Fyctia
J-2 MilA
Quand je pousse les portes du Clam's Club, de fortes effluves d'antiseptiques me prennent à la gorge. Les relents acides de mon estomac refluent avec vigueur me laissant un goût amer dans la bouche.
J'ai mal.
Partout.
Mon cerveau martèle infatigablement ma boîte crânienne, mes yeux sont secs et bouillants de fièvre. Mais je sais pertinemment que mon visage est le plus meurtri. Mes joues sont creuses, mon teint d'une blancheur cadavérique et je peine à dissimuler les cernes violacées logées sous mes yeux.
Mon paradis me tue à petit feu.
Les tremblements inlassables de mes mains trahissent le manque cuisant de ma substance de prédilection. Chaque mouvement et chaque geste m'accablent un peu plus et meurtrissent mon cœur et mon corps.
J'ai peur.
Le nuage de douceur qui m'envoûte quand la poudre blanche prend le contrôle de mon corps m'enlise un peu plus chaque jour. Mon corps à la peur irrationnelle de manquer quand mon cœur me crie de ne pas me noyer. Je suis tirée de toutes parts par ces sentiments contradictoires qui accompagnent cette folie si douce.
Eloïse m'attend accoudée au comptoir de bois noir. Son torchon sur l'épaule, je sens son regard scrutateur. Son sourire éclate enfin et je suis prise d'une bouffée d'affection pour cette fille qui constitue une véritable bouée de sauvetage dans un monde qui n'est pas le mien.
Et qui ne l'a jamais été.
Débordante d’enthousiasme, comme à son habitude, elle entreprend de faire le tour du bar, et vient à ma rencontre.
Je regarde autour de moi. Partout, le métal et le bois brut ont envahi l'espace. Le Clam's est un endroit prisé de la vie estudiantine parisienne. Ce café club aux allures d'immense loft industriel a été entièrement décoré dans un esprit vintage et usinier. Les tourets de bois comme tables de bar, les suspensions Jielde en passant par les plaques émaillées à l'effigie de grandes publicités, chaque objet apporte son lot d'histoire, dans ce lieu de vie et de jeunesse.
J'aime cet endroit. Antre de bonheur, de rire et de vie. Tout ce qui manque au plus profond de mon être.
Eloïse me fait face. Cette grande brune, tatouée aux deux bras, aux allures de pin-up des temps modernes, prend mon menton dans sa main aux ongles vernis de rouge, et pose son regard dans le mien.
- Tu as une petite mine ma Mila...
Elle ne sait rien de mes nuits de débauche et d'abandon. Elle ne connaît en rien mon appartenance à ce cercle privé que constitue la jeunesse dorée Parisienne. Parfois, j'aimerais lui déballer mon fardeau, prendre appui sur son épaule et laisser couler les larmes qui menacent chaque jour d'inonder ma propre vie.
Eloïse connait tout de mon parcours étudiant, de mes origines et se fait un malin plaisir de me tourmenter. Elle se joue de mes bonnes manières et rit de mon inexpérience à la vie.
Elle ne comprend pas ce que je fiche ici, à faire des heures de service et à m'user les pieds pour un salaire misérable, alors que mon père me verse chaque semaine la moitié de cette somme sur mon compte bancaire.
Mais elle ne juge pas. Et m'accepte.
Je n'ai qu'une envie : lui dire qu'ici, malgré le travail parfois ingrat, les tâches miséreuses et la fatigue, je vis.
Simplement.
Je lui adresse un sourire timide.
- La nuit a été courte.
Je baille pour donner du sens à mes propos. "Courte" est un doux euphémisme. Deux jours que je ne dors pas. Que ce cauchemar incessant me hante et brûle mon cœur. Nuit après nuit. A chaque étape, j'ai l'impression que ma respiration se fait plus faible et que ma poitrine explose.
Deux jours que je vomis tripes et boyaux et que mon corps réclame cet eldorado qui m'assassine.
Je traverse la salle pour me rendre dans l'arrière cuisine et y dépose mes affaires. Le tintement du rideau métallique qui les séparent enclenche des vibrations bourdonnantes dans ma tête. Je m'arrête et masse lentement mes tempes pour faire cesser ces grondements incessants.
Je tâte la poche de ma veste en cuir, comme pour m'assurer que mon trésor est bien là. Caché. Dissimulé.
Le sachet me tend les bras mais je lutte. Aussi fort que possible, je me bats pour ne pas me faire un rail sur les chaises empilées à mes côtés.
- Mila ?
Sans le savoir, Eloïse sonne le glas de la tempête qui s'agite en moi. Je plaque un sourire de circonstance sur mon visage fatigué et tente de ne pas trembler.
- Chérie, tu peux t'occuper du bar ?
J'acquiesce rapidement et je disparais dans la salle de service sans un mot. Je ne fais aucune confiance à ma voix éraillée par la fumée et l'abondance d'alcool de ces derniers jours. Mon état est sur le point de flancher.
Quand j'accède à la salle, seuls quelques clients sont attablés, malgré l'heure plutôt matinale. Le soleil pointe à l'horizon et ses rayons réchauffent la grande pièce à travers les verrières donnant sur la rue. Je ferme les yeux et hume l'odeur du café. Même ces petits plaisirs gratuits ne m'atteignent plus. Mon avenir est flou et incertain. Je n'arrive plus à savoir où je vais.
Les bancs de la Sorbonne me paraissent si loin. Mes parents me voyaient politicienne tandis que je rêvais d'art et d'histoire.
Je suis serveuse dans un quartier populaire.
Aujourd'hui, personne ne voit plus rien pour moi. Mis à part Leny.
Je frissonne alors que mon sang bouillonne. Ma vision devient floue.
Alors que je m'empare d'un torchon pour essuyer les verres à bières, une goutte de sueur roule le long de mon échine. Je tente de ne pas tenir compte de cet alerte et continue mon labeur.
Quand quelques gouttelettes salées viennent rouler le long de mon front puis de mon nez et s'écrasent finalement sur mes mains tremblantes, je ne peux ignorer l'appel de mon corps.
Il crie. Il hurle. Il frappe.
Sans attendre, je me rue sur mon manteau de cuir dans le vestiaire. Mon corps est accompagné de soubresauts qui me sont incontrôlables. Je sens le mal m'emprisonner, m'oppresser, m'enfermer.
J'ai peur.
Peur de l'état qui m'attends si je ne donne pas raison aux démons de mon corps. Terrifiée de l'abyme qui m'attends si je ne cède pas aux noirceurs de la drogue.
Alors je craque.
Et telle une junkie, j'étale ma substance cristalline sur le haut du tabouret qui me fait face. Mes poils se hérissent. J'ai froid. Mais mon corps est si chaud qu'il rend ma peau moite et collante. Mon souffle se coince et ma gorge se noue.
Ma douceur est là. J'y suis presque.
Quand soudain cette voix. La voix d'un ange.
- Mila...! Mila...? Mais que fais-tu...
Sa voix se brise, son regard s'assombrit.
Mes yeux s'écarquillent de surprise mais mon manque est plus fort, alors j'inspire ma poudre délicate jusqu'à ce que ma narine me brûle. Me consume.
Quand j'ouvre enfin les yeux, Eloïse m'observe, paniquée.
J'ai honte.
Je me sens sale.
Vide.
Je viens de perdre la seule personne qui avait encore de moi la vision d'une jeune fille normale et équilibrée.
Ce putain d'accident à tout fait basculer.
Définitivement.
11 commentaires
Miskail
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Il y a 8 ans
alexia340
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Il y a 8 ans
Myjanyy
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Il y a 8 ans
Audrey Woodhill
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Il y a 8 ans
Myjanyy
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Il y a 8 ans
liaflandes
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Il y a 8 ans
Audrey Woodhill
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Il y a 8 ans
Myjanyy
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Il y a 8 ans
Criminal Minds
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Il y a 8 ans
Myjanyy
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Il y a 8 ans