Fyctia
Chapitre 4.5 : Il
Orna se rhabille avec le peu de dignité qui lui reste et quitte mon bureau sans se retourner une seule fois. Excellent. Elle ne reviendra pas. Mon portable indique onze heures et treize minutes. Je file prendre une douche dans la salle de bain attenante révélée par un passage secret derrière ma bibliothèque. Quand je reviens, tout est rangé. Merci Sam !
Après mes réunions de fin de matinée, je rejoins George au sous-sol aux environs de treize heures. Il m'attend, posé contre la berline noire, une cigarette à la bouche. Le tabac finira par le tuer, mais il refuse d'arrêter. Quand il m'aperçoit, il écrase le reste de sa clope contre le bitume et me salue. Les trajets se déroulent en silence d'habitude, mais aujourd'hui, je ne sais pas quelle mouche m'a piqué, j'ai besoin de parler.
— George, commencé-je, hésitant.
Ses yeux se vissent aux miens à travers le rétroviseur et il m'encourage à poursuivre. Je m'avance sur mon siège et agrippe la place de devant pour me donner un peu de courage.
— Êtes-vous déjà tombé amoureux ?
— Pourquoi cette question, Monsieur ? demande-t-il sans trahir la moindre information.
Cet ancien membre des services secrets français possède un talent extraordinaire pour cacher ses pensées. Impossible de lire en lui.
— Eh bien...
J'ose à peine prononcer la suite tant j'en ai honte, mais... finalement je me lance. George m'a pratiquement élevé.
— Voilà il se trouve que par curiosité j'ai peut-être regardé un de ces films mielleux de Noël le week-end dernier. C'était uniquement pour ma culture personnelle bien sûr, mais du coup, j'en suis quand même venu à me poser quelque question sur l'amour.
Ce mot dérape sur ma langue, la saigne et la lacère et pourtant, malgré toute la douleur qu'il provoque en moi, je le désire comme jamais je n'ai désiré de femmes dans ma vie. C'est idiot, cependant impossible d'échapper à ma nature humaine.
— Ilian, démarre-t-il.
Quand il use de mon prénom, nous franchissons la barrière employeur-employé et entrons dans la sphère privée. Celle où George se rend très rarement. Même quand j'étais enfant, il conservait cette distance au maximum.
— Je n'aurais jamais pensé un jour voir l'atmosphère de Noël t'atteindre et je ne pourrais pas en être plus heureux.
Son sourire chaleureux réchauffe mon cœur et mes lèvres s'étirent.
— Souvent on ne choisit pas l'amour, il nous tombe dessus au moment où on s'y attend le moins. Certains le vivent en coup de foudre, d'autres ne le réalisent qu'après des mois voire des années. Mais pour répondre à ta question, oui je suis déjà tombé amoureux et je le suis encore. J'ai eu de la chance et je suis persuadé que tu en auras aussi.
Le silence s'étire, il ne me dira rien de plus pour aujourd'hui. Je me renfonce dans le siège chauffant et me perd à travers la vitre. La voiture arrêtée à un feu, j'aperçois la vitrine d'un magasin de luxe. Un sapin, des guirlandes, des boules, de la neige et des sac-à-mains qui dénaturent l'essence même de cette fête. En faisant abstraction de son côté commercial et religieux, je pourrais l'aimer. Toutefois, dire que ce sont les réels raisons de ma réticence serait mentir. Décorer sa maison en famille, préparer un repas aux côtés de ses parents, passer des soirées auprès du feu à écouter des chants de Noël... Je n'ai jamais rien connu de tout ça et je le digère mal. En grandissant, j'ai cru, un jour, avoir trouvé la personne avec qui en profiter, mais...
— Nous sommes arrivés, Monsieur.
Tiré de mes pensées, je réalise que nous avons déjà atteint le Train Rouge. Au milieu du restaurant qui a revêtu ses habits de Noël et brille de mille feux sous les décorations rouge et doré, j'aperçois mon père. Il m'attend dans son costume bleu nuit italien assis sur la banquette d'angle à sa place habituelle. Le front plissé, il ne lâche pas son téléphone des yeux alors que je m'assois à côté de lui. Quand il me remarque enfin nous nous saluons et déjeunons rapidement en discutant business jusqu'à ce que le tendancieux sujet de mon mariage ne tombe. Voilà la raison réelle de notre rencontre et de sa non-annulation de dernière minute.
— Ilian, quand demanderas-tu enfin la main d'Elise ?
Un soupire m'échappe. Comment mon père peut-il être aussi aveugle ? Il a beau être brillant, sur certains points, il manque d'attention et de discernement. Il n'a aucune idée de la teneur réelle de notre relation, pourtant elle devrait lui crever les yeux.
— Tu as vingt-huit ans, insiste-t-il. Il est temps que tu penses au mariage et fonde une famille. Tes frasques doivent se terminer et si tu ne te dépêches pas, Elise partira avec un autre.
Si seulement elle décidait de changer de cible, mais rien ne l'arrête. Même pas la présence de Samantha que je paye gracieusement en heures supplémentaires pour m'accompagner lors de certains évènements familiaux. Le PDG qui se tape sa secrétaire, tellement cliché et pourtant aucun ne remet en question la crédibilité de notre jeu d'acteur. Même pas mon propre père qui me connaît si bien et ne prend, au grand jamais, la défense de son fils intelligent, mais encombrant. Rien que de penser à Noël dernier, mes dents se serrent. Reste zen. Je me contente d'hocher la tête et détourne la conversation en parlant de ma rencontre avec Monsieur Sunshine.
9 commentaires
kleo
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Cirkannah
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Cléoda Iseth
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Fanfan Dekdes
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