Fyctia
J-3 – MilA
Ma tête est lourde et bourdonne. Ma bouche est pâteuse et sèche. Mon nez me brûle.
— Mil ?
Je ne réponds pas. Pas à ce surnom ridicule. J’ai soudain l’envie de me lever et de hurler. De pleurer. Et de crier que je ne suis pas « Mil ».
Mais mes jambes sont trop molles, mon corps et mon cerveau trop imbibés d’alcool pour faire quoi que ce soit.
Ce soir, je suis retombée. Encore une fois. J’ai de nouveau succombé. J’ai replongé dans cet état qui m’empêche de faire ce dont j’ai vraiment envie. Un état qui endigue toute pensée et surtout, qui me fait presque oublier.
Oublier que Mil a été une jeune fille lisse et sans histoires. Parfaite.
— Mil ?
La voix, beaucoup trop proche, me tape sur les nerfs. Mon dos colle au cuir sur lequel je suis allongée. Ma nuque me tire et mes membres sont comme ankylosés. J’ai soif.
Quand je parviens enfin à m’extraire de mon état second, j’entends une musique éreintante grésiller en fond sonore. Mes paupières luttent. Elles sont lourdes et chaudes.
Puis la lumière agresse mes rétines. Je vois du bleu, du vert, du rouge. Il fait sombre. Tout le monde rit et danse. Partout, des gens trébuchent et déambulent.
Je grimace.
Quand je tourne la tête vers elle, Sara me sourit. Ses longs cheveux blonds sont relevés en un chignon lâche. Ses boucles d’oreilles brillent de mille feux. Ses traits familiers me rassurent.
Où est Leny ?
Prise d’une panique soudaine, je le cherche des yeux dans la pièce, à travers la fumée qui obscurcit ma vision. J’arrive tant bien que mal à m’extirper d’une étreinte chaude et tenace. Une fois que je suis debout, mes jambes tremblent et ma tête tourne. Le mec affalé à mes côtés me sourit et essaie de me retenir. Je le dévisage et comprends qu’il est dans un état bien pire que le mien.
Sara me prend la main et me tire vers le centre de la pièce. Elle ne se rend pas compte que je suis comme une poupée de chiffon. Presque désarticulée.
Son corps se déhanche. Elle veut que je danse.
C’est impossible.
Je sens ma léthargie s’évaporer et mes neurones se reconnecter. Je ne veux pas.
Je lâche la main de mon amie d’enfance et la laisse entre les bras d’un dandy qui m’est inconnu. Je rôde tel un zombie et me cogne contre des masses dures et chaudes. Des mains m’agrippent, me touchent. Je panique.
Quand j’arrive dans la chambre attenante à la suite VIP, je vois enfin ce que je cherche. Mes mains s’emparent avidement des restes gras et huileux de la pizza qui gît dans sa boîte en carton. Je soulève les morceaux avec un dégoût non dissimulé. Des nausées me prennent.
Des petits sachets apparaissent entre les taches de gras. J’attrape l’un d’entre eux.
C’est notre tactique. La leur, plutôt.
C’est comme ça que l’on se fait livrer la drogue. En simulant une commande de pizzas.
C’est bien connu : les gens comme nous ne se mouillent jamais.
Je m’exile lentement dans un recoin de la pièce et pousse frénétiquement toutes les affaires éparpillées sur la table basse en verre trempé. Dans le lit d’à côté, un couple s’enlace et s’embrasse. Je ne leur prête aucune attention.
Je ne vois qu’une seule chose : la poudre scintillante que réclame mon corps.
Des gouttes de sueur roulent le long de mon échine et je frissonne.
Mes mains tremblent de manque.
En étalant la drogue, je jubile déjà à l’idée de l’euphorie que je ressentirai bientôt.
Soudain, une main chaude et moite s’abat lourdement sur mon épaule, faisant vibrer mon corps. Ma fine ligne n’est plus régulière et se termine en un minuscule monticule. Tant pis. Je ne lève pas les yeux, trop concentrée sur ma tâche.
Je me baisse légèrement et inspire fortement. Pas de brûlure. Juste une sensation de bien-être, qui détend mes membres. Je ferme les yeux et laisse aller ma tête en arrière.
Enfin, mon calvaire prend fin.
Je sens des doigts serrer mon épaule. Par petites pressions. Enfin, je me décide à ouvrir les yeux. La personne derrière moi a laissé faire. Elle m’a laissé me droguer, sans émettre le moindre mot ni la moindre protestation.
C’est sans aucune surprise que je découvre son visage. Carré. Puissant.
Leny.
Il est le seul à ne pas faire semblant d’être choqué par mon comportement. Malgré leurs propres excès Sara et Karl, eux, me sermonnent sur ma consommation bien trop excessive à leur goût.
Je suis consciente que je vais trop loin. Mais je sais aussi que je suis dépendante.
Quand mon regard croise celui de Leny, il sourit. Ses yeux sont rieurs et je sais qu’il a bu. En retour, je lui souris moi aussi. Avant que mon cerveau ne replonge dans de sombres méandres, ce qui arrivera à coup sûr d’ici quelques minutes.
Mais je sais qu’il est là. Leny est toujours là. Lui qui est comme un frère.
— Mila… Je te cherche depuis tout à l’heure.
Sa voix est grave. Assurée. Je pose mes doigts froids sur les siens, toujours serrés sur mon épaule.
— Je suis là.
Sa pression se fait plus forte. De son autre main, il caresse lentement mes cheveux. Ces moments de tendresse entre nous sont si rares. Car dans ces soirées, mes épisodes de lucidité le sont tout autant.
Je fuis la clairvoyance. Je cours à perdre haleine depuis trois ans pour qu’elle cesse de me rattraper. Je ferme les yeux. Les battements de mon cœur accélèrent. L’euphorie est proche, je le sens. Ma main toujours dans celle de Leny, je me sens armée, protégée.
Soudain, l’adrénaline monte en moi. Les souvenirs affluent.
Durs, précis, vifs et puissants.
Mes mains sur le volant glacé. Les rires.
Une puissante accélération. Je transpire.
La nuit et les phares qui m’éblouissent.
Ce putain de cauchemar qui me hante. Nuit après nuit.
Comme si la drogue n’avait pas encore un effet assez fort sur moi, j’ouvre les yeux et cherche quelque chose pour m’aider à m’enliser encore un peu plus, n’importe quoi. Je tente de m’écarter de Leny et tâte vivement la table à la recherche d’une bouteille pour épancher ma soif. D’évasion. De fuite.
Leny comprend mon geste et se détache de moi. Calmement. Je sens sa présence à mes côtés. Il trempe son doigt dans le reste de poudre blanche étalée sur la table de verre et prend ma tête entre ses mains.
Il ancre son regard au mien. Ses yeux foncés, presque noirs, me transpercent. Il lit en moi. Tendrement, ses doigts ouvrent ma bouche. Son index recouvert de fines molécules vient frotter délicatement mes gencives.
Le cristal crépite contre l’humidité de mes lèvres et je sens l’effervescence monter en moi.
Encore une fois, je sombre.
Je disparais. Et je fuis cette réalité qui n’est plus la mienne depuis longtemps.
Je lui souris.
Et lui chuchote :
— Merci…
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Carmin
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