Fyctia
Jour J - Sam
Une photo. Floue et au grain imparfait.
Avec au dos, un nom : Mila De Cournel.
La fille est assise sur un banc, peut-être dans un parc public. Prise de loin, il est difficile de décrire son expression. Elle a un physique plutôt banal, le teint blanc et de longs cheveux ondulés qui lui descendent en cascade dans le dos. Presque jusqu'aux reins.
J'ai ce cliché avec moi depuis deux semaines. Deux longues semaines que je triture, tourne et retourne ce petit carré de papier glacé. Une pochette cartonnée l'accompagne.
Une adresse.
Et quelques précisions sur la conduite à tenir.
C'est tout ce que je possède.
Je suis assis dans ma vieille bagnole délabrée. Un mélange puissant d'odeurs de bouffe et d'huile de moteur me prennent à la gorge et me file la nausée. Le froid s'est installé en ce mois de novembre, et l'air glacial qui rentre par les joins usés des fenêtres de ma carlingue finit de me faire frissonner. J'appui ma tête sur le siège et observe la fumée blanche sortir de ma bouche au rythme de ma respiration.
Les paroles de Pawikov résonnent en boucle dans ma tête : Sam, sur ce coup-là, ne te foire pas.
Je n'en suis pas à mon premier coup. Vols, casses, rackets et petits larcins en tout genre sont mon quotidien. Mais je n'ai jamais fait ce qu'on me demande aujourd'hui. Il faut dire que Pawikov a su se montrer convaincant. La somme qu'il me propose me permettrait de me mettre à l'ombre pour un bon moment. Un aller sans retour pour un petit paradis au soleil, cerclé d'une eau bleue azure.
De quoi rêver. Dans tous les sens du terme. C'est pourquoi j'ai accepté. Si l'on compare aux autres missions qu'a pu me confier Alexi, celle-ci est d'une durée plus longue.
Moins d'actions, plus de discrétion. Ce qui insinue aussi plus de stress.
" Ne te foire pas "
Je ne suis pas entraîné à ça. Alors, j'ai pris les devants et j'ai monté mon plan.
Je la surveille. J'épie le moindre de ses faits et gestes depuis déjà trois jours. Et je note tout. Mon petit calepin en cuir est noirci par toutes les informations que j'ai consignées.
Elle se déplace à pieds. Toujours. Ce qui, il faut l'avouer, me facilite la tâche. Elle est souvent seule. Ou sinon elle est accompagnée de ce grand mec plutôt beau gosse aux allures d'homme d'affaires. Ou d'une pimbêche comme celles que les autres femmes adorent détester. Blonde, plutôt canon et un sourire parfait.
Jusque là, j'ai trouvé ça assez simple. C'est une banale fille de bourge, qui ne sort pas beaucoup de son quartier huppé. Mais une chose m'a interpellée : elle bosse dans un quartier populaire, loin des lieux branchés où tous ses petits amis doivent craquer leur fric à tout va le temps d'une soirée.
J'ai bien compris qu'elle n'est pas comme les autres. Même si je ne lui ai encore jamais adressé la parole. Même si je ne connais pas la couleur de ses yeux ni l'expression de son regard.
Le grand Alexi Pawikov ne s’intéresse pas aux gens comme les autres.
Je hausse légèrement les épaules et frotte mon visage. Je manque de sommeil et le matelas défraîchi sur lequel j'ai dormi la nuit précédente manque cruellement de confort. Il faut que je remédie à ça, et que je me meuble vite.
Les trois cartons entassés dans mon coffre représentent aujourd'hui tout ce que j'ai. Quelques vieilles fringues pour lesquelles j'ai un attachement sentimental, des photos qui me tiennent à cœur et tout le nécessaire à la lourde tâche qui m'attends.
La mission s'annonce longue. Il me faut des repères, pour me fondre dans la masse et n'éveiller aucun soupçon.
Jusque là tout s'est bien passé.
Mais ce soir, je ne dois pas me rater. C'est là que tout va se jouer.
Je pense aussi fort que possible à la liasse de billets qui m'attends et qui représente le nouveau départ que je souhaite depuis si longtemps.
Il est un peu moins de vingt heures quand je me pointe devant le Clam's Club. La fille doit prendre son service dans moins de dix minutes et je ne l'ai pas encore vu entrer. Je pousse la lourde porte en fer et entre d'un pas nonchalant. L'ambiance y est jeune et dynamique. On est samedi soir et plusieurs groupes de jeunes se pressent déjà au comptoir.
Comme pour me noyer dans la masse, je m'installe près des grandes verrières qui surplombent légèrement la rue et commande une bière.
La serveuse, une nana sexy et tatouée affiche un sourire sincère. A l'opposé de l'état qui s'empare peu à peu de moi. Une confiance que je suis loin d'éprouver. Je sais qu'elle finit son service au moment où la fille doit prendre le sien. J'ai tout planifié.
Je dois y arriver.
Mon verre est quasiment terminé quand elle entre. Une onde de choc traverse mon bas ventre et des frissons envahissent ma colonne vertébrale. Je conserve ma nonchalance et la regarde avancer jusqu'au vestiaire. Je ne l'ai jamais vu d'aussi près.
Ses yeux sont si grands qu'on s'y perdrait. Le vide qu'on y décèle me déstabilise quelque peu. Elle porte un caleçon noir qui moule parfaitement sa silhouette maigrichonne, une chemise bleue, masculine, qui lui donne un style décontracté, loin de la rupine que je me suis imaginée. Son maquillage prononcé cache un visage fatigué et des joues creuses.
Je ne sais pas combien de temps j'attends, assis là, ni combien de verres je bois exactement.
Trois. Quatre peut-être. Le whisky a remplacé la bière.
Quand elle s'approche de moi, le sourire aux lèvres, pour reprendre une énième commande, elle pose, sans le savoir, la première pierre à l'édifice que constitue mon plan d'attaque.
- Je vous sers autre chose ?
Je lève lentement la tête vers elle et j'affiche un sourire mutin. Séducteur.
- La même chose, s'il vous plaît.
Je désigne mon verre d'un geste de la main.
Confiante, elle acquiesce et me souris en retour. Timidement.
Même si je n'en abuse pas et que je n'aime pas ce genre de mec en général, je connais mon pouvoir de séduction. J'ai le physique de l'homme qui plaît aux femmes. Mon look de mauvais garçon légèrement dissimulé sous un air passe partout me confère un joli succès.
Ce soir, j'en profite.
- Si je peux me permettre, c'est très joli...le bien et le mal ?
Je lui prends la main et effleure très légèrement les deux minuscules oiseaux en origami qu'elle portent tatoués au creux de son poignet.
L'un noir. Puissant. L'autre fin et presque abstrait.
Je ne sais pas d'où me viennent ces idées. J'improvise. Et ça fonctionne.
Elle frissonne à mon contact.
Chaque symbole que l'on se tatoue est un message. Pour les autres ou pour nous mêmes. Et je suis bien placé pour le savoir. L'emblème aztèque que je porte dans le dos et les innombrables dessins qui peuplent mes bras et mon torse me sont des plus précieux.
Finalement, elle n'est pas si différente des autres. Car elle m'accorde un regard insistant.
L'amorce est posée.
Le reste n'est que détail.
Je sais déjà qu'elle rentrera avec moi ce soir.
19 commentaires
Myjanyy
-
Il y a 8 ans
LunaJoice
-
Il y a 8 ans
Myjanyy
-
Il y a 8 ans
LunaJoice
-
Il y a 8 ans
Miskail
-
Il y a 8 ans
2142wishes
-
Il y a 8 ans
Cindy.C_Auteure
-
Il y a 8 ans
Myjanyy
-
Il y a 8 ans
LAETITIA SHAYDEN
-
Il y a 8 ans
Myjanyy
-
Il y a 8 ans