Fyctia
Nina
Avant qu’il ne disparaisse, j’interviens à la hâte.
« Le merveilleux, s’il vous plaît. C’est pour manger sur place. »
Il s’arrête, se retourne et me regarde, circonspect. La tessiture de ma voix est plus haute et chaude que celle d'Annie, dont la voix évoque une mélodie douce et claire. J’esquisse un sourire et le regarde à mon tour avant de me diriger vers le salon de dégustation.
Qu’est-ce que tu fais, Nina ?
« C’est fermé. »
« Pourquoi ? » Rétorqué-je en m'arrêtant, pour mieux le défier d’un regard interrogateur.
« Parce que c’est “fermé”. » Il insiste sur les deux syllabes du dernier mot qu'il, ce qui traduit son agacement. Il n’est pas docile pour un sou, mais qu'est-ce qu'il est canon ! Et ces yeux ! Je me demande quel type de mixité engendre ce genre d'oiseau rare de la génétique. Il fait dans la trentaine bien entamée. C'est beaucoup plus vieux que nous, même si je suis un peu plus âgée qu'Annie.
Il est trop “compliqué” pour toi…
« C’est stupide. On est dimanche après-midi. Des familles pourraient décider de venir manger un bout. Et vous, vous vous permettez de fermer ? Je vous donne encore quelques mois. »
Oh parfait, on peut rentrer chercher des amis pour Melchior, je crois…
Le pâtissier reste sans voix tandis que moi, je lui adresse mon plus beau sourire en relevant le menton. Annie avait cédé à mon caprice de porter ce magnifique Trench-Coat noir qu'elle n'avait jamais elle-même porté avant ce jour. Je le jauge tout en glissant les mains dans mes poches.
« Vous êtes sacrément gonflée.
— Et vous, pas très commerçant.
— Je n’ai plus de vendeuse. Je suis tout seul désormais. »
Oh, pauvre chou. J'incline la tête et lui souris.
Non, ne fais pas ça !
« Je pourrais la remplacer.
— Pas question ! »
Parfaitement, je ne me suis pas tapé la fac pour finir derrière un comptoir à pâtisserie… T'es malade ou quoi ?
La vérité, c'est qu'on est bientôt à sec. Même si l'héritage de ses parents a en partie payé la maison, il faut penser à manger là ! Et le Stephen King du dimanche qu'est Annie ne ramène même pas de quoi vivre d'amour et d'eau fraîche, même si l'envie nous en prenait : pas d'amoureux, et il faut payer l'eau pour qu'elle soit fraîche.
Je ris. Si seulement Annie m’avait laissé porter mon rouge à lèvre rouge. Je ponctue mon rire par une moue, et c'est la bouche en coin que je me retourne en baissant les yeux.
« Dommage, gardez votre merveilleux. Vous semblez aussi banal que votre ouvrage, mon bon monsieur. »
Ah oui, c’est du grand rattrapage… Je suis é-ba-hie. Rends-moi tout de suite le contrôle, espèce de “forceuse” !
« Premier faux pas, et je vous vire. »
J’exulte, j’ai gagné. Le culot, il n'y a que ça de vrai.
« Vous m’offrez ce merveilleux, du coup ? » Tenté-je afin de faire tomber le masque de stoïcisme que j’affronte depuis déjà quelques minutes.
— Certainement… pas », me renvoie- t-il avec un sourire forcé.
Je te déteste, Nina.
Jamais contente celle-là. Je lui trouve un job, un plan cul pour les fêtes, et elle trouve encore le moyen de râler. Au moment où il me tend mon paquet, il déclare, imperturbable :
« Demain, 7h.
— Si tard ?
— La dernière à qui j’ai voulu apprendre des rudiments pour m’aider a perdu sa place. Ne soyez pas trop pressée. »
J’arque un sourcil : s’il savait que je suis probablement meilleure que lui…
J’effectue un pas en arrière, le sourire en coin, et me retourne pour sortir.
On rentre, tout de suite. Je veux me faire mon chignon, et me démaquiller en espérant devenir Casper…
Ah… cette magnifique structure capillaire dont Annie a le secret, et qui nous fait ressembler à un caca lâchement posé sur un bout de bois trop gros : charmant.
Je ne suis pas du matin, je ne l'ai jamais été. Mais je sais que les pâtissiers se lèvent tôt pour réaliser les préparations du jour. La vie de rêve, ce serait d'avoir une personne de confiance qui tiendrait ma boutique pendant que moi, j'aurai passé toute ma soirée et ma nuit à pâtisser !
Sauf que j'ai une hôte qui rêve d'écrire et qui se force à bosser sous pression pour un patron qui n'a pas la moitié du quart de ses compétences ! Voilà pourquoi je ne la laisse jamais tranquille quand elle travaille… Et qu'elle se fait à chaque fois virer, accessoirement. Qu'importe ! Pour moi, tout est une question d'épanouissement dans la vie.
« "Epanouissement" et "culot", voilà comment nous allons réussir mon p'tit canard ! »
T'es complètement tarée. Déjà quand on était petites, tu en tenais une bonne couche… Mais là, tu dépasses vraiment les bornes ! »
Cette fois-ci je serai sage comme une image, c'est promis. Je décide de garder l'effet de surprise, et je ne promets rien à Annie. Il faut dire que j'ai la fâcheuse tendance à pondre de nouvelles résolutions toutes les deux minutes.
Le plus marrant, c’est qu’Annie va être obligée de faire des efforts esthétiques maintenant. Je vais attendre d’être rentrée avant de la laisser reprendre le contrôle. Elle va passer la soirée à persifler contre mon incroyable talent. J’adore la faire tourner en bourrique.
Attends, c'est quoi son prénom ?
Perso ? Je m'en fous.
74 commentaires
cedemro
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Il y a 2 ans
Suelnna
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Il y a 2 ans
Anne-Estelle
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Il y a 3 ans
Suelnna
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Il y a 3 ans
Leana Jel
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Il y a 3 ans
clecle
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Il y a 3 ans
Amélie Marion
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Il y a 3 ans
Andrea56100
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Il y a 3 ans
Andrea56100
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Il y a 3 ans
Andrea56100
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Il y a 3 ans