Fyctia
Balthazar 1/2
Moi, dans un mariage ? Jamais ! Je n'ai même pas assisté à celui de mon père avec la greluche qui lui sert de femme à l'heure actuelle. Alors je ne vais certainement pas me passer un costard pour aller à celui d'une illustre inconnue aux goûts plus qu'étranges… Même si j'avoue que les cygnes noirs fourrés à la crème de noix de coco me faisaient de l'œil.
Et que dire de cette pièce montée que Nina a réalisé ? Je n'aurai pour ainsi dire rien à lui enseigner, je pense. Elle a même poussé la créativité jusqu'à faire plier l'Art de la pâtisserie à sa volonté et à son univers.
Je décide d'appeler mon père pour le mettre au courant de la bonne nouvelle, mais la petite lumière qui clignote m'indique que j'ai non pas un, mais des messages en attente. Dubitatif, j'appuie sur le bouton pour lancer les messages. Sans véritable surprise, le premier vient de Cathy : une semaine qu'elle le laissait tranquille, c'était trop beau pour être durable.
Depuis l'appareil, sa voix perçante me m'agresse les tympans et je me frotte le visage avec les mains. J'ai été stupide, et je loue mon manque d'appétence pour la technologie.
Si j'avais un portable, je me retrouverais avec des centaines de vocaux de cette voix fluette que je ne supporte plus. Il arrivait souvent à Cathy de pousser la chansonnette dans le magasin et mis à part l'évidence flagrante qu'elle chantait faux, je ne me suis jamais aventuré à d'autres réflexions.
"Tu me manques" s'étrangle le répondeur, avant que la comédienne au bout du fil ne reprenne de sa superbe : "On pourrait se faire un dîner chez toi, à l'occasion."
Ça aussi, il en est hors de question. Plus jamais seul avec cette folle. La dernière fois qu'elle m'a fait croire qu'elle avait compris mon besoin d'indépendance et surtout d'espace, je me suis retrouvé sur mon lit, nu comme un ver, et menotté à la tête de lit. Depuis je dors sur mon canapé-lit, et j'ai enlevé la tête de lit de mon pieu.
Un frisson me parcourt l'échine et un rire nerveux m'échappe quand j'entends, pour le second message, encore et toujours sa voix :
"J'ai oublié de te dire que j'avais toujours chez moi quelques affaires…"
Il me revient en mémoire — et de manière douloureuse pour mon égo — qu'elle est repartie avec mon pull et mon t-shirt ce jour-là… pourquoi ? Mystère insondable de l'esprit d'une pina d'Instagram.
Je coupe le sifflet du répondeur quand je me rends compte que le troisième message débute sur un raclement de gorge du cauchemar acidulé qui me poursuit depuis notre malheureuse "aventure".
J'inspire et me saisis du combiné pour appeler mon père. Les bips défilent et mon regard se perd en direction de la fenêtre : première semaine de novembre, et il neige ?
Foutu microclimat empreint de la "magie de noël", comme répétait ma mère, qui au passage n'avait pas non plus la lumière à tous les étages…
En vérité j'aime le froid, mais je déteste la neige.
Une voix rouillée me tire de ma réflexion.
« Bal ? »
Quelque chose ne va pas.
« Pa' , tout va bien ?
— Oui, oui. Ta belle-mère vient juste de partir pour passer la nuit chez une amie. »
Je veux lui rétorquer que les différends arrivent souvent quand on épouse quelqu'un de plus jeune que son fils, mais je me retiens. C'est de soutien dont il a l'air d'avoir besoin.
« Tu as déjà fini journée ?
— Disons que j'ai découvert que ma nouvelle employée avait des capacités étonnantes.
— Pardon ?
— Elle pâtisse très bien, papa. »
J'imagine la tête de mon père et j'ai le sourire qui s'élargit à en venir titiller mes oreilles : une édition collector. Le silence qui s'installe est représentatif de l'idée qu'il s'est fait de ces "étonnantes capacités" d'Annie que je viens de lui vanter. Il faut dire qu'il n'est pas très conventionnel comme père. Je dirais même qu'il est assez gonflé que pour séduire et épouser une jeune patiente.
« Tu veux passer, et me raconter tout ça ?
— Tu viens me chercher pour que je puisse le faire ?
— Bien sûr, fiston. »
Voilà un petit temps que je ne suis pas retourné chez moi. Depuis le mariage de mon père en fait, il y a un an et demi. J'imagine qu'il faut moins de dix-huit mois pour revoir une décoration laissée à l'abandon par le désintérêt — mea culpa — et le manque de temps — qui fait depuis toujours défaut à mon père. J'ai appris que ma chambre avait été transformée en dressing, et je n'en fus pas étonné. Ma belle-mère semble avoir plus de paires de chaussures en parfait état que de neurones actifs et interconnectés.
J'ai vingt-cinq minutes pour me préparer. Je dois sentir un mélange de coco, de vanille, et de sucre, ce qui est une situation normale pour un pâtissier. Seul bémol : je suis fermé depuis un jour et demi et je n'ai rien à offrir à mon père en guise de dessert.
J'ai vingt-cinq minutes pour effacer toute trace de cette matinée et … c'est un suçon que je vois là, à la base de mon cou, juste au-dessus de ma clavicule ?
J'espère que mon nouveau bras droit n'aime pas menotter les gens, ce serait dommage. Et puis de toute façon, je n'ai plus de tête de lit.
Finalement je l'aime bien, cette neige. À moi le bonnet et surtout, le col roulé.
36 commentaires
Mana MacKinnon
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Il y a 2 ans
clecle
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Il y a 2 ans
Suelnna
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Il y a 2 ans
Gottesmann Pascal
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Anna.
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Célia Blomgren
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Il y a 2 ans