Fyctia

(Virginie) - 1er juin 2027

56 ans ! Beaucoup pensent que je ne suis pas si vieille que ça. C’est à la fois vrai et faux. Quand on est en pleine santé et que notre destin se montre loyal envers nous, on peut presque dire n’être qu’à la moitié de notre vie. Et puis il y a ceux pour lequel la vie ne leur a pas souri et qui porte leur santé à bout de bras comme un boulet. On peut dire que depuis quelques décennies c’est plutôt mon cas. Du coup, lorsque des jeunes me croisent dans la rue, ils me donnent bien plus facilement quatre-vingts ans que mon véritable âge. Il est vrai que je marche tout doucement et m’aide avec une canne tandis que mon dos s’est peu à peu recroquevillé. Mes cheveux sont hélas passés par un gris jaunâtre avant de littéralement tomber. Il faut dire que mes séances de dialyse trois fois par semaine étaient déjà éprouvantes, mais les séances de chimio m’ont littéralement achevée.

Le cancer est quelque chose de cruel. On le perçoit souvent comme le diable en personne car les plus chanceux en se battant de toutes leur force vont parvenir à s’en sortir. Hélas, leur pourcentage est tellement faible. Beaucoup ont entamé une lutte sans merci mais n’ont hélas pas gagné. C’est également mon cas, je l’ai su hier. Je suis ce qu’ils appellent en soins palliatifs et n’ai plus que quelques semaines à vivre. Mais je me suis mise d’accord avec mes médecins : je n’ai pas peur de la mort mais en revanche, je ne veux pas souffrir. Nous avons donc cessé les traitements lourds et je suis rentrée chez moi. Le jeûne et le mental sont à mon sens les seules choses qui vont me permettre de tenir debout quelques jours. Je dois faire mes adieux à mon amour de jeunesse avec qui j’entretiens depuis maintenant plus de quarante ans, une relation si forte mais si surprenante.

Quand il m’a envoyé un sms pour savoir comment s’était passé mon rendez-vous médical, je n’ai pas eu le courage de le lui avouer car je sais que malgré tout ce que nous avons vécu, il aura du mal à s’en remettre. Je lui ai à l’inverse, proposé de nous retrouver pour une petite balade comme nous avons avions l’habitude d’en faire dans notre jeunesse, sur nos fameuses collines de La Moure ! Je n’ai pas toujours habité ce beau coin du sud de la France entre l’Etang de Thau et Montpellier. Mais cela a toujours été mon coin de paradis.

D’ailleurs, Damien avant d’être mon unique et seul grand amour de toute une vie, a été mon amour de vacances. En effet, si moi je suis née à Lyon, ma famille paternelle était installée dans un petit village coincé entre la garrigue et les vignes, à quelques kilomètres de l’Etang de Thau. Evidemment, toutes les vacances scolaires, on les passait ici, en famille, dans la joie et la bonne humeur. Les années 70… On peut dire, quand on les a connues, que c’était la bonne époque !

Même si les gens n’avaient pas forcément beaucoup de sous, ils étaient heureux et savaient partager leurs joies à travers de petites choses. Dans les villes comme dans les villages, les fêtes étaient dynamiques et joyeuses, les gens étaient respectueux les uns envers les autres… Bref, on savait s’amuser ! C’est d’ailleurs comme ça que l’on s’est connu !

J’ai toujours cru que tout un chacun, avions quelque part dans ce monde, une âme sœur qui nous était destinée. Mais parfois cette dernière est capricieuse et nous avons beau nous aimer, cela ne fait hélas pas tout. La mienne, sans hésiter a été Damien. Nous nous sommes aimés un peu, beaucoup, à la folie, souvent mal, mais jamais oubliés. Ces dernières années, je dirais que nous avons créé une relation entre une amitié trop forte et un amour trop doux. C’était sans doute pour nous, la meilleure façon de préserver nos petits cœurs d’une quelconque souffrance durant ces deux dernières décennies. Nous avons toujours gardé un œil l’un sur l’autre, mais on a fait une croix sur un quelconque avenir en commun ! Pourtant on s’était juré que vieux, on finirait enfin nos jours ensemble. Hélas, tout cela semble bien compromis. Alors tant pis, j’ai décidé que durant cette balade, je lui ferais une belle déclaration d’amour qu’il ne pourra jamais oublier car même si c’est mal, moi je l’aime encore mon Damien !