Fyctia
Souviens toi, l'hiver dernier
15 janvier 2013
- Matthew, Helen, je veux la version complète de votre interview de Kingsley Robinson d’ici jeudi. Lauren, Mélanie, pour le prochain article sur les Monarchs, moins de détails sur la plastique des joueurs et plus de commentaires sur les statistiques et la progression de l’équipe.
Tout le monde, y compris moi, s’esclaffe en voyant Lauren rougir jusqu’à la racine des cheveux. Mélanie hausse les épaules.
- Les filles préfèrent la plastique aux statistiques, commente-t-elle, l’air blasé.
- Parle pour toi. Nous ne sommes pas toutes des obsédées, intervient Daphnée.
- Je ne suis pas obsédée. Je suis réaliste. Les ventes du dernier numéro ont grimpé en flèche.
- S’adapter au lectorat est une qualité importante mais le Saturday’s Life n’est pas un magasine people. Tâchez de vous en souvenir.
Madame Collins, professeur d’anglais le matin et directrice de notre petit club de journalisme l’après-midi, ponctue son conseil d’un sourire bienveillant avant de se tourner vers moi. Je reprends mon sérieux.
- Amy, ton style s’améliore de publication en publication. Malheureusement, je ne peux pas accepter ton dernier article.
- Ce n’est pas juste ! Amy a bossé comme une dingue sur ce sujet ! Elle a même réussi à convaincre Tania de témoigner.
- Si cela ne tenait qu’à moi, je publierais l’article en première page, Veronica. Je suis désolée, Amy.
- Ce n’est grave.
Je m’en doutais un peu mais j’ai voulu tenter le coup. Pour Tania.
Tania Vasquez. Quinze ans. Depuis qu’elle avait intégré le lycée, son rêve était de devenir une cheerleader. Un rêve qu’elle a payé au prix fort. Rejetée par la capitaine – tout le monde aura deviné son identité – à cause de son physique, Tania a commencé un régime drastique pour être acceptée. Elle aurait pu basculer dans l’anorexie si Madame Collins, la seule enseignante à s’intéresser à nous, n’était pas intervenue. Après avoir découvert le pot-aux-roses, elle a passé un savon à l’ensemble des cheerleaders pour leur comportement inapproprié envers Tania. L’affaire aurait pu en rester là si Madison n’avait pas tapé une crise de nerfs dans le bureau du proviseur et parce que nous vivons dans un monde où l’argent prime sur le bon sens ou la morale, celui-ci a contraint Madame Collins à lui présenter ses excuses, devant toute la classe.
L’histoire de Tania m’a donné l’idée d’un article relatant les dangers de l’anorexie chez les adolescentes. Par ce biais, j’espérais faire passer un message, tout sauf subtil, aux pimbêches se permettant de juger les autres sur leur apparence.
Ce ne sera pas pour aujourd’hui.
- C’est tout à ton honneur. Tu as l’âme d’une vraie journaliste. Ne la perds jamais.
J’accepte le compliment mais la déception est présente. À quoi me sert cet honneur si je ne suis pas libre d’exprimer mon opinion ?
À la fin du tour de table, Madame Collins laisse tout le monde partir.
Tout le monde sauf moi.
En sortant de la salle, je rallume mon portable et grimace à la vue des quatre messages en attente d’Hannah. J’étais censée la retrouver à la bibliothèque après la réunion mais je n’avais pas prévu que Madame Collins me retiendrait pour discuter de mon avenir professionnel. « Tu devrais songer à une carrière dans le journalisme. Tu en as le potentiel. ». Avec une moyenne générale stagnant autour de C* depuis trois ans – mes excellents résultats en anglais peinant à compenser ceux des autres matières – il n’y a que Madame Collins pour associer le mot « potentiel » à mon prénom.
Parce que son soutien et ses encouragements m’ont touchée, je lui ai promis de réfléchir à sa suggestion. Je n’ai pas eu le cœur de lui avouer la vérité. N’importe quelle filière me convient tant que j’intègre la même université qu’Ian.
Comme toujours, l’évocation de mon grand Amour – avec un A majuscule, les petits cœurs roses et tout et tout – me déconnecte de la réalité et ce qui devait arriver, arriva… Je me trompe de direction.
Je ne réalise mon erreur qu’une fois parvenue devant le complexe sportif. Je jette un coup d’œil à ma montre. Vu l’heure, les Monarchs doivent se trouver aux vestiaires et puisque Madison refuse de s’entraîner les jours impairs, je ne risque pas de tomber sur les Queens, en pleine routine. En coupant par le stade et en contournant l’Auditorium – le pompeux nom attribué au bâtiment de forme semi-circulaire accueillant les représentations des clubs de musique et de théâtre – je rejoindrais la bibliothèque plus vite qu’en faisant demi-tour.
Je ne tarde pas à regretter cette décision quand, au détour d’un couloir, je tombe sur Samara, plantée devant l’entrée des vestiaires, les bras en croix.
- Tu ne partiras pas d’ici avant de m’avoir répondu. Tu te la tapes, oui ou non ?
- Non ! Je dois te le dire en quelle langue ?
- Tu mens ! Vicky et Beverly vous ont vus en train de vous peloter au parc !
Ô joie. Une scène de ménage entre Samara et Nathan.
- Tu envoies tes copines m’espionner ?
- Donc, c’est vrai ? Tu étais bien avec elle ! T’es vraiment qu’un… Ha !
Sans crier gare, Nathan la repousse de toutes ses forces. Samara chancelle, tente de retrouver son équilibre pour atterrir sur ses fesses, quelques secondes plus tard.
- Hey ! T’es dingue ?
Samara se relève et tâte son postérieur. Occupée à s’examiner sur toutes les coutures, elle ne perçoit pas le danger. Moi, si. Je n’ai pas le temps de la prévenir. Tel un prédateur fondant sur sa proie, Nathan réduit la distance et lui agrippe le poignet.
- Aïe ! Tu me fais mal !
- Tu te prends pour qui pour me parler sur ce ton ? gronde-t-il.
- Lâche-moi !
- Ferme-là ! Tu n’as pas d’ordres à me donner !
Je pousse un hoquet de stupeur, couvert par le cri de protestation de Samara, en voyant Nathan lui empoigner les épaules pour la plaquer contre le mur.
La situation est en train de dégénérer. Je ne peux pas rester sans rien faire à ceci près que j’ignore ce que je peux faire. Forcer Nathan à lâcher prise ? Bien sûr… Il est le quaterback le plus puissant que Redwood ait connu. Avec mon petit un mètre soixante-huit et mes cinquante-neuf kilos, toute mouillée, je ne vais pas forcer grand-chose. Filmer la scène et le menacer de la balancer sur les réseaux sociaux ? En voilà une idée qu’elle est bonne ! Je n’ai pas passé quatre ans à esquiver le radar Sheffield pour me retrouver dans le collimateur de la seule autre personne de tout le lycée à ne surtout pas offenser.
La meilleure solution serait de foncer chercher de l’aide sauf que Samara se retrouverait seule face à un Nathan enragé et qui sait ce qui pourrait arriver en mon absence.
- Tu es comme toutes les autres. Tu cherches à me contrôler !
- Arrête, tu me fais peur !
Ma bouche s’ouvre toute seule. Aucun son n’en sort.
I want your love and I want your revenge, you and me could write a bad romance.
Par contre, mon portable s’en donne à cœur joie.
21 commentaires
cedemro
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Lily Quinn
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Fredegonde
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degustationslitteraires
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