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Jour 2 - Leny
- Monsieur De Cournel.
La voix grave se fait rassurante. Quand Gérald Montalévy entre dans l'immense appartement des parents de Mila, il affiche une assurance sans faille. L'inspecteur Montalévy est un homme imposant. Dans tous les sens du terme. Tandis que son pouvoir et son talent ne sont des secrets pour personne dans notre milieu, sa stature lui confère un respect jusque là inégalé au sein de sa brigade.
Je balaye le séjour du regard. Victoire De Cournel est assise sur le bras d'un fauteuil de style scandinave. Une tasse de thé fumante entre les mains, elle baisse les yeux et laisse son regard divaguer, sans prendre la peine de saluer son visiteur. Camille est positionnée tout contre sa mère, qui lui caresse les cheveux d'un geste tendre.
L'inspecteur s'avance vers elle et dépose une main délicate sur son épaule. Jacques De Cournel le suit de près, l'air sévère. Les cheveux poivre et sel élégamment coiffés, une taille impressionnante et un charisme inné, cet homme possède une aura naturelle. Intimidant, svelte, le regard sombre, Mila a tout pris de lui.
Sauf son aisance spontanée.
Mila...
Deux jours sans aucune nouvelle. Quand j'ai découvert avec effroi qu'elle n'avait pas passé la nuit chez elle, j'ai remué ciel et terre pour tenter de la retrouver. Mais rien. Et c'est avec amertume et tristesse que j'ai pris l'initiative de contacter les De Cournel, en voyage à l'étranger. Après avoir affrété un vol privé, ils viennent de poser le pied dans la capitale Française.
C'est Victoire qui prend la parole en premier, l'air paniqué et la voix suraiguë. Elle triture sa tasse, ses doigts s'agitant inlassablement. Elle renifle bruyamment.
- Ma fille a disparu Inspecteur.
Le silence emplit la pièce. Pesant. Camille cache son visage dans le tricot haut de gamme de sa mère. Pour ma part, je laisse les battements de mon cœur devenir mon seul repère. Seul Jacques brise volontairement ce silence en faisant tinter la carafe en cristal, pleine d'un liquide ambré. Délicatement, il porte son breuvage à ses lèvres qui s'étirent en un rictus amer.
Victoire jette un regard vide à son mari et reprend, d'une voix nouée, luttant pour retenir ses larmes.
- Nous avons tous essayé de la joindre. Elle ne répond pas et même nos messages restent sans réponses.
Sa voix s'étrangle en un sanglot discret.
- C'est Leny...Leny qui nous a prévenu de son absence inquiétante.
Elle m'accorde un regard éploré. Mon cœur se serre.
Mila, où es-tu ?
Chaque minute cette question me taraude et me tourmente. J'ai peur. Et chaque minute elle me manque cruellement. Toujours plus.
- Quand lui avez vous parlé pour la dernière fois ?
Gérald Montalévy pose la question d'une voix neutre et sans équivoque. Il connaît les De Cournel depuis toujours. Il compose la garde rapprochée de tout sénateur réputé. Nous le connaissons depuis notre plus tendre enfance, et je suis certain que la disparition de Mila provoque en lui une peine immense.
Aussi immense que la mienne.
Li Mei fait son entrée, un plateau à la main et dispose une série de tasse en porcelaine sur la table. De douces effluves de café emplissent la pièce. Je laisse cette odeur capitonnée prendre possession de mes sens et je ferme les yeux.
La voix de Jacques me fait tressauter légèrement.
- Nous sommes partis à l'étranger depuis deux semaines. Nous devions rentrer à la fin du mois.
L'inspecteur Montalévy griffonne rapidement ces informations sur un carnet rectangulaire. Mais il repose son regard sur Victoire. Il attend une réponse. Jacques continue.
- La semaine dernière. Par téléphone.
Un spasme secoue légèrement les épaules de Victoire. Ses yeux brillent et sa voix vacille. Sous le regard courroucé de son mari, elle objecte soudainement.
- Non, Jacques. Il y quelques jours à peine. J'ai téléphoné rapidement pour prendre des nouvelles des filles.
A ces mots, elle serre le petit corps fragile de Camille contre elle. Et étouffe un sanglot.
Montalévy acquiesce lentement et se tourne vers moi, le regard interrogateur.
- Sa collègue m'a prévenu dimanche matin de son absence inexpliquée au Club. J'ai tout de suite cherché à comprendre avant d'appeler Jacques et Victoire.
Je laisse mes épaules s'affaisser. Mon cœur accélère de plus belle.
- Ce n'est pas dans ses habitudes. Nous nous sommes vu vendredi pour la dernière fois.
Jacques et Victoire m'observent. Je sens le regard inquisiteur de Montalévy me scruter. Il soupire.
- Je ne vais pas vous cacher que les premières quarante huit heures sont les plus précieuses dans ce genre de cas. Mais n'oublions pas que Mila est une adulte responsable de ses actes.
Le silence revient. Lourd et puissant. Mes oreilles bourdonnent et je sens mon estomac se nouer. Jacques l'interrompt brutalement, d'un air condescendant.
- Ma fille n'a pas disparu. Elle n'est pas joignable.
Victoire se redresse comme offusquée et ses yeux lancent des éclairs à son mari. Mais il continue.
- Mila est dépressive. Ce n'est pas la première fois qu'elle découche je ne sais où et avec je ne sais qui. Elle finira par revenir.
Son agacement est palpable et malgré l'attachement que je lui porte, sa réaction m'interpelle.
- Jacques, si je peux me permettre...Mila ne va pas bien, c'est un fait. Mais elle ne nous laisserait pas sans nouvelles aussi longtemps.
D'un geste de la main, Jacques De Cournel me fait taire, et un malaise se fait sentir. L'ambiance est lourde. L'inspecteur la brise d'un ton cordial.
- Je fais ouvrir une enquête. Pour le moment, je vous demande de vous tenir en alerte.
Victoire se racle la gorge et essuie son nez d'un revers de main.
- Vous croyez qu'il est arrivé quelque chose à Mila Inspecteur ?
Il hausse les épaules et se frotte le visage.
- Vaut mieux ne pas prendre cette affaire à la légère. Je prie pour qu'il ne lui soit rien arrivé. Mais le statut et la position politique de Mr De Cournel m’amène à faire tout mon possible pour démêler cette histoire, en espérant que ce soit un gros malentendu. Pouvez vous me donner les coordonnées de sa collègue et l'adresse du Club où elle travaille ?
Jacques De Cournel ne répond pas. Victoire semble abasourdie. A la hâte, je griffonne les informations à même le carnet de Montalévy qui me remercie.
- Je vous tiens au courant au plus vite.
Sur ces mots, il reprend la direction de la sortie. Jacques le suit à petits pas.
J'entends des chuchotements étouffés. Les mots rançon, argent et suicide me font frissonner.
Tout est possible.
D'un œil je guette la réaction de Victoire qui sanglote. Je suis soulagé qu'elle ne prête pas attention à ces messes basses.
Quand je reprends à mon tour le chemin de mon appartement, abattu, je ne vois pas tout de suite le morceau de papier plié en quatre glissé sous ma porte.
C'est en le dépliant que la réalité s'impose à moi.
Mon sang ne fait qu'un tour.
Mila est en danger.
Lentement, je chiffonne le bout de papier.
Et le fourre dans ma poche.
10 commentaires
Madame Split
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liaflandes
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Il y a 8 ans
Myjanyy
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LAETITIA SHAYDEN
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St. Clare
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Myjanyy
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Jeanne F.
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Myjanyy
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Cyril Carrere
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Il y a 8 ans