Fyctia
J-1 MilA
Je suis fière.
Je ris. Fort.
Sara titube devant moi et agite les clés sous mon nez. Le parking du Trith est sombre et la vibration de la musique qui grésille encore à l'intérieur du club la rend euphorique. Son corps continue de se déhancher. Je la suis. Main dans la main nous rions, nous dansons.
Nous vivons.
Nous sortons à peine de notre adolescence et nos vies d'adultes commencent.
La mienne tout particulièrement.
Mini Cooper S. 192 chevaux. Une ligne épurée, racée. Un vrai petit bijou. Mon permis en poche, mon père vient de me faire ce cadeau. Sara et moi avons tout de suite voulu l'arroser. Nous sommes sorties danser.
Je suis dans un état d'ébriété avancé, je sens l'alcool chauffer mes joues, mes pommettes me brûlent. Mon corps flotte comme sur un nuage et je me sens légère comme une plume.
Belle. Rien ne m'atteint.
Quand j'aperçois deux silhouettes près de ma sportive, je souris.
Leny et Karl nous attendent. Leurs visages sont dissimulés par d'énormes volutes de fumées blanchâtres, presque opaques.
Ils fument. Beaucoup.
Mais peu importe.
Nous nous élançons à leur rencontre. Mes jambes me portent si vite que j'en ai le tournis. Sara rit toujours.
Encore et plus fort.
Le sol est instable et ondule sous mes pieds.
Je vois des lignes. Cette poudre scintillante sur le capot noir et verni de la Mini. Le contraste est saisissant.
Derrière moi, ça se bouscule. On chahute. La douceur de ce mois de novembre nous rend extatiques.
Je n'arrive pas à détacher mon regard de ces lignes parfaites étalées à même le métal, dur et froid. La drogue m'appelle et me tend les bras.
Juste une fois.
Pour fêter ça.
Les paroles de mes amis, mon cœur qui palpite. Ma poitrine tambourine si fort que j'ai l'impression de l'entendre.
Je me penche, et avec douceur inspire les fines particules pailletées.
Une. Deux, puis trois. Je ne saurais dire combien.
Je ne pense plus à rien. En fond sonore, j'entends la musique, les rires et une chaleur presque insupportable. Mon front est perlé de sueur, je sens les gouttes couler le long de ma colonne vertébrale et mes cheveux collent à mon visage.
Mais je ris aussi, car je me sens bien. Loin de tout, je savoure cet état qui m'emporte vers un paradis inconnu.
Puis un trou noir. Le néant.
Et l'horreur.
Mes mains se crispent sur le volant quand je vois des phares éblouir ma vision déjà presque floue. Les feux blancs me brûlent la rétine, mais je ne lâche rien.
Les rires font place aux cris.
Mes pieds ne répondent plus, mes membres sont comme paralysés. Je sens des mains qui m'agrippent et qui me serrent, des voix qui me parlent mais je ne comprend pas. Je n'entends plus rien, mis à part ce bourdonnement incessant qui frappe mes tempes toujours plus fort.
Et cette éternelle lumière qui m'assaille. Mes yeux sont en flamme.
Je les ferme.
Un vacarme métallique et un fracas assourdissant. Ma nuque qui craque et mon corps qui flotte.
Tout est si rapide.
Puis une fumée opaque et une forte odeur d'huile et d'essence. Ma gorge me pique.
Et ce silence.
Un silence religieux.
De mort.
Un vrai cauchemar.
J'hurle, je crie et je me débats. Les couvertures coincent mes jambes. Je m'assieds. Ma chambre est sombre et le silence est aussi effrayant que dans ce rêve qui est devenu ma réalité chaque nuit durant.
Mon léger tee-shirt en coton est trempé de sueur et mes mains tremblantes sont encore agrippées à mon oreiller. Mes phalanges blanchies sont crispées sur le tissu blanc, comme si celui-ci pouvait retenir ma détresse.
Je pleure.
Les grosses larmes salées qui roulent sur mes joues, enflamment mon visage. Je me consume entièrement.
Mon corps n'est plus qu'un brasier ardent. Je veux qu'il s'éteigne. Pour ne plus souffrir.
Ma tête bascule en arrière et je reste de longues minutes le regard rivé au plafond, telle une statue momifiée. Mon corps est pris de spasmes aussi violents que le séisme qui déferle en moi.
Les mois qui ont suivi ont été les pires de toute mon existence. Ma ridicule existence.
Mais aujourd'hui je ne veux plus penser. Alors, je veux retrouver l'état de béatitude qui a précédé ce moment où tout à basculer.
On est tous sortis indemnes de ce terrible accident.
Sauf moi.
Sauf LUI.
Encore aujourd'hui je ne sais pas comment ma joyeuse bande d'amis arrive à avancer. Moi je stagne.
Personne n'exige plus rien.
Moi-même je me contente d'exister. Je suis prise dans des sables mouvants, mon esprit et mon corps s'enlisent chaque minute un peu plus.
Je garde la tête hors de l'eau, juste pour respirer. Pour survivre. Mais la nuit, mes démons rattrapent celle que j'ai été, celle qui a ôté la vie d'un homme innocent.
Je n'ai que des souvenirs flous et décousus des moments qui ont suivis cette horreur. Depuis, mon amie la cocaïne, celle qui a aidé à ma descente aux enfers, m'aide encore à m'enfoncer et à me détruire.
Pour oublier.
Oublier, qu'il y a trois ans, ce 23 novembre, j'ai perdu tout contrôle de ma vie.
J'ai privé à un être humain de vivre.
Une seule phrase martèle mon cerveau. Celle de mon père quand j'ai enfin osé sortir de ma léthargie post-traumatique.
Quand j'ai osé mettre des mots sur l'atrocité de mes actes.
"Tout est réglé"
Jamais personne ne parle de cet événement tragique. Un sujet prohibé, tabou. Comme une illusion. La vie a repris son cours. L'argent, la luxure, le temps.
Moi, je me suis arrêtée en chemin. Et plus les années passent, plus je m'enferme dans un monde incandescent.
Soudain, un petit corps froid calme instantanément le mien, en proie aux flammes de mes souvenirs brûlants. Deux petits bras frêles viennent entourer ma taille.
Camille.
D'une main tremblante, j'effleure ses cheveux châtains. Elle dépose délicatement sa tête au creux de mon épaule. L'air qui manque à mes poumons revient comme par enchantement.
Je survie pour elle.
Je sais que je m'y prends mal, mais je tente coûte que coûte de garder les pieds sur terre.
Juste pour elle. Et Leny.
J'enserre son petit corps et mon cœur se remet enfin à battre normalement.
J'entends seulement sa petite voix qui me susurre tendrement :
- Je t'aime Mila.
Mes larmes se remettent à couler et ma bouche s'écrase sur le haut de son crâne. Mes mots se perdent dans un flot de larmes qui trempe ses cheveux à la douce odeur de vanille.
- Moi aussi je t'aime petite sœur...
16 commentaires
Miskail
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Il y a 8 ans
Criminal Minds
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Il y a 8 ans
Alain Leclerc
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Il y a 8 ans
liaflandes
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Audrey Woodhill
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St. Clare
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Il y a 8 ans
alexia340
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Il y a 8 ans
Cindy.C_Auteure
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Il y a 8 ans
Myjanyy
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Il y a 8 ans
LAETITIA SHAYDEN
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Il y a 8 ans