Fyctia

Brandon se désintéresse de la vieille et regarde dans la direction que je lui indique. On y voit Liam, assis à la place passager d’une belle voiture de sport, accompagné de ce que je suppose être un énième rencard.

Brandon ne dit rien mais se fige aussitôt lorsqu’il reconnaît son ami.

_C’est bizarre, à chaque fois que je le vois, il est avec une femme différente, je commente. Et il a l’air d’aimer les femmes un peu plus âgées que lui, non ?

Brandon ne dit toujours rien et se renfrogne aussitôt.

_Je ne juge pas, hein, je m’empresse d’ajouter de peur de l’avoir vexé.

Brandon redémarre alors brusquement et je me retrouve plaquée contre mon siège. Si je trouvais qu’il allait vite tout à l’heure, ce n’est rien comparé à maintenant. Et même si je sais qu’il conduit très bien, je ne peux m’empêcher d’être inquiète.

_Brandon, ralentis !

Ses gestes sont moins contrôlés et plus brusque, ce qui augmente mon anxiété. Depuis que ma mère est morte dans un accident de voiture, j’ai tendance à être très prudente lorsque je conduis et, même si la vitesse ne m’effraye pas, je n’aime pas rouler aussi vite que Brandon le fait actuellement.

_Ralentis !

Ses sourcils froncés et son visage fermé montrent qu’il est visiblement énervé mais par quoi ? Je n’ai pas le temps de chercher les raisons de sa colère ! Je suis bien trop occupée à gérer mon stress qui ne fait qu’augmenter.

_Brandon !

Mon ton désespéré le sort de sa torpeur et il ralentit aussitôt.

_Arrête-toi.

_Quoi ?

_Arrête-toi ! Je lui ordonne sur un ton à la limite de l’hystérie.

Brandon se gare en urgence sur un trottoir vide et je peux enfin respirer à nouveau.

_Brooke ?

Mon corps entier tremble et je serre toujours mon misérable paquet de serviettes hygiéniques dans les bras.

_Est-ce que ça va ? Me demande avec hésitation Brandon.

Sa question transforme ma peur en colère.

_Pourquoi as-tu accéléré ?! Je lui hurle dessus.

_Je… désolé, je ne voulais pas te faire peur…

_Ça ne répond pas à ma question ! Pourquoi as-tu accéléré ?

Ma colère semble raviver celle de Brandon.

_Où est le problème ? Je maîtrisais parfaitement la situation !

_Tu « maîtrisais la situation » ? Non mais tu t’entends parler ?

_Oui, j’avais la situation en main ! Alors pas besoin de me faire chier juste pour de la vitesse !

_ « Juste pour de la vitesse » ? Je répète, tremblante. Juste de la vitesse ?

_Oui, « juste de la vitesse » ! Ce n’est pas de ma faute si tu prends peur pour rien !

C’est la phrase de trop. J’explose de colère :

_Tu es sérieux, espèce d’enfoiré ?! Ce qui t’amuse tellement a causé la mort de ma mère ! Alors, oui, excuse-moi d’avoir peur lorsque tu roules comme un crétin !

Brandon pâlit lorsqu’il comprend enfin.

_Merde, j’avais oublié…

_Oui, bah pas moi, je réplique sèchement.

_Je ne voulais pas-

_Arrête, je le coupe brusquement. Je veux juste rentrer à la maison sans accident si c’est possible.

Brandon ne tente même pas d’argumenter. Il redémarre la voiture et conduit normalement jusqu’à chez moi. Lorsqu’il se gare, je m’empresse de sortir.

_Brooke, attends ! M’appelle Brandon en sortant à son tour.

Je l’ignore et continue d’avancer jusqu’à la porte d’entrée que j’ouvre.

_Brooke !

Il rentre à son tour mais je ne suis pas d’humeur à discuter. J’enlève mes chaussures à toute vitesse et les envoie valser dans l’entrée. Je monte d’un pas pressé les escaliers et m’enferme dans ma chambre. Là-bas, je me laisse glisser contre la porte, exténuée.

Et dire que je commençais à trouver Brandon sympa… Je ne lui en veux même pas pour avoir oublié que ma mère est morte dans un accident de voiture (après tout il aurait pu très bien ne pas être au courant) mais plutôt pour avoir ignoré ma demande et pour sa réaction digne d’un parfait connard !

***

Sans surprise, Brandon et moi nous ignorons tout le reste du week-end. S’il semblait être désolé vendredi soir, Brandon a très vite remis son habituel masque méprisant. Et comme une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule, mon père nous a appelé pour nous annoncer qu’il rentre ce soir. Résultat, tout le monde est de mauvaise humeur (sauf Lucas, bien évidemment).

Nous sommes donc tous les quatre, affalés sur le canapé, en attendant que Papa rentre enfin.

_J’entends la voiture ! S’exclame soudainement Lucas.

Il se précipite à l’entrée tandis que Jaden, Brandon et moi nous redressons.

_Papa !

Mon petit frère se jette dans les bras de notre père lorsque celui-ci franchit la porte.

_Les enfants !

Papa sert brièvement dans ses bras Lucas avant de se tourner vers moi et faire de même. À son contact, je me raidis involontairement. Les révélations de Jaden se rejouent dans ma tête.

« J'avais surpris Papa avec une femme dans sa chambre. »

« Je l'ai menacé de tout vous raconter et lui de me couper les vivres. »

La haine que j’avais ressentie à ce moment-là se mue doucement en dégoût. Avant la mort de maman, j’éprouvais pour lui de l’amour et de la fierté puis un mélange entre la compassion et l’indifférence et maintenant une colère teintée d’aversion. C’est drôle de voir à quel point les sentiments liés à des personnes qui nous sont chères peuvent passer d’un extrême à un autre.

Je ne fais même pas d’effort pour lui rendre son étreinte. Un subtil parfum féminin imprègne sa chemise et ce constat ne fait que renforcer mon mépris.

Un peu décontenancé par mon attitude glaciale, mon père me relâche et recule.

_Euh, comment s’est passée ta semaine, Brooke ?

Derrière lui, Lucas observe la scène, perplexe. Il est évident qu’il ne comprend pas ce qu’il me prend. Et même si je meurs d’envie de confronter mon père, je ne dois pas oublier mon petit frère. Il a déjà perdu notre mère, apprendre la vérité sur notre père l’anéantirait.

Je respire un bon coup, histoire de me calmer, et offre un sourire faussement enjoué à mon père.

_Très bien, et toi ?

_Oh, la routine, tu sais. Fatiguant mais ça aurait pu être pire.

Je hoche la tête et l’observe ranger sa veste. Ses mouvements ne trahissent rien. À croire qu’il ne ressent aucune culpabilité ou honte. On m'a toujours dit que je ressemblais à Maman. Ne ressent-il rien me regardant ? En voyant le visage de sa défunte femme à travers mes traits ?

_Et si nous allions manger ? Nous propose notre père.

_Oui ! S’exclame Lucas avec son habituelle bonne humeur. On a cuisiné des lasagnes avec Brooke !

Je les laisse s’installer à table pendant que je file en cuisine sortir le plat du four.

_Ça va ? Me demande Jaden qui m’a suivie.

_Oui, je soupire en refermant le four. J’ai juste des envies de meurtre mais bon.

_Crache dans son assiette, tu verras, tu te sentiras un peu mieux.

_C’est une idée, je plaisante.