Myjanyy idEntité J-2 – Leny

J-2 – Leny

Elle est là. Allongée sur ses draps blancs impeccables. Sa robe noire souillée, son visage maculé de maquillage et ses longs cheveux bruns emmêlés contrastent avec le tissu soyeux. Son corps est si frêle, si fragile qu’il paraît de porcelaine.


Délicatement, je remonte la couverture sur ses épaules.


Son expression est figée. Elle est presque sereine. Et je ne sais dire si ça me rassure ou me fait de la peine.


Ce soir encore, elle s’est abandonnée aux démons de nos nuits parisiennes. J’ai gardé un œil sur elle. Continuellement. Sans agir. Je ne veux pas entraver son chemin vers la rédemption, ou vers la fuite de toute culpabilité.


Comment le pourrais-je ? Je suis son ami. Fidèle.


Je jette un œil autour de moi. Sa chambre est immaculée et l’on peut presque y entendre encore son rire de petite fille insouciante et naïve. La noirceur de ses idées et l’obscurité de son être ne transparaissent en rien dans cette pièce gorgée de souvenirs. Des cadres en bois accrochés aux murs au rocking-chair douillet, chaque objet est exactement à sa place.


D’une main délicate je caresse sa main aux ongles rongés. Mon cœur l’est tout autant.


Je nous revois, souriants et bohèmes. Adolescents sans entrave, une existence dorée devant nous. Nous avons grandi dans une vie faite d’argent et de luxe, qui malheureusement ne remplace en rien l’affection dont nous avons manqué.


Sénateurs européens, nos pères respectifs ont abandonné leur foyer pour vivre de voyages et de déplacements professionnels, nos mères sur leurs talons.


Notre bande d’amis a toujours su en tirer profit. Jusqu’au moment où nous avons nous-mêmes marché sur les traces de nos parents.


Sauf elle.


Tandis que Karl et Sara sont en passe de devenir des pontes de la haute magistrature française, de mon côté je vois se dessiner mon rêve d’enfant : devenir l’analyste financier le plus prisé des grandes sociétés bancaires.


À chacun son destin. À chacun sa vie dessinée pour être parfaite.


Sauf la sienne.


Je soupire. À quel moment s’est-elle égarée ? Même si ses sombres soirées sont les mêmes que les nôtres, elles l’aspirent toujours plus vers les profondeurs d’un mal qui nous est inconnu.


De notre côté, nous n’avons pas de souffrance à gérer. Seulement une addiction aux péchés de la nuit.


Je sors à pas feutrés de la chambre de Mila. Les effluves de patchouli et de jasmin m’indiquent que Li Mei, la femme de maison, n’a pas changé de produit d’entretien. Ce mélange d’odeurs douces approfondit ma nostalgie.


Le bois foncé des meubles lustrés et les multiples œuvres d’art qui décorent le salon me rappellent le peu d’importance qu’a l’argent dans notre monde. Tout devient banal. Rien ne nous rappelle la pauvreté des autres.


Nous vivons dans une bulle. Bien calfeutrés. Protégés de la misère extérieure.


Mais la souffrance de Mila en est bien trop proche.


Sa bulle à elle a éclaté depuis longtemps. Tandis que la mienne se fissure à chacune de ses crises.


Soudain, une présence derrière moi attire mon attention. Quand je me retourne, un petit corps affublé d’une chemise de nuit bariolée me réchauffe instantanément.


Camille.


Un sourire étire mon visage.


— Où est Mila ? demande-t-elle.


Sa voix fluette est ensommeillée. Je ne veux pas la brusquer. Elle me regarde de ses grands yeux bruns, bordés de cils noirs, encore humides. Je m’avance vers elle, toujours aussi doucement que possible. Je ne veux pas la brusquer. À certains endroits, le parquet émet de lugubres craquements, faisant tressauter mes épaules.


— Ta sœur dort, ma puce. Il est tôt. Va te recoucher.


Du bout des lèvres, je lui embrasse le front. Ses cheveux fins chatouillent mes narines. Je prends une profonde inspiration, comme si la pureté de l’enfant qu’elle est pouvait tout changer.


Mes visions de cette nuit dépravée.


Mes sentiments si forts et destructeurs.


Sa sœur, fragile et vulnérable.


Elle acquiesce d’un geste lent de la tête et, du haut de ses dix ans, enserre ses bras autour de moi. Je la serre un peu plus fort, comme pour la rassurer. Puis elle part en direction de sa chambre reprendre le cours de sa nuit agitée.


L’appartement redevient silencieux. Peut-être trop.


Beaucoup trop souvent éloignée de ses parents, toujours en voyages d’affaires à l’étranger, Camille n’a que très peu de personnes sur qui compter. J’en fais partie et je prends mon rôle à cœur.


Sa sœur et elle sont comme ma famille.


Même si Mila est bien plus.


Sans un bruit, je sors sur le palier et referme derrière moi. Le bois de la porte cochère, en bas, craque légèrement et indique que pour certains la journée commence. Je descends marche par marche l’escalier recouvert de velours rouge.


Même si j’ai déserté depuis bien longtemps cet immeuble rue Montespan, où j’ai passé mon enfance, j’y ai repris mes quartiers depuis le départ de mes parents à l’étranger.


Pour être près d’elle.


Une fois chez moi, je prends une douche rapide. Pas de sommeil pour moi. À l’heure qu’il est, je devrais déjà être devant mon ordinateur à surveiller les cours fluctuants de la bourse internationale.


Leny de Guire. Trader.


Au moins dans ce domaine-là, je suis mon chemin. Je souris.


Quand l’eau bouillante vient rouler sur mes épaules et s’écraser à mes pieds, son effet salvateur me procure un bien-être rassurant. Mais éphémère.


Je ferme les yeux, le visage sous la cascade brûlante. Je la laisse déferler sur mon crâne, comme pour chasser mes idées noires.


Celles de Mila.


Je me dois d’être vigilant.


De la garder près de moi pour préserver ce secret qui nous lie à jamais.


Mais dont je suis le seul geôlier.


La drogue est mon alliée. Si elle l’aide à compenser le mal qui la dévore, elle m’aide, moi, à m’assurer que ses souvenirs ne reviennent pas.


C’est la seule et unique peur qui régit ma vie désormais : elle ne doit pas se remémorer cette nuit-là, où dans sa demi-conscience, elle a pu apercevoir mon autre facette.


Jamais.

Tu as aimé ce chapitre ?

22

22 commentaires

Carmin

-

Il y a 6 ans

C'est toujours bien, on rentre bien dans les méandres de ce Leny !

Myjanyy

-

Il y a 7 ans

merciii ! ;)

Fanny, Marie Gufflet

-

Il y a 7 ans

Oh misère de misère ! Quelle fin’!

Belle Moe

-

Il y a 8 ans

Chapitre poignant ! La fin est d'autant plus rude qu'on se demande bien ce qu'elle ne doit pas se remémorer, pour son bien à elle... ou à lui !!

Miskail

-

Il y a 8 ans

Toujours la même maestria dans la mise en place de cette ambiance glauque et malsaine entre les deux. Les barreaux de leur "paradis artificiel" sont presques tangibles, et tu en dis juste assez sur le mystère pour nous mettre en haleine.

Clara Richter

-

Il y a 8 ans

Waouh. Je suis scotchée. J'adore. (Mince je crois que j'ai fait le même commentaire le chapitre d'avant ??). Mon hypothèse Ils ont subi des abus ou des viols :' ((

alexia340

-

Il y a 8 ans

Leny lui aurait il fait du mal... ou un de ses proches... tjs tb écrit

A.L.

-

Il y a 8 ans

Toujours aussi mystérieux. tu distilles juste ce qu'il faut pour nous tenir en haleine.

Criminal Minds

-

Il y a 8 ans

Des petits airs de "Hell" et de sa jeunesse doré. Leny a des petits secrets, mais je crois que la drogue ne suffira bientôt plus pour refouler les souvenirs....

Myjanyy

-

Il y a 8 ans

Merci Audrey, je suis flattée et heureuse de savoir que mon récit te plaît ;) J'espère te surprendre et que la suite te plaira tout autant. Merci de ta lecture et de tes commentaires ma belle ;)
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.