Fyctia

— Non ! Ne raccrochez pas, s’il vous plait ! Attendez ! Si vous faites ça, mon fils et moi serons à la rue ! Oui ! Bien sûr, je comprends mais… Par pitié, je vous demande juste un petit délai ! Oui ! Jusqu’à la fin du mois. Je ferai ce que vous voudrez… Hum, hum ! Merci, du fond du coeur, merci. Pour la fin de la semaine, sans fautes.

La mère de Jack, en peignoir et les cheveux ébouriffés, éclata en sanglot. Dans la cuisine du minuscule appartement, elle se leva et saisit une bouteille de Gin aux trois quarts vides. Elle se servit un verre et le but cul sec. Puis un autre et encore un autre…

Jack, caché derrière la porte, l’observait dans l’embrasure. Sa mère n’allait pas bien depuis un bon moment. Elle pleurait et buvait de plus en plus. Jack eut les larmes aux yeux. Il ne supportait plus de la voir comme ça. Il poussa doucement la porte.

— Maman !

— Oh petit jack ! Viens, mon Chat !

Elle se plaça devant la table, cachant tant bien que mal la bouteille d’alcool. Jack avança et se lova dans ses bras, la serrant fort.

— Qu’est-ce qu’il se passe maman ? Qu’est-ce que tu as ?

— Ça va aller mon chéri. Ne t’inquiètes pas. Maman gère. Tu te souviens quand tu m’appelais « SuperMaman » ?

— Oui !

— Eh bien, SuperMaman est de retour. Et elle va tout arranger. Assied toi deux minutes, je vais te servir un verre de lait.

— Il n’y en a plus depuis longtemps mam.

— Oh ! Et bien, va te laver les mains et reviens mettre la table, s’il te plaît. Je réchauffe une boite d’haricots.

Jack avait douze ans. Et à douze ans, il comprenait parfaitement la situation. Depuis que Papa avait foutu le camp, maman travaillait dix heures par nuit à l’hôpital de Creil, dans l’oise. Elle lavait et désinfectait les sols, le mobilier et les chambres des patients. Malgré ses efforts, elle ne gagnait pas suffisamment d’argent pour payer le loyer et vivre décemment, même en zone pauvre de la ville.

Le propriétaire de leur appartement, situé au sixième étage de la tour du plateau, était gros comme une vache, un gros monsieur qui transpirait tout le temps. Il habitait au rez-de-chaussée et passait son temps à chasser les jeunes du quartier, comme si l’immeuble tout entier lui appartenait. Il était horrible. Jack et ses copains le détestaient. Ils adoraient lui jouer des mauvais tours en rentrant de l’école, juste pour l’entendre pester. Mais aujourd’hui, en voyant sa mère pleurer, Jack comprit que la situation était grave et que le gros monsieur n’hésiterait pas longtemps avant de les expulser.

Après le repas, Jack était sur son lit, les bras derrière la tête. Il regarda les posters de Cristiano Ronaldo affichés sur le mur. Comme la plupart des garçons de son âge, il voulait devenir joueur de foot professionnel, à l’image de son idole, non meilleur, plus fort que Ronaldo. Il gagnerait des millions. Il achèterait une maison, non plutôt un château, pour sa mère. Ils seraient à l’abris du besoin… Quelqu’un frappa à la porte.

— Toc toc toc, Jack ? Toc toc toc, Jack ?

Cette façon de frapper trois fois était un code. Ça ne pouvait être que Enzo, son pote, son meilleur pote. Le voisin d’en face avec qui il passait tout son temps. Enzo venait dormir chez lui chaque fois que sa mère travaillait.

— Entre Enzo ! Jack se releva et lui fit signe de s’assoir sur le lit. Ils firent un check et Enzo déclara :

— Ça va mec ?

— Bof, c’est pas le top en ce moment ! Le gros puant embrouille ma mère pour le loyer ! J’ai envie de lui faire bouffer ses couilles !

— Pfff, Il nous prend tous pour des paysans. Si on foutait de la merde dans sa boite aux lettres ? Je suis sûr qu’on en trouvera une belle dans la rue. Mon frère sort son chien tous les jours. Il le laisse chier sur le trottoir exprès, souvent près de la fenêtre du gros ! Et je te garantit qu’Hulk fait les plus grosses merdes que t’as jamais vu ! Dit Enzo en saisissant la manette de la play.

— Non ! Ce coup si, c’est grave. Je ne veux pas que maman ait des ennuis.

— Comme tu voudras… Putain ! T’as pas fait la mise à jour Fortnite ! Ça va encore prendre la moitié de la nuit. T’abuses, sérieux !

Jack était perdu dans ses pensées.

Pendant ce temps-là, Enzo râlait sur la console de jeux. Il était l’opposé de jack, un look du parfait Geek. Lunette, cheveux roux, petit et rondouillard, il était le plus nul du collège en sport. Par contre, il était imbattable aux jeux vidéo et il arrivait, parfois, que les gars de la cité lui demandent de passer tel ou tel niveau sur lequel ils galéraient. Ça lui procurait une certaine immunité pour éviter d’être le souffre-douleur des grands.

— Toc toc ! Les garçons ?

La mère de jack avait pris sa douche et s’était préparée pour l’hôpital.

— Oui mam !

— Bonsoir madame Alice ! Dit Enzo, tout sourire.

— Salut bonhomme… Jack, je pars dans cinq minutes. J’ai un service à te demander. J’aimerai que demain en allant à l’école, tu déposes ça cher monsieur Leland Gaunt, l’antiquaire.

Elle lui tendit sa bague de mariage, qu’elle ne portait plus, et une parure de bijoux composé d’un collier et de boucles d’oreilles. Puis ajouta :

— Il te remettra une somme d’argent. Fais-y très attention mon chat !

— Mam ! S’te plait, pas devant Enzo !

Enzo Pouffa. Alice sourit et remonta ses cheveux blonds pailles en chignons. Elle avait un maquillage sommaire qui masquait à peine deux grosses valises sous ses yeux. À trente-huit ans, elle en paraissait cinquante. La fatigue et l’alcool avaient buriné son visage. Dommage, Alice était une jolie femme.

— Bon, Je suis sérieuse Jack. C’est très important. Et pas de jeux vidéo ce soir. Il y a école demain.

— Bonne nuit madame Alice !

— Bonne nuit les garçons !

Jack chuchota à l’intention d’Enzo :

— Faux frère. Tu es un lèche-cul.

Il s’en suivit une bataille d’oreillers qui vira très vite en prise de catch sur le lit.

Malgré les consignes d’Alice, les lumières de la chambre s’éteignirent aux alentours de quatre heures du matin. L’obscurité absorba l’appartement miteux. Le robinet de l’évier de cuisine goutait en un flop sonore et rythmé sur les assiettes sales.