Fyctia
2.2. Maja
Chapitre 2
Maja
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Un bras s’enroule autour de ma nuque, un torse me percute l’épaule. L’haleine chaude et chargée d’alcool me caresse la joue. J’en reconnais les effluves séducteurs. Le visage d’Astrid s’illumine en reconnaissant le nouveau venu alors que je me libère vivement.
— Fridrik !
Ses deux acolytes apparaissent à leur tour. Nous nous saluons les uns les autres, je me soustrais aux mains baladeuses qui essaient de s’insinuer sous ma cape et siffle, pour n’être entendue que de leur propriétaire :
— Pas touche, crétin !
— Oh Maja, roucoule Fridrik. Ne me dis pas que tu te réserves désormais pour ton futur mari gratte-papiers.
Il se moque et je grimace pour toute réponse. Il est difficile de trouver un partenaire de vie en-dehors de son domaine, ce qui restreint encore plus nos possibilités d’avenir. Née parmi les érudits, je me marierai avec l’un d’eux et accoucherai de futurs petits scribes… plus doués que moi, j’espère !
Une musique guillerette, depuis le fond de la salle, éteint les conversations et attire les couples sur une piste improvisée.
— Tu viens danser ? me cajole Fridrik.
J’accepte, termine mon verre d’une gorgée enthousiaste et empoigne la main tendue de mon cavalier. Ses yeux voyagent partout sur mon corps qui se trémousse, je glousse, insouciante, l’alcool joyeux. Je me sens belle sous cette attention gourmande. Peut-être, finalement, que je me laisserai tenter par un rendez-vous à la sauvette, derrière la taverne ou dans une chambre à l’étage.
Ce sont ces moments-là, loin de la Bibliothèque des Sagas et de son austérité, qui me permettent de m’évader d’études auxquelles je n’ai jamais aspirées. Notre société ne nous autorise pas à changer de vie, à la mener comme bon nous semble. Ceux qui s’y sont essayés se retrouvent en marge et finissent par quitter les quelques villes que compte l’Iceland. Aussi rebelle que je sois, il n’est pas question d’abandonner la civilisation pour vivoter dans les contrées inhospitalières au centre de l’île.
Essoufflée, j’épie l’embrassade enthousiaste que se livrent Astrid et Jon. Ils évoluent sur la piste au ralenti, certains les observent pendant qu’ils se bécotent, d’autres détournent pudiquement le regard.
Les musiciens s’interrompent pour reprendre une tournée de bières, on retourne dans notre coin et Kristof, resté seul, nous accueille d’un sourire goguenard. Il doit se voir comme la cinquième roue du carrosse. Je lui tapote l’épaule, comme pour le consoler de cette solitude imposée. Il me renvoie un clin d’œil complice. Sa main présente les cinq verres qui nous attendent et nous les entrechoquons les uns avec les autres.
— Vous avez entendu ce qu’il s’est passé à Fjardaby ? demande Kristof.
Penché vers nous, il hausse le ton pour se faire entendre malgré le brouhaha ambiant. Je secoue la tête, Astrid tend le cou, curieuse. Kristof, à force de fouler les différents villages de la région avec son père maraîcher, est une véritable commère et il nous abreuve des rumeurs qui viennent de la capitale ou des autres villes, même si elles manquent parfois de véracité. Au moins, il nous distrait de notre quotidien monotone.
Mentalement, je me représente Fjardaby, au sud-est de l’île, petite enclave militaire prête à affronter les éléments et les quelques incursions des continentaux. Il y en a plusieurs sur les côtes méridionales, celles qui sont les plus menacées par un quelconque danger venu de l’extérieur. L’Iceland est naturellement protégé par ses falaises escarpées, son climat souvent rude, l’océan bordé de glaces jusqu’à la fin du printemps, quand les températures amorcent enfin une légère remontée.
Kristof m’extirpe de mes pensées studieuses et lance son information comme un pavé au milieu d’une mare :
— L’avant-poste a été détruit.
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Anna C
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Mary Lev
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Virginie Decamps
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Gottesmann Pascal
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Virginie Decamps
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