Fyctia
Annie 1/2
Le réveil fut difficile. Je mets toujours un peu de temps à retrouver mes repères et à me sentir à l'aise après une perte de contrôle prolongée.
Je prends le contrat et je sors. En chemin, je vois des ouvriers communaux accrocher des guirlandes, j'avance en les regardant jusqu'à ce que je sente le sol se dérober sous mes pieds.
Cette sensation de voler et de lâcher prise, si seulement ce qui suivait n'était pas si désagréable. J'entends un des hommes s'adresser à moi alors que je me relève en me massant le poignet.
« Ça va mademoiselle ? Il faut faire attention au verglas maintenant ! »
Je regarde autour de moi et je vois que les habitations du voisinage sont recouvertes d'une fine pellicule de poudre blanche. La panique me gagne et Nina est trop silencieuse. Je lève la tête vers l'homme qui me regarde du haut de son échelle.
« Quel jour sommes-nous, monsieur ?
— 7 novembre 2022, tout va bien ?
— Je… d'accord, merci ! »
Qu'est -ce que tu fous ?
Et c'est maintenant qu'elle se manifeste ? Je salue les ouvriers et reprends ma route.
J'arrive à la pâtisserie en me massant le poignet. Bal m'ouvre la porte en affichant une mine surprise.
« Tu es tombée du lit ?
— Il faut nettoyer la salle…
— Tu t'es blessée ?
— Ce n'est rien, j'ai juste rencontré une plaque de verglas en chemin… »
Il sourit et me fait entrer.
« Le froid arrive en avance dans ce village. C'est une sorte de magie de noël : je te l'avais dit ! »
C'est juste un putain de microclimat, ouais…
« Alors, ce mariage ? »
Fallait venir pour savoir…
Quel mariage, en fait ?
C'est là que je comprends que Nina m'a endormie lors de cette soirée. Je sais qu'il y a eu un mariage, je me revois arriver dans la salle, et puis… plus rien. Un sentiment d'insécurité m'envahit. Ce sentiment laisse bien trop vite place à une rage intense qui menace d'éclater :
« Ennuyant ! » Je hurle presque, c'est gênant. Bal ne m'a rien fait.
Hmm, t'avais besoin de repos.
Je fais volte-face et mon pied heurte le seau rempli d'eau sale.
« Ce n'est pas vrai ! »
Je le rattrape de justesse et j'essuie autour en tentant de retrouver mon calme. Je n'ose pas regarder Bal. Je l'entends toussoter dans mon dos :
« J'ai acheté des thés…»
Du vrai thé ?
Je supplie Nina de la mettre en veilleuse, je suis très énervée contre elle.
« Viens voir », m'invite Bal.
Je me lève et le suis jusqu'aux thés. Il a pris la base : un Earl Grey classique et le même que moi. Je souris en humant les deux mélanges. L'espace d'un instant, j'oublie la fourberie de Nina.
« Délicate attention. »
Demain, je lui apporterai ma machine à café. Enfin, celle de Thomas.
Je prends une photo des pâtisseries et de la devanture, puis je fais une mini vidéo qui passe des pâtisseries à la salle de dégustation pour une story, et je poste le tout sur Facebook et Insta.
Bal est perplexe quant à ma démarche, je le sais. Cependant, on a des écoles dans le voisinage, et je sais que le smartphone est devenu, pour la génération qui me succède, une excroissance amovible de la main.
Et pourtant, mon plan fait chou blanc. Les clients se succèdent, mais aucun ne se dit qu'il va prendre le temps de s'installer.
Sur le coup de midi, je m'apprête à affronter le cynisme de Bal en allant le trouver dans l'arrière-boutique, quand une dame rentre en trombe dans la pâtisserie tout en lançant des salutations joyeuses. Je suis saisie par son dynamisme : elle illumine le magasin. Ca me réchauffe le moral, même si je sais que Rome ne s'est pas faite en un jour, ce n'est pas forcément le cas de Bal.
C'est tout sourire qu'elle s'adresse à moi :
« Est-ce que Balthazar Tahiri est là ?
— C'est moi », répond l'intéressé avant que je n'aie eu le temps d'ouvrir la bouche. Elle semble le connaître, contrairement à lui qui la regarde avec les sourcils froncés. Elle le regarde, plisse les yeux, s'avance d'un pas et éclate de rire. Elle aussi doit avoir un prénom tout droit tiré de la Bible, c'est certain !
« Je n'oublie jamais un élève, Bal ! »
Je vois Bal baisser la tête en souriant avant de croiser mon regard l'espace d'un instant.
« Madame Petrakis !
— Appelle-moi Laura, s'il te plaît. Je ne savais pas que c'était toi derrière cette pâtisserie ! Je ne savais même qu'elle avait été reprise, alors tu penses. Pourtant j'enseigne dans la rue d'à côté, c'est dire ! »
Bal me regarde et j'exulte, car j'ai compris. Mais pas lui, alors Laura s'explique.
« J'ai vu la publication sur les réseaux sociaux. » Elle plie les genoux et lâche : « Je suis dans le coup, tu vois », elle agrémente le tout d'un clin d'œil avant de porter son regard sur les pâtisseries.
Ha-llu-ci-nant.
« Je vais m'installer dans le salon, je peux ?
— Bien sûr, madame !
— Laura.
— Bien sûr, Laura. » Me corrigé-je, avec l'impression d'être de retour dans une salle de classe, avant que son sourire communicatif ne vienne détendre à nouveau l'atmosphère.
« Je vais prendre un Opéra, je vois que vous avez du thé ? Parfait !
— Il n'y a que deux choix pour l'instant : Earl Grey et…
— Et bien, je ne bois que celui-là. Je n'imagine pas une pâtisserie sans ma dose de Bergamotte ! »
Elle arrive à me faire rire malgré le ressenti envers Nina qui me plombe plus que n'importe quoi d'autre. Autre question subsidiaire : Qu'est-ce qu'un Opéra ?
« Excusez moi, mais je n'ai pas retenu le choix de votre pâtisserie. »
Et elle me pointe … le Javanais.
« Ah, je pensais que c'était un Javanais.»
Ben ouais, bien sûr que c'est un Javanais…
Laura sourit et acquiesce :
« Certains l'appellent "Javanais", d'autres "Opéra". Connais-tu son origine ? »
Je secoue la tête en signe de négation et jette un regard à Bal qui me rend un coup d'œil qui se veut complice, mais qui à la place, me fais fondre.
« C'est l'épouse de son créateur qui l'a nommé ainsi en raison de sa ressemblance avec l'opéra Garnier ! »
Waouh, prof d'histoire ?
Et maintenant, Laura va illuminer la salle de dégustation, avec un Earl Grey et un Javanais. Enfin, un Opéra !
En la servant, je remarque qu'elle a sorti des copies à corriger. Des pages pleines de symboles inconnus qui ressemblent aux lettres de l'alphabet. Je hausse les sourcils, et elle remarque mon étonnement.
« Avec de l'expérience et une bonne dose de concentration, on peut y déchiffrer du français ! »
Nous éclatons de rire.
NB : ne jamais me mettre en tête de devenir un jour professeure.
12 commentaires
Anne-Estelle
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Il y a 2 ans
Suelnna
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Il y a 2 ans
Lexa Reverse
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Il y a 2 ans
Gottesmann Pascal
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Il y a 2 ans
Suelnna
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Il y a 2 ans