Fyctia
Balthazar
C’était quoi, ce putain de Pokémon ? Un coup, elle me parle avec la voix de Vanessa Paradis, et l’instant d’après je me retrouve avec Faouzia.
Je regarde cette jeune femme, à qui je n’ai même pas demandé le prénom, s'éloigner. Je me demande pourquoi j'ai engagé ce spécimen qui va vouloir rouvrir ce salon, que j’avais d'ailleurs prévu de transformer en réserve.
Tout bien réfléchi : elle m’a tout l’air d’être un véritable nid à problèmes, comme Cathy. Depuis tout petit d’ailleurs, j’attire les psychopathes. J’imagine que ça ne changera jamais et que je dois m’y faire. Je vais passer les prochains jours à tenter de cerner le fléau que le destin m' a encore fait comme cadeau pour cette année.
Je ferme les stores du magasin, ces petits choux seront pour moi ! Je prends la brésilienne, l’emballe et l’apporte à ma voisine. Elle ne m’a jamais donné un centime, mais semble être une personne âgée en situation précaire. C’est toujours un plaisir d’illuminer ses soirées depuis qu’elle était entrée dans mon magasin, avait regardé les prix, m’avait fixé, puis m’avait salué en partant, le regard embrumé et rempli de regrets.
Je frappe à la porte, elle m’ouvre :
« Balthazar ! » s'exclame-t-elle, de sa petite voix fluette vieillie par les années.
Je déteste mon prénom. Mais je souris :
« Rita, tenez.»
Elle prend le paquet et me fait l’impression, comme presque chaque jour, de recevoir un cadeau pour son anniversaire.
« Rentre prendre le thé, j'insiste ! »
Comme toujours, je refuse, prétextant la fatigue pour cette fois.
Je pâtisse bien, mais je n’aime pas les gens ou plutôt : j’en ai peur. Je n’ai pas envie d’avoir une salle pleine de monde et des possibles drames à gérer. Je laisse volontiers ça à la petite nouvelle.
Moi, je veux faire des gâteaux, voilà.
Je rentre, je prends mes petits choux et me dirige vers l’arrière-boutique pour monter à l’étage que j’occupe. À peine rentré, le fixe sonne. Je sais qui c’est, car personne d’autre ne me téléphone. Je prends le combiné :
« Bonjour pa’, tu vas bien ?
— Toujours à la même heure, à ce que je vois.
— J’aime que ma vie soit réglée comme du papier à musique. Tu sais bien.
— Tu ne veux toujours pas revenir en ville ?
— Non ça ira, merci. Je ne vois presque personne et c’est parfait. Je pâtisse, les gens achètent et partent. C’est tout ce que je veux.
— Le comptable…
— Est un rapace.
— Tu n’es pas autonome, tu manges mes économies… fiston. Reprends une vendeuse s’il te plaît ! Et si elle se sert d’un smartphone correctement, celle-ci. Ce serait un plus.
— J’ai engagé quelqu’un cet après-midi. Pas certain de son talent numérique, mais elle semble avoir le sens des affaires…
— Tu… as fait des entretiens ?
— Le destin l’a fait pour moi. Je vais te laisser, je te dis quoi mercredi !
— Bal, je…
— Au revoir, papa. Prends soin de toi ! »
J’entends mon père soupirer avant que je ne raccroche. Il a raison, je me repose entièrement sur le destin. Il aimerait que je sois indépendant, que je n’aie besoin de personne. Mais le destin est de mon côté. Il a fait en sorte que je tombe sur Cathy, qui m’a appris que l’habit ne fait pas le moine : Une tarée nymphomane avec un look de nonne. C’est aussi le destin qui m'a fait reprendre cet établissement, avec une garçonnière à l’étage, pour contenter l’être solitaire que je suis depuis tout petit. De surcroît, l’établissement se situe dans le petit village tranquille d’enfance de mon paternel. Tout était parfait, ici.
Sauf peut-être l’amour des habitants pour la période des fêtes…oui ça, c’était too much.
Psychiatre en fin de carrière, mon père s’est montré d’un soutien inébranlable durant toute mon enfance et mon adolescence depuis son divorce avec ma mère. Avec le temps j'ai compris la raison, mais je lui en ai longtemps voulu, et mon mutisme a compliqué mon traitement. Au fil des années - et trop souvent en réalité - j’ai eu le sentiment que dissocier le patient du fils était une tâche compliquée pour lui.
C’est pourquoi nous sommes proches, mais que je mets volontairement de la distance entre nous depuis que j'en ai l'occasion. Quant à la tornade d’hypocrisie de trente ans de moins que lui qu’il a épousée en secondes noces, il persiste à me dire qu’elle fait très bien à manger, qu’il ne la voit que le soir, et que c’est pour ça qu’il arrive a si bien la supporter. De toute façon c’est bien connu : un couple qui ne se quitte jamais est un couple qui finit par se détester.
Enfin, moi je n’en sais rien. J’ai pourtant essayé, mais rien n’a jamais collé. La dernière en date ? Elle aimait beaucoup trop mes pâtisseries, et est partie de notre relation avec un bon vingt kilos en plus. Ah non, la toute dernière m’a traité d’arriéré parce que je ne voulais pas m’acheter un smartphone. Mais c’est vrai que pour Sarah, j’aurai pu mentir et lui dire qu’elle n’avait pas tant grossi que ça en six mois…
En fait non, force est d’admettre que je n’aime pas me forcer avec les gens. D’ailleurs c’est pour ça que tous les mercredis, mon père soupe chez moi : parce je déteste ma belle-mère et que je ne ferai jamais d'efforts avec elle.
Je m’affale dans mon canapé-lit en mangeant mes petits choux à la crème. Est-ce que cette pimbêche dont je ne connais pas le prénom et qui se croit à Broadway dispose d’une quelconque expérience dans la vente ?
Déjà, est-ce qu’elle va se pointer à l’heure ?
Quel con je fais !
Rien, je ne sais rien d'elle. Je prends le bouquin que j’ai laissé à contrecœur sur ma petite table ce matin : j’aime lire quand ça cuit. Je vais pouvoir recommencer maintenant que quelqu’un est là pour s’occuper de la vente à ma place.
Je me plais à imaginer que ça aussi, ça fait partie du Destin.
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