dit Scott. Je vais te demander quelque chose de simple.
— Vas-y.
— Reste dans ta zone.
— Ma zone me rejette.
— Elle te rejette parce que t'es insupportable.
Il est reparti. Une passagère a tendu sa jambe pour lui bloquer le passage. Il l'a enjambée avec une souplesse douteuse et plus tard, il a tenté de revenir mais une hôtesse lui a barré la route.
— Monsieur, il va falloir arrêter de circuler
— Mais c'est mes amis ! Je me déplace par amitié !
— Vos amis survivront sans vous pendant deux heures.
— Mais il est là tout le problème... Moi pas.
Liam est resté là, immobile, au milieu de l'allée, comme un enfant qu'on vient de priver de récré. Puis il a fait demi-tour. Avec toute la théâtralité d'un héros tragique qui retourne à l'exil.
Jayden a soufflé.
— Il va nous faire un discours à l'arrivée, c'est sûr.
On a tous hoché la tête. Parce que c'était exactement ce qui allait se passer.
Le vol s'est passé sans crash. Miracle. Et après trois heures de Nathan qui parle aux hôtesses comme si c'était ses tantes, on a enfin atterri. Il faisait froid et on était affamés.
Dans le van qu'on a loué c'était encore pire. Neuf personnes, dix sacs, zéro espace personnel. Nathan a mis une playlist « ambiance festive », ce qui dans son langage signifie « remix techno de chants de Noël ». On est partis pour deux longues heures de route jusqu'au chalet...
On arrive enfin dans un petit village paumé dans les Laurentides, à moitié oublié des GPS, mais où tout le monde jure que « les pentes sont magiques ». Il était exactement quatorze heures dix-sept quand on est arrivés à Saint-Ski. Enfin, « arrivés » est un bien grand mot. On a calé devant le panneau d'entrée qui indiquait « Saint-Ski : plus glissant que ta vie, plus givré que ton psy. » (L'ancien slogan était « Saint-Ski : on y vient pour skier, on y reste pour pleurer », mais le bruit court que la mairie a dû le changer.) J'ai passé toute la route coincée entre deux sacs de hockey, mon manteau trop grand et une énorme boite de Reese's sur les genoux. Le van a redémarré comme par miracle, et on a roulé encore dix minutes à travers une route forestière mal déneigée. Et là, au milieu des sapins, le chalet est apparu. Saint-chalet. Une vieille enseigne en bois était accrochée de travers : « Chalet du Pin Perdu ». Puis Liam a soufflé, dans un souffle presque religieux :
— On est arrivés.
Et là, dans un grincement lugubre, la porte d'entrée s'est ouverte toute seule. On est restés figés et Jayden a dit qu'il dormirait dans le van. D'ailleurs la porte s'est refermée toute seule, aussi. Jayden a répété qu'il dormirait dans le van. Et moi, j'ai commencé à sérieusement me demander si la dinde à l'entrée du village n'avait pas cligné des yeux.
10 commentaires
celyako
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Il y a 12 jours
Caroline VI
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Il y a 14 jours
nanachristophesoens
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Il y a 18 jours
Passions-Fictions-Laëti
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Il y a 20 jours
silversjocelyne
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Il y a 20 jours
Jennifer Soëns
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Il y a 20 jours
Aakira
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Il y a 21 jours
Jennifer Soëns
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Il y a 21 jours
WinterHaru
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Il y a 21 jours