Fyctia
Chapitre 2.3 : Il
Je sais comment retourner la situation en ma faveur et la voir se traîner à mes pieds. J'arrache le téléphone des mains d'Alex et le visage de la tarée se désagrège. Rien ne se trouve plus jouissif que son expression à ce moment. J'en banderais presque.
— Non, Alex, tu ne t'excuses pas et toi, insisté-je particulièrement sur ces trois lettres pour illustrer mon dégoût le plus profond, si tu veux le récupérer...
Elle se jette sur moi, littéralement cette fois-ci, et me renverse en arrière. Mon dos frappe le carrelage et mon souffle se coupe. Elle s'agite dans tous les sens dans l'espoir de récupérer son téléphone, mais hors de question de perdre contre cet hideux glaçon, elle peut toujours crever. Même si j'avoue que c'est une vraie teigne. Son corps trempé s'écrase sur le mien et me frigorifie malgré mon tee-shirt. Ses mains gelées attrapent mes bras et le froid m'arrache des frissons. Pourquoi ai-je retiré mon pull ? Ah oui, il était totalement imbibé.
Ses griffes s'accrochent à moi désespérément et se rapprochent de leur cible. Elles glissent le long de mon bras et l'éraflent. Seuls quelques millimètres les séparent de son téléphone. De ma main libre, j'appuie sur son épaule de plus en plus fort pour éviter qu'elle n'atteigne son but. Sa poigne se referme sur le vide et je parviens enfin à la repousser. Alex la récupère et la retient difficilement. Elle se débat et hurle à plein poumon toutes sortes d'insultes.
— Ferme ta gueule ! fulminé-je et elle se tait enfin.
Elle me dévisage de la tête au pied comme l'hystérique qu'elle est.
— Tu as pourri ma soirée donc tu vas te rattraper et m'amuser.
J'agite son téléphone devant ses yeux alors que les bras d'Alex la retiennent. Sa mâchoire se contracte et ses sourcils s'arquent. Un peu de frustration ne lui fait pas de mal.
— Je suis pas ta pute, tranche-t-elle.
— Tu n'as aucun souci à te faire, jamais je me taperai de fille aussi dégueulasse que toi. Et avant que tu n'ouvres encore ta grande gueule, si tu veux ton téléphone, fais ce que je te dis.
Ses poings se serrent et ses iris immondes s'assombrissent. Heureusement Alex ne la lâche pas ou elle me chargerait telle une bête sans cervelle.
— Et comment est-ce que je sais que tu vas me le rendre malgré tout ? aboie-t-elle agressivement.
Moins conne que je le pensais, mais elle ne fait pas le poids. Elle est l'âne du village, quand je suis le cheval de course.
— Je n'ai qu'une parole.
— Je me fous de ta parole.
Mes dents attrapent ma lèvre inférieure pour retenir mon rire. J'ai trouvé un nouveau jouet pour la soirée. Maintenant que j'ai le pouvoir, je peux enfin me divertir.
— Je m'en assurerai, intervient Alex.
— Toi ? Tu n'as même pas de couilles..., clame-t-elle, en croisant les bras.
— Si tu veux, je te les montre, rit-il.
Elle esquisse un sourire et surtout accepte ma demande. Merci mon pote ! Grâce à toi, je vais l'éclater.
— Tu as intérêt à tenir ta parole, sinon crois-moi, tu n'en auras plus.
Elle se retourne face à moi et attend que je lui dise quoi faire. Mon jeu ne la décevra pas.
— Alex, ramène-moi un château Haut Brion de 1989.
Il hausse un sourcil, mais ne dit rien et descend à la cave. La folle furieuse s'assoit sur la chaise d'en face, les jambes croisées. Ses yeux turquoise m'évitent et je lui laisse un peu de répit avant de débuter. Mon ami de retour, il verse un fond de la fameuse bouteille dans mon verre à pied. Je fais tourner le liquide couleur rubis presque violet très épais et visqueux, puis le hume. Des arômes enivrants de terre brûlée, de minéraux liquides, de graphite, d'eucalyptus et de réglisse s'en envolent. Je trempe mes lèvres et avale une gorgée. Le goût de tabac, de noix grillées, de myrtilles, de cassis, de cerises et de chocolat me reste en bouche. Ce vin est sec et corsé avec des tanins veloutés, tout à mon image.
Alex remplit nos verres au quart et repose la bouteille. La tarée s'attarde sur l'étiquette et déguste son vin, le visage sérieux. Elle apprécie la substance, ça crève les yeux, et il y a de quoi.
— Première fois ? demandé-je, en toute innocence.
— Non, affirme-t-elle, hautainement.
Seulement impossible de me tromper. Elle boit un vin aussi exquis pour la première fois sans aucun doute. Peu de personnes possèdent les moyens de s'offrir ce genre de privilège et elle n'appartient pas à la catégorie des riches et nobles de Paris. C'est une provinciale de classe moyenne, mais qui je le reconnais à au moins le goût des bonnes choses.
Ses yeux lorgnent sur son portable, c'est parfait.
— Si tu veux récupérer ton téléphone, tu dois me mettre hors-jeu. Et comme je suis bon joueur, je démarre.
J'attrape mon verre et le descends d'une traite sous ses yeux ébahis. Sa chevelure emmêlée commence à sécher, elle a la couleur de la boue. Les ampoules pendant du plafond éclairent ses reflets cendres et mélangés à ses iris bleu turquoise, l'impression de me trouver face à un marécage vaseux me saisit les tripes.
Gorgée après gorgée, elle enchaîne les verres. Nous sommes déjà à la seconde bouteille et elle est toujours consciente bien qu'elle faiblisse. Son visage s'avère encore plus rouge que tout à l'heure et elle a chaud.
Elle relève ses cheveux poisseux dans un chignon sauvage et retire le mascara qui a coulé sur ses joues rosies. Son pull col roulé rejoint sa doudoune et son blaser et j'aperçois la robe noire qu'elle porte. Beaucoup mieux roulée que je le pensais, mais encore loin d'atteindre la moyenne.
En revanche, s'il y a une chose à laquelle je n'aurais jamais pensé, c'est m'amuser réellement. Je m'attendais plutôt à la détruire et pourtant son rire communicatif, tout le cœur qu'elle met dans ses mots la rendent... vivante.
Je ne peux que l'écouter quand elle parle de l'hypocrisie des gens, de la routine quotidienne et de l'ennui avec une telle énergie. C'est assez intéressant d'avoir le point de vue d'une personne « normale » sur la question. Bien que normale ne soit peut-être pas tout à fait sa catégorie. Sérieusement, qui se comporte comme elle s'est comportée ce soir ? Je dirais plus une personne moyenne. Non, elle est une personne inférieure à la moyenne, mais dont la compagnie est, disons, prenante ou tout du moins surprenante.
— Je suis désolée pour tout à l'heure, lâche-t-elle d'un coup.
7 commentaires
Cirkannah
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Il y a 4 ans
Princilia Daci
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Il y a 4 ans
Cléoda Iseth
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Il y a 4 ans