Fyctia

— Enzo ! Réveille-toi ! Putain, on est à la bourre !

— Quoi ? Laisses moi tranquille… Bordel ! j’étais à deux doigts d’embrasser Jessica de la quatrième-trois.

— Enzo ! Il est huit heures moins dix ! Bouge-toi !

Les deux compères se levèrent d’un bond. Ils se mirent à courir dans tous les sens. À plusieurs reprises, ils faillirent se rentrer dedans. Sans avoir déjeuné, ils sortirent, Jack avec une salopette de fermier et Enzo avec son teeshirt et chaussettes à l’envers. Ils déboulèrent dans la cage d’escalier, sautant systématiquement les trois dernières marches de chaque palier. On pouvait entendre leur remue-ménage à plus de trois étages en dessous. Lorsqu’ils arrivèrent au rez-de-chaussée, le gros transpirant les attendait avec son balai qu’il agitait en beuglant :

— On ne court pas dans les parties communes ! Sales petits mioches ! Oh, si je vous attrape…

Lorsque Jack le vit, il fonça droit sur lui. À la manière d’un dribble de Ronaldo, il esquiva le coup de balai et bifurqua sur la droite à cinquante centimètres du propriétaire. Enzo, qui avait du mal à suivre, effectua plus ou moins bien la même manœuvre, mais sur la gauche. Ils passèrent la porte d’entrée et éclatèrent de rire en entendant le gros hurler.

Après quinze minutes de marche, Jack interrogea Enzo :

— Au fait, c’est quoi cette histoire de bisous avec Jessica ?

Le rouge envahit Enzo.

— De quoi tu parles ?

— Ce matin, au réveil, tu as dit…

— Je sais ce que j’ai dit, mais je dormais encore, bordel ! J’ai dit n’importe quoi… Oublie ça !

— Ho Jessica ! Je t’aime ! Bisous, bisous !

En disant ça, Jack se prit lui-même dans les bras, mimant un tendre baisé.

—Arrête, c’est bon ! J’avoue, je la kiffe et ça m’arrive de rêver d’elle.

— Au fait, on est trop en retard, Je pense qu’il vaudrait mieux passer à la boutique en rentrant de l’école !

— T’as raison mec, je n’ai pas envie d’être en retenue avec la prof d’anglais. Elle me fait flipper avec sa moustache, dit Enzo avec dégoût.

— Ouais, allez, on court !

À dix-sept heures, sur le chemin du retour, les garçons stoppèrent.

— Putain ! Regarde, Enzo ! L’antiquaire est fermé !

— Comment on va faire ? Ta mère comptait sur nous !

— Je ne sais pas, on va voir, il y a une pancarte.

Sur la devanture du magasin du vieux Leland Gaunt, était affichée une pancarte : « Fermeture Définitive à midi. Réouverture dans un mois à Castle-Rock.»

— Enzo, il faut qu’on trouve une solution. Mam’ compte sur cet argent pour le loyer. Sinon, l’enfoiré va nous foutre dehors.

— J’ai peut-être une idée. Mon frère, Luc, connait les grands de la cité. Ils trafiquent tout le temps. Il y a peut-être moyen de refourguer les bijoux ! Qu’est-ce t’en penses ?

— Envoie un message à ton frangin. Il faudrait qu’il nous organise ça.

— T’inquiète, mon pote. Ça va le faire.

Luc attendait les deux amis devant la tour du quartier. Il recoiffa ses cheveux roux bouclés devant la porte vitrée de l’immeuble. Enzo et Jack arrivèrent, sac sur le dos et mains dans les poches.

— Salut les microbes !

— Sa-luc ! Dis Enzo en rigolant.

— Bonjour Luc ! Enzo t’a raconté ? Tu penses qu’il y a moyen de moyenner ?

Luc soupira et tendit la laisse du chien à son frère.

— Sérieux frangin ! Tu sais bien qu’Hulk et moi, c’est pas le grand amour.

— Ferme là ! Et tiens ça.

Enzo, tremblant légèrement, saisit la laisse en évitant de regarder le rottweiler. C’était le genre de chien qui n’avait qu’un seul maître, qu’il ne fallait jamais le regarder dans les yeux car il prenait ça pour une agression. Et Hulk sautait à la gorge.

Luc s’approcha de Jack et prit le garçon par épaule en déclarant :

— Fais voir ta camelote !

Jack sortit un petit sac de sa poche et lui montra les bijoux.

— Écoute, mon pote ! Moi ça m’intéresse. La bitch que je veux serrer raffole de ce genre de truc. J’ai rendez-vous avec elle ce soir pour une affaire sérieuse. Tu comprendras plus tard… Il mima plusieurs va et vient du bassin et reprit :

— Je te propose un truc. En ce moment, c’est la dèche mais j’attends une belle somme de fric. Je voudrais qu’en échange de ta quincaillerie, tu gardes pour moi une plante.

— Quoi ? Une plante ? Mais…

— Attends… c’est une plante spéciale. Magique ! Elle est capable de t’emmener au septième ciel. Elle vaut de l’or. Si tu fais ça pour moi, je te paierai le double de la valeur des bijoux dans une semaine max ! Alors, t’en penses quoi ?

— Je sais pas…

— Réfléchis Jack, tu pourras peut-être donner à ta mère de quoi payer plusieurs loyers… Putain ! Luc, reprends ton clébard, il me fait flipper.

— Ok, ça marche. Dit Jack.

— Merci gamin, grâce à toi je vais passer une putain de soirée !

Ils montèrent ensembles les six étages. Sur le palier, Jack et Luc procédèrent à la transaction. La plante était presque aussi grande que Jack. D’un vert fluo et d’une odeur particulière, elle avait des centaines de feuilles à cinq branches. Jack avait déjà vu ces feuilles, sur des vidéos Youtube.

Dans la chambre de Jack, les deux garçons observaient la plante posée sur le bureau, comme subjugués, attirés par son parfum.

— Je crois que c’est de la drogue, dit Jack.

— C’est clair ! dit Enzo avant d’ajouter : J’ai entendu mon frère en parler au téléphone avec un de ses potes. Il parait que tu n’as pas besoin de faire sécher ses feuilles. C’est une espèce unique au monde. Tu peux la fumer direct et elle t’envoie au paradis. Il a ajouté que cette plante était la poule aux œufs d’or. Elle valait une fortune. Si on essayait ?

— T’es pas sérieux ?

— Ta mère dort et ce soir elle retourne travailler. C’est le bon moment !

— Ton frère nous tuera s’il l’apprend !

— Elle a des milliers de feuilles, si on en prend une, il ne s’en rendra même pas compte !

— Je ne sais pas comment on fait pour fumer ça moi !

— T’inquiète, je vais trouver des tutos. Je rentre et je reviens après manger !

— Ça marche ! À toute mon pote.

Jack décida de poser la plante derrière la porte du placard, au cas où sa mère viendrait le voir. Puis, studieux, il commença ses devoirs. Dans sa chambre, l’odeur de la plante était omniprésente.