Fyctia
Nina
L'erreur que l'on commet avec Hitler vient de ce qu'on le prend pour un individu exceptionnel, un monstre hors norme, un barbare sans équivalent. Or, c'est un être banal. Banal comme le mal. Banal comme toi et moi. Ce pourrait être toi, ce pourrait être moi. Qui sait d'ailleurs si, demain, ce ne sera pas toi ou moi ? — La Part de l’autre.
« Et donc, la pièce maîtresse sera : un poulpe géant qui tient un bateau dans ses tentacules ! » M’exclamé-je, tout en apportant la touche finale à mon dessin.
Tu es maître chocolatier, maintenant ?
« Grâce à toi, non. C’est pour ça que ce sera juste une pièce montée… façon Nina quoi. »
Ah…et puis ce que tu as dessiné là, c’est le Kraken.
La différence ? J’envoie balader la feuille à l’autre bout de la table pour me concentrer sur un gâteau réalisable. Mon dessin glisse et atterrit par terre. Avant que je ne puisse contourner la table pour le ramasser, je vois Melchior se ruer dessus, effectuant une magnifique glissade sur mon Kraken. Et voilà comment on transforme une œuvre d’art en piste d'atterrissage pour chat.
Ce chat…
« Mais là, je veux des moules en forme de poulpe. Ceux-là je peux les faire en chocolat ! »
Je me mets à dessiner ma pièce montée. Je l’imagine blanche, marbrée de noir, décorée de tentacules dorés qui viendraient menacer le sommet. Je note la liste de ce dont j’ai besoin pour qu’Annie fasse les courses. Il n’y a rien de plus chiant que faire les courses… surtout en période de fêtes. Les gens sont d’une niaiserie insupportable, mais on a encore un bon mois d'accalmie. Je veux des roses rouges et des chauves-souris aussi, sur ce gâteau.
Je sais qu’Annie n'attend que le départ : elle pourra lire dans le bus comme ça. Je dois me préparer, car sans moi, Annie est capable de sortir en l’état. Cet horrible “caca” sur la tête, un œil qui est aux toilettes pendant que le deuxième cherche le papier, et pâle comme la mort : première dauphine de la négligence esthétique.
Non parce que la miss couronnée, c’est cet horrible bonbon rose à gros pois blancs qui m’agresse les yeux alors que je passe devant la fenêtre pour monter me préparer :
« C’est quoi, cette horreur ? »
Le chignon ?
« Ça, c’est le moins pire. C’est quoi cet accoutrement ? Il y a un remake de la Petite maison dans la prairie en tournage dans le coin et on n’est pas au courant ? »
Tu es méchante.
« Et ce blond peroxydé avec la repousse foncée… Outrageusement laid.»
Ouais ça, c’est horrible.
Je pouffe un peu trop fort en oubliant que la fenêtre est ouverte.
Le sosie de Barbie tourne la tête vers moi, elle écarte de son oreille son téléphone et me jauge. Sourcils levés, je souris et lui fais signe de la main.
« Salut ! »
Elle me rend la politesse, une grimace d’incompréhension lui déformant son visage d’ange, et reprend sa conversation tout en détournant son regard de moi. Que dire de cette frange à la Kate Moss plaquée sur ce front trop étroit ?
La pauvre…
Je me retourne et vois une ombre noire se faufiler dans la cuisine, l’appel du câlin au chat est trop fort, je me précipite vers le canapé et je constate que Melchior est en train d’assassiner Poulpi Le Rouge.
«Vilain chat ! »
Alors que je tente de l’attraper et d’effectuer un sauvetage in extremis, voilà qu’il s’enfuit avec la dépouille de ma peluche qui se dépareille peu à peu de sa ouate…
« Poulpiiiiiii ! » Je lance, en sautant par-dessus le canapé pour courir après cette boule de poil antipathique et trop sûre d’elle qui croit que c’est moi, qui vit chez elle.
Nina… tu es sérieuse ? Tu as un rose, un bleu, un vert et un orange…
Essoufflée, je toise Melchior du regard. Ses yeux ronds empreints de folie me mettent au défi. Mais le félin est au top de sa forme, tandis que moi je suis à deux doigts de finir sous respirateur. J’abandonne pour cette fois et je laisse le cadavre éventré de Poulpi Le Rouge entre les griffes de son assassin.
Ramasse la ouaaaate.
Oui… mais non. Je déteste le ménage.
Arrivée en bas de l’escalier, je peine encore à retrouver mon souffle d’avoir couru, en tout et pour tout trente secondes, après un chat.
« Il faut aller courir…bouboule. Je veux dire par là…que bientôt… on va obtenir l’attaque “écrasement”... »
L’enfer…
« Pour moi aussi…»
Mais c’est toi qui as eu l’idée !
« Vendu. Le lundi, le mercredi et le vendredi : entraînement au parc ! »
Tout ça ?
« Eh oui, c’est avec l’assiduité qu’on va trouver l’amour de notre vie, Annie. »
Ouais. Tu avais dit la même chose de Bal…
« Ah non, lui, c’était un plan cul assumé. Pas assez docile, il ne tiendra pas jusqu’à Pâques. »
Tu as dit que tu ne recommencerais plus jamais !
Je ressens la panique d’Annie, celle d’une amie qui a peur de la trahison. Je le lui ai promis, c’est vrai. Pas seulement pour elle, il y a d’autres raisons qui expliquent que je ne me sente pas de retenter l’expérience.
En premier lieu, le congélateur va manquer de place. Son ex était un cure-dent, c’était encore assez jouable, mais il est plutôt grand et bien foutu, ce Balthazar. Et puis, j’ai plus l’endurance là. Il faut y aller pour découper un corps, elle ne s'en rend pas compte non plus, elle…
Et enfin, je ne vais pas pouvoir gérer la paranoïa amplifiée que ça provoquerait chez Annie de recommencer. Nous devrions l’endormir totalement. En plus, c’était un accident… même si elle ne me croit qu’à moitié. Mais je ne peux pas lui en vouloir, car au final, moi aussi je ne crois ma complice qu’à moitié.
Elle me fait peur, et ma crainte la plus profonde est de la voir resurgir. Ce soir-là, je lui ai fait croire que nous formions un bon duo afin de reprendre le contrôle, mais ça s'arrête là.
Tu te mets enfin à apprécier mon style épuré ?
Je cligne des yeux et me rends compte que je suis face au miroir de la salle de bains, en train de bayer aux corneilles, me fixant moi-même, comme si je me découvrais.
« Non, je me demandais juste comment j’allais faire pour récupérer ce carnage capillaire. »
Ma mission : ne jamais la laisser reprendre le front. Elle est dangereuse, autant pour nous que pour les autres. Je ne veux pas qu’Annie apprenne son existence, je refuse qu’elle veuille la rencontrer, qu’elle cherche un spécialiste qui nous ferait fusionner. Parce que si la personnification du mal en Annie disparait, alors moi aussi, je disparaitrais.
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Elodée
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Il y a 2 ans
Suelnna
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Il y a 2 ans
cedemro
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Suelnna
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HakunaMatata80_
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Koalifos
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clecle
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Suelnna
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Amphitrite
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Il y a 3 ans